Surprisingly unpleasant - Mira Fraser

“ surprisingly unpleasant ”

Mira chaussa ses lunettes en poussant un soupir de dépit, un peu forcé. Elle ne voulait pas l’admettre à haute voix mais, malgré ses réticences, la jeune femme trouvait que ce nouvel accessoire lui allait plutôt bien… "Tout de va, de toute façon", lui auraient répliquer ses amies, d’un ton plutôt désabusé, sans doute un brin envieux. Et c’était vrai. Mira n’était pas du genre à se mettre en avant, à jouer de ses charmes, mais elle savait ne pas en être dénuée. L’ambulancière avait remarqué que sa vue déclinait depuis un long moment déjà, mais avait rechigné à franchir le pas et à aller consulter un ophtalmologiste qui la contraindrait assurément à porter des verres correcteurs. Et puis elle s’était retrouvée penchée sur le volant, à conduire l’ambulance à la place de son binôme et nier sa myopie plus longtemps n’avait plus été possible…
« On fera avec » glisse-t-elle à son reflet avant d’attraper son sac à main par la lanière et de se détourner enfin du miroir pour quitter son appartement du centre-ville.
Elle rentre dans l’ascenseur en fourrant ses clés dans son sac à main, revoyant mentalement son planning de fin de journée. Que du bon ! Sa journée de repos a été plutôt plaisante : une grasse matinée, un bon petit déjeuner, une rencontre avec sa mère pour déjeuner après avoir été récupérer ses carreaux dans une boutique pas loin de chez elle et, après quelques heures de flottements, la voilà qui ressort pour une belle soirée. Rien de bien fou. Mira compte seulement aller prendre un livre ou deux au bookstore en bas de chez elle, puis aller se poser pour bouquiner à une terrasse quelconque en attendant d’être rejointe par ses amies. Des amies qui meurent d’envie de la voir avec ses nouvelles lunettes et ont l’espoir secret – une part de Mira le sait - qu’elles la défigureront…

Ses jambes commencent à s’échauffer mais Mira ne ralenti pas son allure soutenue. Elle zigzag entre les nombreux touristes qui commencent à affluer et les habitants pressés du Loop qui ne lui adresse pas un regard. Elle, elle prend son temps, savourant les rayons de soleil qui réchauffe sa peau qui commence à se haler et lui rappellent qu’elle n’est d’origine irlandaise que sur le papier, par filiation à ses parents d’adoption. Certains hommes se retournent cependant sur son passage et elle se demande si son choix de ne porter qu'une robe légère était bien judicieux. En même temps, c'est l'été et il fait déjà étouffant pour un début de mois de juillet.
Ses pas finissent par la mener devant l’enseigne de son choix qu’elle fréquente depuis un moment déjà. La jeune femme salue la gérante, lui fait la conversation deux ou trois minutes, écoute ses conseilles en matière de lecture, puis va se perdre dans les rayons du bookstore, un sourire flottant sur ses lèvres. Pas seulement parce qu’elle vient de recevoir un compliment sur ses lunettes de la part de la libraire, mais parce qu’elle se sent toujours à son aise, détendue, au milieu de tous les ouvrages qui encombrent les étagères l’entourant.
Elle s’empare d’abord d’un thriller qui lui a été recommandé par une amie fan de ce genre et généralement de bons conseils, puis continue son errance dans les rayons, sans but précis cette fois, flânant à la recherche de quelque chose d’inspirant. Elle se retrouve finalement dans la section des autobiographies et repère un livre dont la pochette - une table d’écolier vieillotte perdue au milieu d’une étendue herbeuse asséchée - lui fait de l’œil. Sans prêter plus d’attention que cela à son environnement (bien qu’elle repère un client à proximité, du coin de sa nouvelle paire de lunettes à laquelle elle n’est pas encore très habituée) Mira étend son bras pour se saisir du livre, écrit par une dénommée Tara Westover. Le nom lui est familier mais…
Sa main frôle celle du client alors qu’elle la rétracte, le livre en sa possession. Elle lève naturellement les yeux vers l’homme et son sang se glace dans ses veines alors qu’elle le reconnaît dans la seconde.
Neal.
Son Neal.  
Celui sur lequel elle a longtemps espéré secrètement tomber, celui à qui elle pense encore bien trop souvent du goût de ses proches et qu’elle devrait pourtant oublier. Il se tient là, à ses côtés, l’air fatigué, agacé, presque méconnaissable en réalité.
Est-ce pour ça qu’elle ne l’a pas immédiatement reconnu en s’avançant dans le rayon ? Ne se tient-il pas un peu plus vouté qu’auparavant ? Comme s’il portait un lourd poids sur les épaules ? N’a-t-il pas perdu du poids depuis leur dernière rencontre ?

Mira sursaute alors que le poing de son ancien amant et ami s’écrase sur la portion du meuble à présent dépourvue de livre. Sa main enserre d’ailleurs celui qu’elle tient avec un peu plus de force. La secouriste s’y cramponne presque…
Et puis le regard de Neal se pose enfin sur elle et son expression change. Elle reste pétrifiée face à lui, ce géant auprès duquel jadis elle se sentait toujours en parfaite sécurité, choyée, protégée, aimée. Le regard qui croise le sien n’évoque plus vraiment ce genre de sentiments à présent…
« Garde le » lâche simplement l’irlandais, rompant le silence tendu qui s’est installé entre eux, alors qu’une foule de sentiments assaillent la jeune femme et l’empêche de réfléchir convenablement.
Elle réalise qu’elle retient son souffle depuis qu’elle l’a reconnu. Enfin reconnu…il faut le dire vite. L’homme à qui elle fait face n’est plus vraiment celui qu’elle connaissait. C’est lui et en même temps, il est différent. Elle ne s’attendait pas à cela. Peut-être parce qu’elle a trop fantasmées leurs retrouvailles ?
« Je… Non, c’était… Je voulais juste le voir de plus près » bafouille Mira en arrachant son regard cerclé par ses nouvelles lunettes du visage familier (et en même temps si différent) de Neal. « Tu peux le garder toi. »
Elle le lui tend, maladroitement. Ses mains tremblent un peu. Pas par peur. Elle sait, malgré tout ce qu’ils ont vécu, malgré le coup qu’il vient de porter rageusement à l’étagère, que son ancien amant ne lui fera jamais le moindre mal. Pas intentionnellement. Pas physiquement. Parce qu’en revanche, ses décisions l’ont assurément blessée par le passé…
« Je…je m’attendais pas à te trouver dans… »
Un endroit comme celui-ci ? Un endroit où il pourrait se cultiver ? C’est une remarque assez réductrice, elle s’en rend bien compte.
« …dans ce quartier » se rattrape-t-elle lamentablement. Mais elle suppose qu’il devinera ce à quoi elle pensait. A quel point se vexera-t-il ?  

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Elle se maudit intérieurement pour son manque de tact. En même temps, c’est un fait : Neal n’a jamais vraiment voulu mettre les pieds dans une librairie à l’époque où ils se fréquentaient. Mira l’y avait pourtant trainé quelques fois et, chaque fois, il l’avait suivie de mauvaise grâce, pour lui faire plaisir, en montrant rapidement des signes d’impatience. Même s’il tentait de prendre sur lui, le sentir s’agacer dans son dos l’obligeait à accélérer son allure et la stressait plus qu’autre chose. Impossible de partager sa passion pour les ouvrages avec lui. Elle avait donc finit par renoncer et se rendre dans ce genre d’endroit sans lui, pour être libre d’y errer une bonne heure durant sans avoir à sentir le regard blasé de son fiancé peser sur ses épaules, se braquer sur sa montre ou l’entendre soupirer juste à côté…
N’empêche que sa remarque reste un peu indélicate et elle s’en rend bien compte.
« J'habite dans ce quartier... » lui fait-il remarqué, avant de lui prouver qu’il l’a percée à jour et sait parfaitement ce qu’elle s’apprêtait à lui dire.
Mira sent ses joues s’empourprer alors qu’elle lutte pour ne pas se mordiller nerveusement les lèvres. Ça l’irrite de se sentir si stupide et anxieuse face à lui… Elle s’est imaginée leur rencontre des centaines, des milliers de fois depuis leur rupture, mais espérait se sentir à l’aise face à lui. Elle nourrissait l’espoir de retrouver rapidement ses marques, leur complicité, pensait éprouver cette impression de sérénité, de sécurité et de simplicité qu’elle ressentait toujours à ses côtés…avant.  Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Elle se sent prise au dépourvu, décontenancée. Son cœur cogne férocement dans sa poitrine et ses paumes commencent à devenir moites.  

Un silence tendu s’installe, qu’il finit par rompre pour lui demander de confier le sujet de leur "litige" à un jeune couple. Mira – qui n’avait pas remarqué leur présence, trop occupée à focaliser toute son attention sur ses retrouvailles ratée avec Neal – se retourne pour les découvrir.
« Je suis sur que je peux trouver un ou deux comics à ma hauteur » enchaine-t-il avant de tout simplement la planter là, s’éloignant déjà et la laissant plus confuse encore.
…Un peu agacée aussi. Piquée au vif.
Mira s’avance vers le couple, luttant pour ne pas s’attarder à observer leur progéniture, et leur donne le bouquin en leur assurant qu’elle ne faisait que le regarder et n’en a pas besoin. La femme veut poursuivre un peu leur échange, lui demander si elle l’a déjà lu, s’il est bien, mais la secouriste lui fait savoir qu’elle doit rejoindre…
« …mon ami » improvise-t-elle, avant d’adresser un petit signe d’adieu au couple duquel elle se détourne à son tour.
Son ami… Est-ce qu’il est encore cela au moins ? Rien n’est moins sûr. Ils ne se sont pas vus depuis des mois et c’est elle qui est à l’origine de leur rupture. Son échec à enfanter, à donner la vie à un être en pleine santé… C’est elle qui a précipité sans le vouloir leur chute, qui a privé Neal de l’enfant qu’il fantasmait au moins autant qu’elle, qu’il couvait du regard sous la peau arrondie de son ventre...

Mira se laisse gagner peu à peu par la colère. Une colère teintée de tristesse, d’un sentiment puissant d’injustice et de culpabilité. Elle rejoint Neal qui se fait remarquer. Ce n’est pas dans ses habitudes. D’habitude, il est plutôt du genre à se faire oublier, à disparaître dans le décor et à ne pas attirer l’attention sur lui. Sauf s'il sent un danger le menacer lui ou un de ses proches. Mais elle a du le déstabilisé par sa présence. Lui aussi doit être submergé de souvenirs… Ils en ont plus de bons que de mauvais, ils ont passés de belles années ensemble. Les meilleures de sa vie. Mais il y a ce souvenir… Cet unique moment d’horreur qui les a séparé, qui a tout brisé et qui continue de les déchirer…
Mira se plante devant lui, les poings sur les hanches, son regard braqué sur lui.
« Tu as fini ton numéro ? » lui demande-t-elle. Elle n’a jamais eu peur de lui. Jamais eu peur de lui faire savoir quand elle trouvait qu’il allait trop loin, dérapait ou lui tapait sur le système. Comme elle n’a jamais eu peur de s’ouvrir à lui et de lui confier ses sentiments amoureux… « Est-ce qu’on pourrait parler un peu, comme des adultes, ou bien tu prévois d’aller agresser la petite dame qui te regarde de travers ? »  

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Sa réplique la cingle avec autant d’efficacité que l’aurait fait une gifle. On a encore des choses à se dire ? Elle sent immédiatement ses forces la quitter, sa colère fondre comme neige au soleil pour faire place à une tristesse infinie. Il vient de la blesser. Et apparemment, Neal n’en a pas terminé avec elle et eut enfoncer la lame plus profondément encore, dans une plaie à vif. A-t-il oublié comment se comporter auprès des vivants ? Prend-t-il du plaisir à charcuter les vivants également à présent ? Qui est-il devenu pendant son éloignement ?  
Mira reste figée face à la question de son ancien amant ; face à la question du père de Brianna. Elle voudrait répondre mais sa langue semble collée à son palais, sèche comme du parchemin. La jeune femme a perdu de sa superbe et se contente de subir les assauts répétés de Neal.
Une petite voix dans son esprit embrouillé de souvenirs lui ordonne de fuir, de ne pas rester plantée là comme une idiote. Il veut lui faire mal et il faut qu’elle se préserve. Mais elle en est tout bonnement incapable. Elle est tétanisée.
Et puis une part d’elle se sent trop coupable pour oser bouger un cil… Elle mérite ce qu’elle entend. Elle récolte ce qu’elle a semé en étant incapable de donner une fille à Neal ou d’être en mesure de demeurer à ses côtés. Elle n’a pas su lui pardonner son absence, a fuit, et maintenant, elle doit affronter sa colère à lui. Une colère dont il n’a jamais eu l’opportunité de se décharger sans doute.  
« Et toi aussi, non ? » conclut-il, après lui avoir fait savoir qu’il juge que Brianna est mieux là où elle se trouve.
Ce n’est pas la première fois qu’elle entend cela, mais cette remarque lui hérisse toujours autant le poil. Non. Sa fille aurait été mieux entre ses bras, entre LEURS bras, à grandir et s’épanouir, entourée de leur amour inconditionnel !
Quant à elle… Est-ce qu’elle est mieux sans lui ? Est-ce qu’elle a eu raison de prendre ses distances, de le quitter comme elle l’a fait ? Est-ce que c’était la bonne décision ? Le fait est qu’elle n’en sera jamais tout à fait certaine.
Les larmes lui emplissent les yeux. Elle aimerait être assez forte pour lui tenir tête, pour lui répondre elle aussi avec virulence, mais Mira n’en est pas capable. Sa vue se brouille alors que ses mâchoires se contractent pour contrôler les sanglots qui se bloquent dans sa gorge, la rendant douloureuse.
« Tu... Tu n’es…qu’un crétin Neal MacMahon. »
C’est tout ce qu’elle trouve à lui dire, avant de dissimuler son visage larmoyant derrière ses mains pour pleurer en silence. Elle doit partir d’ici, arrêter de se donner en spectacle. Sauf qu’une infime part d’elle voudrait sentir les bras de Neal l’entourer, l’attirer contre lui… Une part d’elle veut sentir le parfum de sa peau, être à nouveau proche de lui, physiquement et psychiquement. Sauf qu’une autre, celle qui n’a pas oublié la souffrance causée par son absence au pire moment de sa vie, a l’impression que s’il la touche, elle se mettra à hurler, que son contacte la rendrait folle, la ferait basculer…  

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Mira frissonne. Pourtant, elle a l’impression que sa peau se met à bouillir, que la température à l’intérieur de la petite librairie grimpe de plusieurs degrés en l’espace de quelques secondes. Un comble quand on pense qu’en y pénétrant, elle s’est presque sentie agressée par la climatisation qui continue de tourner à plein régime pour éviter que les livres ne s’abiment (encore une bonne raison de venir se réfugier ici en été).
Mais pour l’instant, la secouriste ne songe pas à ça. Elle ne songe plus à rien du tout à vrai dire, s’abandonnant à l’étreinte que lui offre Neal. Une étreinte attendue, guettée durant des jours, des semaines : en vain. Une étreinte qui arrive maintenant trop tard…
C’est à la maternité qu’elle avait VRAIMENT besoin de ses bras. Au moment où on lui a annoncé que sa fille ne survivrait pas plus de quelques heures hors de son utérus, que Brianna était condamnée depuis l’état cellulaire à cause d’une stupide et injuste anomalie. À cause d’elle… À cause de son incapacité à créer la vie correctement…
Elle aurait aimé que Neal soit à ses côtés quand elle devait pousser en sachant que c’était la Mort qu’elle offrait en cadeau de naissance à sa petite fille tant attendue.
Elle avait besoin des bras de l’irlandais autour d’elle quand elle la tenait dans ses bras, minuscule et fragile, vulnérable et magnifique ; quand elle la berçait pour la première et dernière fois… Brianna aurait mérité d’entendre la voix de son père… Elle aussi méritait d’être tenue dans ses bras puissants et protecteurs.
Elle avait eu terriblement besoin de ses bras quand Brianna avait poussé son dernier souffle entre ses mains et puis qu’on la lui avait arrachée pour que ses organes, viables ceux-là, soient distribués à des nouveaux nés dans le besoin… Une autre décision qu’elle avait dû prendre seule.
Mais Neal n’a pas été là. Neal n’a pas offert ses bras aux deux femmes de sa vie lorsqu’elles en ont eu le plus grand besoin et Mira peine à le lui pardonner.  La seule pensée peu réconfortante qu’elle peut avoir quand elle y pense : c’est que lui aussi doit avoir du mal à se le pardonner… Maigre consolation.

Mira se laisse guider à l’extérieur de la librairie. Elle dépose en passant le livre qu’elle prévoyait de s’acheter. Elle sait déjà qu’elle n’ira pas bouquiner en terrasse, qu’elle ne retrouvera pas ses amies ce soir. Elle rentrera s’enfermer, la mort dans l’âme. Elle rentrera se jeter sur son lit et tirer la petite boite qui se cache au-dessous et contient les quelques photos de sa fille qu’elle possède. Son bien le plus précieux… Les seules photos qu’elle possèdera jamais. L’une des rares traces du passage de Brianna sur cette terre.
Neal recommence à se dénigrer, à lui dire qu’elle n’a pas besoin de lui dans sa vie. Et bla-bla-bla… Des propos de lâche ! Voilà ce qu’en pense la secouriste.
Peu à peu, le flot de ses larmes se tarie et la colère refait surface. La rancœur.
Il ne comprend rien… Il ne veut pas comprendre…
« Elle a eu de la chance d’avoir au moins un bon parent. Elle n’a jamais été seule. »
Est-ce qu’il arrive à fermer les yeux a nuit en se rassurant avec ce mantra ? Est-ce que c’est ce qui lui a permis de faire son deuil, de passer à autre chose ?
Mira demeure immobile entre les bras de Neal. Elle ne se raccroche pas à lui. Ses bras restent ballants, lui donnant des air de poupée de chiffon. De poupée chiffonnée par la vie en l’occurrence…  

« Y a toujours un truc qui te rendait le sourire… »
Cette fois, la jeune femme relève ses yeux encore rougis par les larmes pour croiser le regard de Neal. Et ce qu’elle y découvre l’horrifie. Est-ce qu’il est réellement en train d’enchainer en lui parlant de sexe ? Est-ce qu’il passe du sujet de leur fille morte à celui-ci ?
Mira n’y tient plus. Elle rompt le contact avec lui, se recule d’un pas, le temps de prendre son élan et de lui asséner une gifle. Elle veut aller plus loin, veut marteler sa poitrine de coups, mais il n’a aucun mal à retenir ses coups et à la maitriser.
« Espèce de fumier ! Comment tu peux penser à un TRUC PAREILLE ! » s’offusque-t-elle en se débattant avec lui devant la vitrine de la librairie. « Comment tu peux passer de Bree à ÇA ? T’es un TORDU, Neal ! Un tordu et un LÂCHE ! Oui, elle n’a jamais été seule ! Mais je n’ai même pas eu le choix ! TU ne m’as pas laissé le CHOIX ! » vagit-elle en essayant encore de lui porter un coup au visage. « Tu n’étais pas là, il fallait bien que quelqu’un se charge d’être avec elle ! Peut-être que j'aurai préféré me défiler moi aussi ! Ne pas avoir à subir ce que j'ai subi ! Comment est-ce que tu as pu nous abandonner ? Comment t’as pu me faire ça à MOI ? »
Elle a déjà le souffle un peu court, le visage rougi par la colère. Elle tente de lui mettre un coup de pied mais perd l’équilibre et, avant d’avoir pu se rattraper, se retrouve comme une idiote, les fesses par terre et les cheveux devant les yeux.
Au lieu de s’empresser de se relever pour sauver les apparences, elle reste au sol, couvrant à nouveau son visage de ses mains. Pas pour dissimuler ses larmes cette fois. Elle tente de se calmer, de retrouver son souffle. De ne plus voir Neal qui la domine de toute sa hauteur aussi. Surtout…
« Va t’en » articule-t-elle à travers ses mâchoires crispées par l’émotion. « T’es très bon pour disparaître après tout… »    

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La réplique cinglante ne tarde pas à tomber. Il lui reproche son départ. Ce qu’il semble vouloir oublier, c’est que ce fameuse départ n’est survenu que plusieurs mois après la naissance et le décès de Brianna. Elle ne s’est pas jetée dans le premier avion pour fuir Chicago, fuir son chagrin et le fuir lui dès le lendemain des faits. Et si elle l’a fait, c’était pour s’empêcher de rejoindre sa fille, pour s’empêcher de prendre un billet pour un voyage sans retour… Ce qu’il saurait s’il ne s’était pas dégonflé, s’il ne l’avait pas fuit lui-même.
Le premier a avoir déserté, c’était lui, pas elle. Mira avait été là, à l’attendre, à l’espérer, guettant son ombre. En vain.  

Et puis vient le coup de massue ; viennent les répliques de trop à propos de sa demande d’interrompre sa grossesse pour ne pas avoir à souffrir. Elle le dévisage à travers le brouillard des larmes qui embuent ses yeux écarquillés.
Malgré les années, malgré le temps écoulé depuis la naissance et le décès de Bree, malgré la souffrance causée par tout cela, la secouriste ne peut toujours pas imaginer un chemin de vie dans lequel elle ne l’aurait pas rencontrée, dans lequel elle n’aurait pas croisé son regard, ne l’aurait pas tenue dans ses bras et bercée. Ce qu’il lui demandait était inenvisageable, lâche au possible, effroyable.
De toute façon ça n’aurait rien changé… Le résultat aurait été le même, elle aurait perdu son enfant et elle ne lui aurait jamais pardonné de l’avoir convaincue de la tuer en son sein. Elle avait porté la vie en elle jusqu’au bout, même si, au final, Brianna avait poussé son dernier souffle dans ses bras. C’était trop précieux, la vie de sa petite fille avait été trop précieuse pour y mettre un terme.

« Je voulais qu'elle ai tout ce que je n'avais pas pu avoir quand j'étais gamin. »
Mira prend appuie ses sur paumes et se relève, son regard plongé dans celui de son ancien amant, du père de sa fille. Mais à cette seconde, elle n’estime pas qu’il mérite ce titre…
« Et tu as été infoutu de lui donner la seule chose qu’elle attendait de toi. Tu as été infoutu d’être LÀ. C’est tout ce dont elle avait besoin. De sentir l’amour de son père pour elle » lui rache-t-elle, espérant lui faire autant mal que lui l’a blessée un instant plus tôt. Œil pour œil, dent pour dent, souffrance pour souffrance. « Maintenant que tu le dis, peut-être que tu as raison et qu’elle a été mieux avec moi qui l’ai portée et aimée jusqu’au bout plutôt qu’en présence d’un type qui préférait la voir morte puisqu’elle n’était pas à l’image que tu souhaitais. Tu aurais fait un père lamentable, merci de me l’avoir fait comprendre aujourd’hui. »
Elle le défi du regard à présent, prête à encaisser ce qui sortira de sa bouche, prête à encaisser son poing serré s’il doit s’abaisser à ça. A ce stade de leur échange, elle ne ressent plus que de la rage envers lui.    
Elle se sent comme une mère en train de protéger sa progéniture. Son instinct a pris le dessus et lui hurle de protéger la mémoire de sa fille face aux propos infâmes tenus par son ancien amant.

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Mira secoue la tête en l’entendant souffler que leur fille savait à quel point il tenait à elle. Elle pousse un soupir, entre coupé de sanglots, et détourne le regard, le portant sur la rue alors qu’il se brouille de larmes. Tout ça est un affreux gâchis, voilà à quoi pense la secouriste à cet instant. Tout ce temps perdu, tous ces mots blessants prononcés, cette chance d’élever un enfant dont on les a privés l’un comme l’autre… S’ils avaient mis leur rancœur de côté, s’ils s’étaient soutenus au lieu de s’éviter, de se déchirer : peut-être qu’ils auraient pu retenter l’expérience, tout de même fonder une famille, s’aimer à nouveau avec le temps…
La jeune femme ignore cependant si elle sera un jour prête à porter à nouveau la vie en elle, à mener à bien une grossesse. Mais il y a toujours l’adoption. Elle-même a été adoptée et a eu une enfance saine, agréable. Peut-être devrait-elle reproduire ce schéma, pour ne pas avoir l’impression de remplacer Brianna ? Mais la vérité, c’est qu’elle est lâche elle aussi. Elle n’a simplement pas la force de repasser par toutes ces étapes, la force de sentir un être se développer dans son corps avec tous les risques que ça tourne mal en tête…

Elle reporte son attention sur Neal et constate que ses yeux à lui aussi sont rougis par des larmes qui menacent de s’écouler. Elle serre les dents. Le voir souffrir, malgré tout, lui fait mal.
« J'aurais aimé être aussi détaché de la situation que ce que tu décris là. J'aurais peut être moins souffert de vous perdre toutes les deux. Je ne parlais peut être plus et j'avais des propos clairement stupides quand j'ouvrais la bouche, mais j'étais physiquement là. »  
Elle secoue à nouveau la tête, de gauche à droite, niant ses propos. Non. Non, il n’avait pas été physiquement là. Mira n’avait pas l’impression qu’il se soit battu pour la reconquérir, pour la garder dans sa vie. Elle s’est sentie rejetée. Elle s’est sentie doublement responsable… Elle a pensé qu’il refusait de venir la voir parce qu’il la jugeait responsable de la mort de leur petite fille.    
« J’aurai voulu… J’aurai voulu que tu te battes vraiment pour moi » lui confesse-t-elle finalement, d’une voix éteinte. « J’aurai voulu que tu frappes à ma porte tous les jours, que tu me harcèles de coup de téléphone, que tu questionnes tous mes proches pour avoir de mes nouvelles au lieu de t’effacer. Peut-être que tu l’as fais pour ne pas me faire souffrir, pour me laisser le temps de guérir ou je ne sais quoi mais ce n’est pas ce dont j’avais besoin. Quand je suis partie en Afrique, j’espérais que tu me poursuivrais, que tu traverserais l’océan pour venir me chercher et me ramener... Mais tu n’as jamais rien fait. Tu n'as même pas essayé de me retrouver. »
Elle non plus ceci dit. Mais c’est lui qui l’avait abandonnée le premier et elle a toujours estimé que c’était à lui de faire le premier pas, quitte à être repoussé, encore et encore.

Elle laisse échapper un petit rire cynique.
« Je suppose que j’ai regardé trop de drames romantiques à la télé… »
Elle essuie les quelques larmes qui se sont échappés de ses yeux d’un geste vif, croisant les bras sur sa poitrine.
« Prends soin de toi Neal » ajoute rapidement Mira, d’une voix qui se brise.
Elle veut mettre un terme à cet échange. Elle ne veut pas recommencer à pleurer devant lui. Elle ne veut pas qu’ils se disent encore des horreurs. Elle est trop fatiguée pour ça maintenant. La secouriste n’aspire plus qu’à rentrer chez elle, pleurer sur les photos de Bree…    

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Elle l’entend lui dire, la tête basse, qu’il aurait peut-être dû regarder plus de films à l’eau de rose en sa compagnie. Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Est-ce qu’il aurait cherché à se glisser dans la peau d’un de ces preux chevaliers un peu ridicules de qui elle se moquait souvent, tout en espérant vivre de telles aventures ? Sans doute que ça n’aurait rien changé, que ça n’aurait pas servi d’inspiration à Neal. Ce n’était pas son genre, tout simplement. Son but n’avait jamais été de le transformer d’une quelconque manière, de lui forcer la main. Il n’avait pas essayé de la retenir, n’y avait sans doute même pas songé et voilà tout. C’est de cette manière que c’était déroulé – terminée – leur histoire, et c’était certainement leur destin… Un bien triste destin, mais le leur, à assumer.
Mira ne relève pas la remarque, prononcée du bout des lèvres par son ancien amant. A quoi bon se torturer l’esprit ? A quoi bon tout refaire dans leurs têtes ou faire part de leurs regrets ? Ce qui était fait était fait, point…

Les deux jeunes gens sont tout à coup surpris par un mur de pluie qui leur dégringole sur le crâne et les trempent immédiatement. Trop accaparés par leurs tempêtes intérieures respectives et celle qu’il créait par leur reproches violents : aucun des deux n’a vu se transformer le ciel d’été. Il est à présent menaçant. Finalement à l’image de Neal et Mira qui se font face, épuisés, accablés de chagrin, plein de rancœur…
« Aller vient avec moi ! » lui propose-t-il finalement, après avoir levé le nez vers le ciel orageux. La secouriste l’observe en silence, les yeux légèrement plissés pour se prémunir de la pluie qui tombent à grosses gouttes rafraichissantes. « Tu vas finir le cul en l'air sur mon épaule si tu ne me suis pas tout de suite ! » insiste Neal.
Elle secoue la tête, pas vraiment pour lui faire savoir qu’elle n’est pas d’accord. Plutôt avec dépit, d’un air de dire : Tu t’y prends tellement mal mon pauvre…
Non, elle ne le suivra pas. Il est trop tard pour cela. Il lui montre au moins qu’il a compris ce qu’elle cherchait à lui dire, qu’il a décidé de se battre, sauf qu’il ne s’y prend pas de la bonne manière. Mira ne veut pas qu’il se batte contre elle mais pour elle… La différence est de taille.

« Adieu » se contente-t-elle de lui répliquer. Un mot assez dramatique, chargé du pathétisme de cette situation qu’ils viennent de vivre. Elle est passée par toute une série d’émotions en l’espace de quelques minutes, de la rage à la tristesse, de la joie de le revoir enfin après tout ce temps à la déception qu’il ne soit toujours pas en mesure de combler ses attentes. C’est sa faute, elle n’aurait pas du tant fantasmer ces retrouvailles avec l’irlandais…
Mira se détourne et s’éloigne, accélérant son allure, souhaitant mettre au plus vite un maximum de distance entre elle et l’amour de sa vie, le père de Brianna à qui elle allait penser pour le restant de cette journée chaotique.