Des débuts prometteurs...

  Quelques cris de surprises et le temps se suspend aux rythmes des soupires qui s'échangent, des grognements qui s'imposent – ça se bagarre, là, en plein milieu de son salon. Et il hésite, le temps d'une seconde, à se lever pour pouvoir y jeter un coup d’œil. Il choisit d'ignorer mais ça persiste, ça continue de jurer, d'insulter. Ça l'épuise, en vérité. Un soupire, la carcasse qui s'élève, quitte les deux femmes qui s'étaient installées à ses côtés pour rejoindre l'attroupement qui s'est formé. Il s'impose, use de sa voix pour se faire entendre, essayer de taire les hostilités. Mais les choses ont d'ors et déjà bien été entamées – c'est là-dessus qu'ils sont arrivés. La fête a été évacuée, les promesses pour sa nuit envolées. Et, à y songer, il regrette presque de ne pas avoir pu frapper également cet abruti pour qui, aujourd'hui, il se retrouve entre ces murs. L'aiguille de l'horloge continue sa course contre la montre, agace les tympans fatigués de celui qui n'a pas tellement trouvé le sommeil dernièrement. La tournée l'épuise, particulièrement ce mois à Chicago. Il est une présence qui rôde dans les alentours, quelque-part dans un quartier qu'il ne fréquente pas – peut-être. Il pourrait se risquer quelques bonds dans les hôpitaux du coin mais n'y cède, Dorian n'est pas à ce point stupide pour éveiller ce qu'il ressent, ce qu'il ne souhaite pas. Plongé dans ses songes, il n'entend pas, se porte même sur de nouvelles mélodies à composer avant qu'une nouvelle présence ne vienne se présenter. Elle se tient, là, de toute sa hauteur, un regard insistant sur sa personne – il comprend alors qu'elle est l'avocat vers laquelle on l'a dirigé. Parfait. Toutes ses pensées s'effacent aussi, les tourments se taisent et s'entassent dans un recoin de son âme. Main tendue, les prunelles qui ne dévient pas, il lui rend ce sourire qu'elle offre, empoigne dans la foulée les doigts féminins – pas de bague, c'est déjà un bon point. « Monsieur Wrynn, Maître O’Ceallaigh, c’est moi qui m’occupe de vous. Ravie de vous rencontrer, si vous voulez bien me suivre... » Les ascenseurs désignés, il s'y risque à sa suite, lui laissant le privilège de passer devant – malin qu'il est. « Tout le plaisir est pour moi, Maître. Maîtresse même ? » Un sourire, un clin d’œil, les épaules dressées et le costume réajusté, voilà qu'il recommence avec cette manie de vouloir séduire, d'essayer à charmer. S'il savait que l'accent anglais suffit amplement au spectacle auquel il s'adonne à chaque instant – et s'il savait que ça n'apaisera pas la douleur qu'il ressent, que ça n'estompera pas, jamais même, les sentiments qu'il porte en lui lorsqu'il songe à Mason. Mais il essaie, persuadé de ne pas être cet homme-là mais bien celui qu'il a longtemps été – celui qui n'avait pas à batailler avec cette drôle de vérité. Il s'en écarte néanmoins, rapporte son attention sur celle qui se tient à ses côtés – il jurait qu'elle prend sur elle pour ne pas trop le regarder ; Dieu que ça lui plaît, sa fierté retrouve son entièreté.

Néanmoins, il tient un nouveau silence, n'insiste pas encore. Il suit le mouvement, les pas qui mènent jusqu'au bureau dans lequel une familiarité y règne en maître – littéralement. Il fronce un peu les sourcils, suit les notes qu'il connaît par cœur, celles qui ont tant habité son cœur. Elles résonnent, là, encerclées dans un bureau qu'il était prédestiné à rejoindre visiblement ; d'une manière ou d'une autre. Un rictus se forme le long de ses lèvres, une esquisse de sourire tandis qu'il se détourne des enceintes pour n'offrir d'attention qu'à celle qui se trouve dans son dos. « Voyez-vous ça. Ce doit être une journée d'exception pour vous. » Il n'en cache pas ce sourire qui vient s’accroître, cette assurance qui reprend les devants sur la torture qu'il s'inflige en temps normal. Il redevient le sale con arrogant, celui qui aime à faire valoir sa gloire, toute son apogée. Il est là l'animal en quête d'un piédestal toujours plus élevé. « Il semblerait que les grands esprits se rencontrent. Il s'installe enfin, prend place sur l'une des chaises devant le bureau bien ordonné, l'invitant lui-même à faire de même. Ne vous embêtez pas à éteindre, je trouve que cet homme fait un travail d'exception, vraiment. » Il acquiesce pour appuyer ses dires, n'en cache pas son amusement. Bien-sûr qu'il joue là-dessus, bien-sûr qu'il ne s'en lasse pas – c'est comme entendre encore une fois qu'on s'éprend de lui dès lors qu'il use de ses doigts. « Mais là n'est pas la question, revenons-en à nos affaires, Maîtresse. » Le dos rejoint le confort du dossier de la chaise, les mains s'entremêlent sur ses jambes qui se croisent.

  Les notes s'éteignent tout de même, contrairement à son sourire. Il garde ce masque habituel, cache pour l'heure toute la vérité à son sujet – peu sont ceux pouvant se vanter d'avoir vu la réelle douleur sur ses traits. Pour l'instant, il tient le jeu, continue la scène – Dorian persiste sur ce sentier qu'il ne connaît que trop. « Je n’ai pas de journée d’exception, M. Wrynn. » Il en sourit à ces mots, se retient de commenter plus encore mais sait que l'avantage ne lui est pas donné. Elle n'a rien des jeune femmes qu'il côtoie lors de ses soirées, celle qui lui fait face est différente et bien plus professionnelle que d'autres ont pu l'être en sa compagnie. Mais ça lui plaît, il faut l'avouer, l'homme gardant sa place, les mains toujours entrelacées. « Ouais, il se débrouille pas trop mal. Et ce sera Maître, merci. » Un bref rire, il acquiesce, en hausse même les épaules sur l'instant. Soit, partie remise à plus tard pour lui. Il ne s'attend pas à ce que les choses soient faciles, l'a plus ou moins comprit aux traits qu'elle porte. Elle ne fait pas simple, pas délurée. Elle n'a pas ce côté facile qu'il connaît aux autres. Toute cette journée est différente, que ce soit aux faits qu'il doit régler comme à cette délicieuse rencontre qui persiste à lui résister. Alors il se fait à l'écoute, entre dans le jeu qu'elle souhaite mener ; tant mieux, un peu de répit pour celui qui aime à s'occuper en prenant tout sous sa tutelle. Et, de toute évidence, il n'est pas celui qui doit avoir le premier rôle. Pas ici, pas en sachant ce qu'on vient de lui coller sur les épaules après une soirée parmi tant d'autres ; s'il avait su que ça se terminerait ainsi. Non, c'est faux, il se ment, Dorian n'aurait rien annulé. « Maintenant, avant toute chose, puisque je pense que vous savez pourquoi vous êtes là… j’aimerais votre version des faits. » Oh oui il le sait, il ne doute même pas que certains magazines se soient déjà régalés de ces faits – et c'est aussi la raison pour laquelle il se tient là, assuré mais nécessiteux tout de même d'une certaine sécurité. S'en suit alors un soupire, l'esprit cherchant à reconstituer cette fameuse scène et les dires qui l'ont accompagné. Il ne le dit pas encore mais quelques doutes subsistent, quelques absences – ses veines n'étaient pas aussi clean qu'elles auraient dû l'être. Après tout, il n'appelle pas ça « soirée » pour le plaisir mais bien pour ce qu'elle est selon sa définition, un bon instant de perdition. Il doit reconstituer le puzzle depuis le début, depuis l'instant où il s'est levé du canapé jusqu'à cette droite qu'il a dû encaisser – celle qui, heureusement, n'a pas amené de marque sur ses traits au cours des nuits passées. L'impression sur scène n'aurait pas été la même avec des blessures à afficher. C'est qu'il y tient à son image qu'il n'a fait que perfectionner au fur et à mesure de son avancée.

« Dois-je reprendre tout mes faits et gestes de cette nuit-là ou je vous épargne les détails ? » Il ose un sourire, aime à jouer sur les cordes qu'on souhaite délaisser, sur cette réputation qu'il s'est forgé : goujat de première à qui, paradoxalement, il est difficile de dire non. « Je vous taquine, Maître. Il appuie sur le titre, sur celui qu'elle a rappelé à sa mémoire comme s'il l'avait oublié par égard à celui qu'il lui attribuait. Néanmoins, je crains de ne pas avoir grand chose à vous fournir. Il se fait honnête, reprend un tant soit peu son sérieux pour pouvoir avancer sur cette affaire – ils ont à la régler au plus vite, le pianiste peu désireux de voir des billets perdus pour une faute qu'il n'a pas commit. Je me souviens seulement qu'un mouvement de foule s'est créé et que j'ai dû abandonner deux magnifiques jeunes femmes pour pouvoir m'en occuper. Trop de détails, inutiles de surcroît. Quand je suis arrivé, deux hommes étaient en train de se battre – dont ce cher Nikolas qui, ensuite, m'a sauté dessus en m'accusant de coucher avec sa femme. Il a frappé le premier, ils l'ont noté ça ? » Il demande, désigne les dossiers qui traînent sur son bureau avec, certainement, son nom écrit sur l'un d'entre eux. « Au final, je n'ai fait que rendre le coup et la chute a fait le reste. C'est une jeune femme qui a appelé les forces de l'ordre, il me semble. Ils sont arrivés assez rapidement. »

  Les mains de la jeune femme se croise à l'instar des siennes. Il suit du regard ses faits, ses gestes, essaie d'y voir un peu plus clair dans le soupire qu'elle laisse s'échapper d'entre ses lèvres. Curieux, il attend, se fait patient – il vient de faire entendre tout ce qu'il pouvait, n'insiste pas plus sur tout ce qui se trouvait à cette fameuse soirée. Il ne tient pas à aggraver son cas, pas en sachant qu'il n'y survivrait pas – Dorian tient à cette passion qui l'anime, le fait tenir autrement qu'à la maigre force de ses bras. « M. Wrynn. Si vous êtes dans mon bureau, c’est pour que je vous défende. » Il acquiesce, se tait. Elle a été claire sur un point, un seul ; elle est celle qui mène la danse, celle qui guide sur ce sentier qu'il ne connaît qu'à moitié. Ça lui convient et il respecte ses volontés – raison pour laquelle sa voix ne vient pas s'user. « Mais pour que je puisse vous aider, sérieusement, je dois tout savoir… Absolument tout. Rien de ce que vous me direz ne sortira d’ici. À moins que cela ne vous soit bénéfique. Je me fiche de savoir si vous aviez bu, si vous aviez sniffé de la coke ou que vous vous soyez tapé la moitié de la ville… Je veux savoir la vérité sur ce qu’il s’est passé. » Autant dire que les mots ne sont pas mâchés et ça l'amène à rire légèrement en soit. Pas méchamment, seulement de surprise ; rares sont les âmes à oser lui tenir tête et il faut avouer que ce n'est pas un mal. « On va faire, plus simple... On va reprendre depuis le début… » Il ose cette fois, lui laisse entendre qu'elle a toute son attention ; l’avantage reste qu'il en saura peut-être un peu plus que ce qu'il a vu. « Arrêtez-moi si je me trompe, mais je vais essayer de comprendre... Donc, vous avez organisé une soirée. Il y a avait de l’alcool et sans doute plus... Une pause et il acquiesce, ne le cache pas, en cette seconde déjà, Dorian lui accorde assez de confiance pour ne pas divaguer vers quelques mensonges. Après tout, elle a été très claire sur ce point, ce ne lui serait pas bénéfique. Vous étiez...occupé... sur un canapé avec deux jeunes femmes, dont il me faudra le nom bien sûr. Ce qui, en soit, s'avère un peu plus compliqué que ça n'y paraît mais il se tait, lui fera savoir au moment venu. Mais… juste un mouvement de foule ? C’était dans votre salon et vous n’avez rien vu ? Pouvez-vous dire qui a commencé ? Ou avez-vous quelqu’un qui pourrait le dire ? » Un signe de tête à la négative, elle s'y attendait au regard qu'elle dépose sur sa personne. Tant pis pour l'admiration du début, il peut être patient. « En ce qui concerne le fait qu’il soit tombé, c’est un accident, vous n’avez fait que vous défendre… Tout le monde est déjà au courant de cette histoire, ou le sera bientôt. Vous devez montrer que vous ne vous laissez pas faire… On pourrait apporter la preuve de votre innocence et porter plainte pour diffamation... »

Les mots font leur chemin jusqu'à sa conscience et, tandis qu'il y réfléchit, il essaie également de se souvenir sur qui il pourrait compter. Les amis qu'il compte n'étaient pas des plus présents dernièrement – ou alors ne vivent pas ici. Il y perd, pour l'instant – le ressent ainsi. Et ça l'agace, en vérité, ça vient chatouiller ce côté un peu arrogant qui gagne un peu plus en ampleur. « Qu'on soit clair sur certaines choses, oui, ça s'est passé dans mon salon mais je ne me cantonne pas à un misérable studio. Dois-je également rappeler que les yeux fermés et la bouche occupée, étant assit sur un canapé, je n'étais pas tellement en mesure de voir au-travers d'une vingtaine de personnes se tenant debout devant ce pitoyable spectacle avant de venir m'interposer. Elle voulait qu'il soit clair, le voilà à faire tout ce qu'il peut pour l'être, quitte à ce qu'elle ne le regrette. Mais, à y penser, il sait également qu'il n'est sûrement pas le premier client qu'elle reçoit qui puisse différer d'une certaine normalité – voir moralité. Quand je suis arrivé, ce gars s'est mit à hurler que je me tapais sa femme avant de me frapper ; des coups auquel je n'ai répondu qu'une fois. Il est tombé, lamentablement je dois dire, et s'est effondré sur la table basse où il est resté jusqu'à l'arrivée de la police. Je ne peux pas faire plus, Maître. » L'air un peu plus sérieux, l'air un peu concerné. Dorian reprend ses vices en main et choisit de s'offrir une petite pause pour pouvoir tirer tout ça au clair. « Quant à la suite des choses, je compte sur vous pour m'aiguiller. Je ne tiens pas à ternir ma réputation. »  

  « Et c’est vrai ? Vous avez couché avec sa femme ? » Un rire, franc et instinctif. Il maintient sa position, sa posture, mais n'en cache pas l'amusement que provoque chez lui cette question. Si son avocat n'avait pas été cette femme-là, il se doute que la réponse aurait été déjà toute tracée. La personne qui se serait trouvé en face de lui ne l'aurait certainement pas posé, pensant à sa propre vérité quant à sa réputation de tombeur mais, elle, de son côté, elle y vient. Un geste à la négative, l'ambre brun de ses prunelles revient se perdre dans l'azur des siennes, de l’honnêteté. « Non, malheureusement non. Elle n'était pas aussi farouche que je l'imaginais et, au dernier moment, elle s'est mise à pleurer qu'elle ne voulait pas faire ça à son mari. » Il hausse les épaules, ne s'en formalise pas – si la chance n'a pas été saisie, c'est son problème. « Pour commencer, on va s’occuper de ce cas. Voir comment la presse va réagir. » Le plus important, selon lui. C'est qu'il y tient à son image, à son faciès. C'est qu'il ferait n'importe quoi pour les éloges plutôt que les ragots. « Ne rien ébruiter nous-même. Si on arrive à avoir une médiation sans aller au procès ça sera parfait. Mais si jamais, cela est trop médiatisé, suivant la réaction des médias, on avisera. Je ne ferais rien qui ne vous mette dans l’embarras. » Et voilà quelques points de plus pour la confiance qu'il veut lui donner. Les derniers mots terminent par l'assurer que le bon choix fut fait quant à l'agence choisie. Il l'espère, en tout cas, allant à ne pas songer que ces mots peuvent être partout pareil mais pas réellement respectés. Mais ils ont tous les deux beaucoup à y perdre et, au regard qu'elle porte fièrement depuis qu'ils ont franchi la porte de ce bureau, il devine qu'elle ne laissera rien lui barrer la route – gage de sûreté de plus. Raison au sourire qu'il maintient, contemplant la jeune femme qui, quant à elle, s'installe également un peu mieux. « Maintenant, M. Wrynn, parlez-moi de vous... » Le regard traîne un instant, contemple la jeune femme qui s'adresse à lui et qui, d'ailleurs, fait naître une once de surprise le long de ses traits. La question qu'elle délaisse entre eux deux peut porter sur bien des choses, tellement de choses – et s'il sait que cet endroit aux yeux féminins ne relève que du professionnel, il est tenté de répondre autrement. Plus que jamais d'ailleurs en cet instant ; après tout, il a déjà dit ce qu'il savait sur la soirée, que pourrait-il ajouter de plus pour parfaire le rendez-vous sérieux qu'elle espérait peut-être.

« Que je vous parle de moi. » Il s'en redresse, réajuste un peu la veste de son costume en lui faisant face. Les jambes n'ont pas bougées, toujours croisées. Néanmoins, c'est comme si une nouvelle étincelle dans son regard s'était révélée. Il va et vient entre le sérieux et l'abandon, la tentation. De ce qu'il connaît du droit, son dossier doit être l'un des plus ridicules qui soient – il ne risque rien si ce n'est une mauvaise pub mais, eh bien, c'est déjà important pour lui. « Tout dépend ce que vous souhaitez savoir... tout ne dépend que de vous. Il joue, continue sur sa lancée. Dorian retrouve ce manque de retenue qui, depuis son divorce, a fait de lui cet homme qu'il est aujourd'hui. La déchéance de son âme y est pour beaucoup mais force est d'avouer qu'il n'y remédie pas non plus de la meilleure des manières. Si je suis libre ce soir, eh bien oui, tout à fait. Même pour un concert privé, si c'est ce que vous alliez demander. Je ne peux rien vous refuser. » Les mains se croisent, le sourire n'en décroit pas. « A moins que vous entendiez autre chose par là ? » Et c'est très certainement le cas en soit mais flatter et séduire n'ont jamais fait de mal. 

  Ses mots ont le don de l'animer. Il guette, prédateur. Dorian contemple la féline se lever de son trône, s'avancer, ce sourire courtois le long des lèvres qui, néanmoins, en laisse percevoir plus qu'il ne l'imaginait. Elle aime le défi, aime le jeu. Elle aime ce qu'il impose, ce qu'elle vient faire perdurer de sa présence – évidemment. Il l'aurait deviné, aurait pu le parier – et les notes qui résonnaient dans ce bureau même avant qu'il n'arrive lui fait gagner quelques points. Il mise là-dessus, préserve ce sourire absolument assuré, teinté sur des lèvres qui ne s'affaissent pas ; bien au contraire. La silhouette se cale contre le bureau, là, face à lui, offrant une vue imprenable sur de longues jambes dévoilées. Il y perd son regard, gourmand, le sourire un peu plus lubrique finalement. Il tient mais n'en perd pas une miette. Il tient mais ne se cache pas d'admirer – il n'est qu'un homme, finalement, dans toute son entièreté. « M. Wrynn. Je suis votre avocate… je suis déjà de votre côté. Rien ne sert de me corrompre. » Et pourtant, il a bien des idées pour essayer de continuer sur cette voie, la corruption bercée entre ses bras. Le sourire qu'elle lui adresse n'arrange rien à tout ce qu'il imagine. D'autant qu'elle se penche, lui revient – Dorian peine à garder ses yeux dans les siens. C'est autre chose qu'il contemple, autre chose sur quoi il lorgne ; par sa faute, pour la première fois depuis longtemps, il n'est pas celui qui commence complètement. « Maintenant… Je suis libre ce soir aussi. Premier point abordé et sans doute le plus important, ils ont la même soirée devant eux, Dorian y met un point d'honneur, n'en réprimant pas le large rictus qui colore ses traits. Mais qui vous dit que je veux un concert privé ? Disons que… je pratique depuis que je suis petite. Oh, bien sûr, je suis très loin d’être de votre niveau mais avoir un… cours particulier… me tenterais bien... » Un haussement de sourcils, l'homme s'en redresse un peu plus. La langue humecte la lèvre inférieure tandis que l'ambré brun de ses prunelles revient sur son corps, ses courbes, l'entièreté de cet être qui se tient là, à portée. Pourquoi partir quand une partie est lancée ? Non, il n'y cédera pas. Dorian ne passera pas cette porte sans avoir eu le dernier mot, sans avoir pu être celui qui gagne. Il ne perd pas, ne laissera aucune égalité s'imposer. Il doit être celui qui mène, qui guide, celui qui balance la belle dans ce vice dont il aime à user – quitte à ne pas attendre ce soir, quitte à ne pas le pouvoir. « Maître, je vous pensais professionnelle... » La voix un peu plus grave, un peu plus suave – son accent n'arrangeant rien à la prononciation de ses mots. Et Dieu qu'il sait en jouer, diable qu'il est – l'oxymore à son apogée.

« Je peux vous donner tous les cours que vous souhaitez... Là-dessus, c'est à son tour de se lever ; mais il n'avance pas. Non, pas encore. Il tient la distance, s'approprie son regard pour pouvoir continuer à jouer. Il ne devrait pas mais il le fait, il vient d'arriver qu'il dévie déjà sur ce train de vie auquel il s'est adapté – jouer des charmes jusqu'à consumer, parfois regretter. Il ne tient qu'à vous d'en décider, j'ai tout mon temps, Maître. Un pas, rien qu'un pour pleinement la surplomber, garder ce sourire toujours bien ancré. Il tente les choses, les aggrave. Dorian se laisse entrer dans le jeu qu'elle est venue entamer à lui mettre la vue de ses jambes sous le nez. Par quoi vous voulez commencer, hm ? Il demande, s'approche un peu plus. Il prend son courage à deux mains, brave la frontière peut-être un peu trop vite mais les défis sont une passion qu'il s'est créé à la fin de son mariage, dès que son divorce se prononçait. Il a fuit, s'est enterré – le pianiste s'en est remit à la bassesse de ce monde qu'il appelle néanmoins liberté ; loin d'accepter qu'il soit seulement en train de se cacher. Il refoule une vérité bien inscrite. Une vérité qui le consume au plus profond de lui. Non, il ne le dira pas, ne l'assumera pas – et surtout pas ici. Les mains s'appuient sur le bureau, l'amenant à se pencher un peu sur elle, chacune posée de part et d'autre de la joueuse qui s'est révélée. Alors, dites moi, Maître, what is it that you truly desire ? » 

  C'est jouer avec les sens, faire perdurer l'instant. Il le voit dans son regard, à la manière dont les yeux se posent sur lui, détaillent sûrement chaque parcelle de ce qu'il lui laisse à portée. C'est sa manière de taire la douleur qui erre d'ordinaire, se perdre sur d'autres âmes avec la nette intention de se perdre lui-même. Dorian y vient, plus proche qu'il ne devrait l'être, davantage entre ces murs. Il n'était pas là pour ça mais se laisse tenter, elle le provoque à essayer. Mais les gestes sont rattrapés, la main féminine vient l'écarter. Bien-sûr, il aurait dû le parier. L'homme s'est trop avancé, persuadé d'avoir toutes les cartes en main, persuadé d'être celui qui mène en s'y laissant entraîner. Elle est forte, plus douée qu'elle n'y paraît. Elle sait faire patienter, elle sait tentée, elle sait user de ce même attrait qu'il pensait implacable jusqu'alors. Il s'est trompé. La femme qui lui fait face n'a rien à voir avec celles qu'il côtoie d'ordinaire – elle en est bien loin. « Ce que je veux, M. Wrynn ? Que vous soyez patient. C'est trop lui demander en laissant sa main se perdre contre lui, instaurer sa présence ne serait-ce qu'en le touchant, en se risquant à l'effleurer. Elle attise mais le fait reculer, et reculer encore. Je ne blague pas, je fais vraiment du piano, et apprendre avec un virtuose comme vous serez un honneur… L'ego qui grossit un peu plus, la fierté qui s'en abreuve de la pire des manières. Elle le fait se complaire dans ce jeu, à tel point qu'il en devient plus compliqué pour lui de ne pas insister. Quant à comment le cours pourrait finir… cela dépendra de votre patience. » Un haussement de sourcils à se parie qu'elle fait implicite, Dorian acquiesce simplement, lui faisant comprendre qu'il peut jouer sur cette pente-là également mais elle s'en défait avant qu'il n'ait un nouvel élan d'audace pour enchérir un peu plus. La main se défait de son épaule, la proximité se défait. Il contemple seulement, garde un œil sur la silhouette féminine qui se tient désormais à l'écart. « Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai d’autres rendez-vous. Je connais votre adresse. 9:00 ce soir, ça vous va ? Vous tiendrez jusque-là ? » Un petit rire brave la frontière de ses lèvres tandis qu'il réajuste son costume, qu'il retrouve sa pleine hauteur. La partie est remise à plus tard et il ne reviendra pas là-dessus, avouons le un peu déçu tout de même de ne pas avoir réussi à la faire craquer.

« Très bien. La veste qui se ferme et les mains qui rejoignent les poches. Il n'ose plus un pas, ne franchie pas cette ligne à nouveau, pas encore. Il s'en tient à ses dires, il s'en tient à ses paroles. Dorian jouera le jeu, jusqu'au bout. Vous décidez, Maître. » Bref sourire et les pas qui reviennent se perdre jusque la porte, quelques pas à peine avant qu'il ne marque un petit temps d'arrêt. Il ne fait pas volte-face mais sait aisément que sa voix saura porter jusqu'à la jeune femme qu'il délaisse au moins jusqu'à ce soir. « Je suis un homme patient, miss O’Ceallaigh. Une affirmation qu'il délaisse dans le bureau avant de reprendre. N'oubliez pas de remettre un peu de musique. » Et c'est là-dessus qu'il s'éclipse, songeant d'ors et déjà à cette soirée. Non pas qu'elle lui importe réellement mais l'amusement est toujours bon à prendre, davantage quand le défi se fait de taille.