GOODBYE FRIENDS, HELLO STRANGERS
Louis et moi sommes nés un vingt décembre, San Diego, Californie. Moi d’abord, lui ensuite, même si à cette époque là, Louis était encore Meredith. Elizabeth Moore, voilà le prénom que mes parents m’ont donné. Catholiques, qui ne s’aimaient pas vraiment, j’ai appris bien plus tard que mes parents n’étaient pas près pour ça, pour moi, et encore moins pour nous deux. Louis, qui leur a fait une surprise le jour de la naissance puis plus tard, quand il décidera qu’il n’est pas elle mais lui. L’annonce de la grossesse de ma mère les avait poussé à se marier, pour ne pas faire de vagues.
Nous n’étions pas très riches, mais pas complètement pauvres non plus. Ma mère passait son temps entre l’église et les voisines, mon père était au travail ou devant la télé à la maison. J’ai appris à conjuguer avec une vision de la famille assez particulière, ce manque de cohésion nous a poussé, Louis et moi, à chercher en l’un et l’autre ce qu’il nous manquait quand on rentrait à la maison. Ma vie n’était pas transcendante, mais c’était bien comme ça, amplement suffisant.
Je ne sais pas quand ça a commencé, mon cerveau doit encore aujourd’hui faire une impasse. Mon père était flic, respecté qui grimpait les échelons tranquillement. Employé remarqué et remarquable, il avait le profil du parent parfait, à qui on pouvait avoir confiance. Si j’avais raconté ce qu’il se passait entre les murs de notre petite maison résidentielle, personne ne m’aurait cru. Si j’avais dis qu’il buvait un peu trop, parfois, certains soirs, si j’avais dis qu’il avait la main bien trop leste, les mots trop durs, souvent, on ne m’aurait pas crue. Peut-être que j’aurais du tirer la sonnette d’alarme, mais nous étions enfants et je ne suis même pas sure que ma mère aurait eu le courage de se tenir entre lui, et nous. Je leur en veux, tous les deux. L’un pour sa violence et l’autre pour sa lâcheté. Ils auraient mis ça sur le compte de l’alcool, j’imagine. Mais les bleus et les fractures les plus importantes n’étaient généralement pas ceux résultants d’un délire éthylique de mon père. Et il n’était pas alcoolique, non. Sa violence était amoindrie par l’alcool, qui le rendait pataud, lent, soudain on pouvait l’esquiver. C’était déjà ça.
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J’ai toujours aimé la musique. Tous les moments où ça n’allait pas, et c’était assez souvent, c’est dans la musique que je me plongeais. J’ai vite compris que ça n’était pas seulement une question de goût, je le sentais en moi, dans les frémissements que je ressentais à l’écoute d’un instrument parfaitement exécuté ; ça devait faire partie de moi. J’avais un talent, et j’ai eu de la chance, celle d’avoir l’oreille absolue. Ce n’est pas mes parents qui m’auraient mis un instrument entre les mains. Mon père refusait d’en entendre parler et même si je suppliais ma mère de me laisser prendre des cours, de n’importe quel instrument j’entends, elle ne me l’aurait jamais permis. Elle avait trop peur de mon père de toutes façons, même si elle avait eu envie de braver sa cruelle autorité.
J’ai eu de la chance d’avoir un professeur passionné et compétent, capable de déceler ces choses chez ses étudiants. C’est grâce à lui que j’ai pu toucher mes premiers instruments, le piano, la guitare, violon et plus tard violoncelle, qui est encore aujourd’hui mon instrument préféré. Je n’ai pas pu intégrer une école de musique, bien sur, mais j’ai eu la chance que ce professeur m’accompagne durant mes études. Il me permettait de me raccrocher à quelque chose.
Ø
Ma mère est morte jeune. Louis et moi n’avions que neuf ans, à peine. Elle est morte en accouchement de notre petit frère. Neuf ans d’écart, après leur premières erreurs de jeunesse, un nouvel enfant. Evidemment : l’avortement était interdit. Alors je savais pourquoi il était là. On est donc restés sous l’autorité de mon père, lequel n’avait plus aucune raison d’attendre le départ/coucher de ma mère pour exercer sa colère sur nous.
On a fait ce qu’on a cru être bon de faire. Dès qu’on a pu se faire émanciper, on a sans peine réussi à faire signer notre père. Après tout on ne lui rapportait rien, absolument rien. On était jeunes, nous avions peur, on en avait assez et je grandissais. Je voyais bien que ses regards changeaient quand il m’observait. Et ne parlons pas de Louis. Mon père faisait comme s’il n’existait pas. Il ne lui a jamais dis, a attendu qu’à nos quinze ans, on puisse s’en aller. On a vécu chez une tante, plus jeune sœur de ma mère qui n’habitait pas loin. Aujourd’hui je me demande, si on était restés auprès d’Emerson, est-ce que ça aurait changé quelque chose ?
Nous émanciper nous a permis de vivre. Partir de chez nos parents a été notre vraie naissance. Nous avons pu aller en cours de manière assidue, Louis a finit par s’accepter, j’ai pu avoir mon propre instrument. Ma tante a été d’une infinie générosité, rien ne l’obligeait à accepter deux enfants déserteurs. On a essayé de lui rendre la vie la plus facile possible. J’ai encore du mal à croire que ma mère et ma tante aient étés de la même famille.
Ø
Régulièrement, je venais voir Emerson. Je jouais un peu le rôle de nounou, mon père n’était pas souvent là, toujours occupé à son fichu boulot. Je voyais bien qu’il n’avait pas arrêté ses activités. Je me sentais terriblement coupable. J’ai bien essayé de retirer mon petit frère de cet endroit, mais jamais mes requêtes n’ont aboutis.
J’ai pas pu continuer mes études, bien sur. On n’avait pas assez d’argent, pour que Louis et moi allions tous les deux à l’université. Je me suis mise à bosser dans un magasin de musique, Louis lui a poursuivi des études de droit.
J’ai eu 22 ans. On essayait encore d’extraire Emerson de chez mon père. On lui parlait de l’émancipation, lui aussi. Il aurait pu venir avec nous, on se serait démerdés, j’avais prévu de louer un truc pour qu’on puisse vivre tous les deux, tous les trois si c’était assez grand. C’était un de ces soirs normaux, mais cette fois j’avais les papiers d’émancipation avec moi. Emerson avait peur mais j’avais préparé mes arguments.
C’est en poussant le portail grinçant de la maison que j’ai entendu ce bruit venant de la maison. Une sorte de détonation. Ça venait de la maison alors j’ai couru pour trouver mon petit frère, une arme à la main et mon père au sol, en train de crever dans son sang.
Emerson tremblait. C’était l’arme de service de mon père. Le choc m’a saisie et mon esprit s’est mis à calculer à toute vitesse ce qui allait se passer, ils allaient l’emmener, les collègues de notre père allaient débarquer et leur loyauté parlerait. Je ne leur ai pas laissé le bénéfice du doute, j’ai agis par instinct. Je me suis dis qu’il était hors de question que mon frère de quatorze ans ne se fasse arrêter, ruine sa vie, pour mon père alors qu’il s’était défendu.
J’ai fais ce qu’il fallait. J’ai arrangé la scène de crime comme je le voulais, pour diriger les preuves contre moi. Ça n’a pas été compliqué, j’ai nettoyé l’arme pour déposer mes empreintes dessus, barbouillé mon t-shirt de sang. Je pleurais d’avance, pour la suite, pour le traumatisme de mon frère, parce que j’avais peur. Mais j’étais déterminée, je l’ai toujours été. Et avant que je comprenne réellement ce qu’il venait de se passer, j’avais le téléphone à l’oreille.
Je m’appelle Elizabeth Moore. J’ai tiré sur mon père, Reagan Moore. Je crois qu’il est mort. Ø
Je ne sais pas ce qui a été le pire, le moment, l’arrestation, ou le procès.
J’ai eu raison de ne pas leur accorder le bénéfice du doute. Mon procès, mon histoire, mon visage et ma vie, toute ma vie privée a été exposée à tort et à travers dans les médias. Eux non plus ne m’ont pas laissé l’ombre d’une chance. La presse a été hargneuse, la ville et surtout mon quartier aussi. J’avais tué mon père, un bon flic, respecté. Je n’étais pas la fille parfaite, quelque part, j’étais responsable. L’opinion publique ne s’est pas privée de me détruire. Je voyais mon visage aux infos, dans les journaux, on parlait de moi comme si on me connaissait par cœur. En quelques jours le pays s’était fais une opinion de moi particulièrement acérée.
Louis m’a soutenu pendant tout le procès. J’ai eu un avocat performant et j’ai été condamnée pour homicide involontaire. 4 ans de prison, plus un an entre l’arrestation, le procès et le verdict. En tout et pour tout j’ai passé 5 ans en prison, enfermée à la
Central California Women's Facility.
J’ai perdu du poids, j’ai sombré dans la dépression. Mais j’avais la chance d’avoir Louis, Emerson et ma tante Donna. En sortant de là-bas, cependant, j’ai compris que mon calvaire ne s’arrêterait pas comme ça, je croyais qu’on m’avait oubliée mais visiblement ma sortie annoncée a réveillé le monde autour de nous. J’ai mis quelques mois à me constituer une nouvelle identité, mon avocat, un ami de Louis, a été une nouvelle fois assez performant pour ne pas faire trainer les choses en longueur. J’ai choisi de m’appeler Judith Williams et d’être né au Texas, à Austin. N’importe ou ailleurs. J’ai seulement gardé ma date de naissance, comme pour garder avec moi le lien que j’ai avec mon frère jumeau.
Ø
« Hm… C’est toi qui choisi, allez. —
J’ai pas vraiment de choisir où est-ce que tu seras, sans nous, Elizabeth.—
Judith. C’est Judith maintenant, Louis. »Il a poussé un soupir, je lui ai souris.
« Vous serez mieux sans ma présence partout autour de vous. Ça t’évitera de déménager encore une fois. » Louis a ouvert une carte du pays et l’a observée attentivement.
« Au hasard ?—
Au hasard. —
J’arrive pas à croire qu’on fait ça. »Il a tourné son doigt au-dessus de la carte, fermé les yeux et fait reculer l’échéance un long moment, un peu tremblotant. Il a finit par poser son doigt et je n’ai pas regardé tout de suite. Je lui ai laissé m’annoncer.
« Chicago. Judith Williams, jolie texane de 28 ans, tu débarques à Chicago.—
Tu vas me manquer Louis. »