happy
Dylan, Moira et Troian sont heureux de vous annoncer la naissance de SAOIRSE HARPER FULLER, qui a pointé le bout de son petit nez à 03h08 lundi 12 août 1988 !
La puce ne pèse que 3.10 Kg pour 48.3 cm, mais elle sait déjà comment obtenir ce qu'elle veut ! Troian ricane en tendant le faire-part de naissance à sa cadette qui l’imite avant de lui asséner un petit coup de coude dans les côtes, prétendant être vexée. Saoirse attrape ensuite quelques photographies jetées pêlemêles dans le carton posé entre elle et sa sœur qui prend la parole.
«
C’est vrai qu’à cette époque déjà, tu braillais tout le temps. J’ai essayé de t’étouffer avec ton doudou, tu le sais ? » «
Tu me l’as dit à peu près…hm…un millier de fois ? » répond la petite blonde dans un haussement d’épaule, le nez froncé dans une grimace moqueuse. «
Oh, regarde celle-ci ! On était au zoo… Ew… Qu’il est laid ce singe… »
Bien évidemment, c’est Troian qu’elle vient de désigner sur le papier glacé, et l’intéressé se contenta de rouler des yeux avant de lui voler le cliché des mains pour l’observer à son tour. Elles se passent encore quelques photos, dessins et bricolages de mains en mains durant une quinzaine de minutes, triant les souvenirs matériels que Saoirse emporterait avec elle à Chicago. Cette partie a été expédiée plus rapidement que le tri de ses vêtements, chaussures et sacs à mains, mais ça l’a nettement plus chamboulée… Sauf qu’elle ne l’admettra jamais. Plutôt mourir. Personne ne doit douter de sa motivation à quitter le cocon familial qu’elle a qualifié d’étouffant... Elle a crié sur tous les toits qu’elle était ravie de s’en aller pour vivre la Grande Vie en Amérique et qu’elle était forte et indépendante. Son égo ne supporterait pas un retour en arrière à présent.
«
Tu as pris ton appareil ? »
«
Je le prendrai au dernier moment » répond Saoirse en jetant un coup d’œil vers son Reflex qui trône comme toujours sur sa table de chevet, entouré de plusieurs pellicules encore vierges.
«
OK ! T’as pensé à ta crème solaire ? »
«
Oui, maman » marmonne la jeune femme en refermant le carton qu’elle va emporter avec elle en Terre Inconnue…
Sa sœur marque une pause, une moue bougonne apparaissant sur son visage un peu plus rond que celui de sa cadette. Cette dernière souffle sur la mèche de cheveux qui s’est échappée de ses deux nattes et retombait devant ses yeux clairs, puis se redresse, les poings sur ses hanches fines.
«
Voilà ! J’suis parée ! » «
Et la boîte ? » «
Hm ? » «
La boîte… »
Saoirse suit son regard, les sourcils froncés, mais peu à peu, les traits de son visage juvénile se détendent, laissant place à une expression un peu rêveuse. Elle détourne le regard du sommet du placard que lui désigne sa sœur, un peu gênée.
«
J’en sais rien… » «
Tu peux toujours la laisser là et puis… » «
J’en sais rien j’te dis ! Je verrai » s’agace Saoirse. «
Bon, bon, d’accord ! Fais comme tu veux. »
Un silence un peu pesant tombe entre les deux sœurs qui n’osent plus se regarder. Finalement Troian trouve une excuse pour quitter la chambre de sa sœur fait mine de mettre un peu d’ordre dans sa chambrette pleine de cartons, sacs et valises. Elle lui parait vide. Elle lui parait appartenir à quelqu’un d'autre maintenant…
Saoirse prend une longue inspiration et s’approche d’un pas décidé de son placard. Elle se hisse sur la pointe des pieds pour attraper la vieille boîte à chaussure qui lui a été confiée il y a des mois par une bonne femme sortant de prison et qu’elle n’avait jamais vue. La femme qui lui a assuré être la mère de son demi-frère, Cillian. Saoirse ne l'avait évidemment pas prise au sérieux. Son père n'aurait jamais trompé sa mère ! Furieuse, elle avait envoyé la femme se faire voir et avait tout raconté à son père le soir-même, sur le ton de la plaisanterie. Sauf que son père n'avait pas ri du tout, au contraire. Il avait tout à coup parut extrêmement gêné et lui avait demandé de ne rien dire à sa mère... Elle avait tenu bon. En revanche, elle avait finit par mettre Troian dans la confidence.
L’adolescente retourne s’asseoir sur son lit et dépose précautionneusement la boîte à chaussures près d’elle. Elle l’ouvre avec respect et reste un moment immobile, le nez penché sur les nombreuses lettres qui se trouvent à l’intérieur et ont été rédigée par le garçon. Comme à chaque fois, le cœur de Saoirse se pince douloureusement. D’une main fébrile, elle attrape l’une des lettres et la déplie avec soin pour lire l’écriture maladroite et quelque peu effacée par les années. Le papier est abimé, jauni et a été tellement plié et déplié qu’il se déchire par endroits.
Elle a le temps d’en lire trois avant que sa mère, Moira, ne l’appelle pour passer à table. La jeune femme fait donc disparaitre les lettres dans la boîte à chaussure mais, au lieu de la replacer sur l’étagère poussiéreuse de son placard, elle la dépose dans une de ses valises.
Saoirse la referma ensuite, un sourire flottant sur son visage doux.
Est-il utile de préciser que Cillian a grandi et vit aux États-Unis ?
La peur. Un sentiment tyrannique, étouffant et pourtant impératif à la survie. Lorsque la peur parle, la repousser, la nier serait une erreur. Elle est un système d’alarme tout à fait efficace et bénéfique. Elle est porteuse d’un message primordial et lutter serait vain. La peur n’est pas gérable. C’est une sonnette, un indicateur de danger imminent. Elle ne doit pas dominer la personne mais lui permettre de repérer un problème et d’analyser une situation. Fuir ? Se battre ? Quelle est la meilleure option ?
Saoirse essaie vainement de se raisonner et de suivre les conseils de l’homme qu’elle a eu l’occasion d’entendre lors d’une conférence organisée par son université au début de l’année. La conférence portait sur les dangers du métier de médecin de guerre, et un ambulancier retraité ayant été retenu prisonniers pendant des mois dans un pays au nom impossible à prononcer pour elle avait pris la parole durant des heures. L’étudiante avait été fascinée et son stylo n’avait pas cessé un instant de courir sur le papier. Sauf qu’aujourd’hui, elle n’arrive pas à se concentrer assez pour faire revenir tous les précieux conseils du vieil homme à la surface pour les rendre efficaces.
Parce qu’aujourd’hui, elle vient d’être victime d’un crash d’avion. L’homme n’a absolument pas parlé de ça ! Il a parlé d’arme à feu, d’explosion, mais pas de crash d’avion !
A nouveau, les épaules frêles de la jeune femme sont secouées par un sanglot douloureux et un gémissement plaintif s’échappe de ses lèvres déformées par une grimace. Les larmes que l’étudiante en médecine n’arrive pas à ravaler ont creusées des cillons blancs sur ses joues barbouillées de mascara. Elle n’est pourtant pas du genre trouillarde. Saoirse n’a jamais été pleurnicharde et se vante même d’être une femme forte, aventureuse et sans failles. Sauf qu’évidemment, avant aujourd’hui, elle n’avait jamais réellement eu à se mettre à l’épreuve et à se confronter à ce genre de situation…
D'ailleurs : comment a-t-elle pu passer de "Je suis assise dans un avion pour aller faire un saut en parachute avec mes potes" à "Je suis la seule seule et blessée, je ne sais où, à deux pas de la carcasse d'un avion" ?
Un nouveau sanglot vient interrompre le cours de ses pensées et écorche sa gorge nouée par l’angoisse. Elle manque de s’étouffer dans sa propre salive et est prise d’une quinte de toux. Glamour. Par réflexe, elle porte son poing à son visage pour couvrir sa bouche, et réalise alors à quel point il lui est finalement aisé de bouger... Elle peut le faire. Elle peut bouger et elle DOIT bouger.
Alors c'est ce qu'elle fait, sans plus perdre davantage de temps. Saoirse s'arrête aussi de pleurer. Elle ne va pas pouvoir se bouger et pleurer en même temps, il faut faire un choix et elle fait celui de ravaler ses larmes pour se montrer efficace. Elle ne peut plus rien faire pour David, elle l'a deviné il y a un moment déjà. Il a perdu la moitié du visage lorsque l'avion s'est écrasé, sur le toit, et a glissé sur plusieurs dizaine de mètres. Mais il y a peut-être encore une chance pour Axel. Prenant son courage à deux mains, elle retourne donc vers la carcasse encore fumante de l'appareil pour l'en extirper et essayer de lui sauver la vie.
«
Voilà en gros l’histoire de ma vie » soupire-t-elle en rejetant ses cheveux blanc en arrière dans un geste savamment étudié. «
C’est depuis cet accident d’avion que tes cheveux sont blancs alors ? » «
Non. Enfin si, mais pas tous mes cheveux. J’ai une mèche qui est naturellement blanche devant, le reste c’est une couleur. Ça me donne un petit côté Targaryenne assez sexy, non ? » minaude Saoirse en jouant avec sa bouteille de bière dont elle a déjà arrachée l’étiquette. «
Ouais… Ça pour être sexy… » lui sourit sa conquête de ce soir en ne se privant pas de jeter un regard lubrique du côté de son décolleté. «
Et j’adore ton accent. » «
Merci. Le tien n’est pas mal non plus Greg. » «
Désolé pour ton ami... Et l'autre, tu as pu le sauver ? » «
Oui, oui. Mais il a dû renoncer à sa carrière dans la médecine. Sa main a été très abimée. » «
C'est vraiment dommage... Et au fait : ton frère caché, tu l’as retrouvé ? »
Le sourire de la jeune femme se fane tout à coup et son estomac se tord presque douloureusement. Si elle a trouvé Cillian ? Elle n’a même pas osé le chercher en réalité. D’abord, elle s’est dit qu’elle allait attendre d’être bien installée pour le faire, et puis elle a trouvé l’excuse de ses études prenantes pour ne pas s’y mettre. Ensuite le temps a passé et elle a commencé à vraiment avoir peur. Peur d’être déçue en le rencontrant et peur de le décevoir aussi. Elle sait que c’est stupide et que tout ce qu’il veut, c’est apprendre à connaître ses deux sœurs (du moins, c’est ce qu’il disait dans ses lettres), mais Saoirse n’est pas parvenu à se lancer.
«
Non. » «
Merde. C’est con ça… » «
Si on arrêtait de parler et qu’on passait aux choses sérieuses ? » lâche-t-elle du tac-au-tac. «
Je pensais que tu voulais pas mélanger vie privée et vie professionnelle ? » lui rappelle le radiologiste avec qui elle a finit par se retrouver seule dans le bar pas loin de l’hôpital où elle fait son internat en médecine d’urgence. «
On t’a jamais dis que les femme changent d’avis comme de chemisier ? »
Son interlocuteur termine sa bière d’une traite et récupère sa veste sur le dossier de sa chaise pendant que Saoirse enfile son écharpe, prête à mettre les voiles et s’envoyer en l’air. Le temps qu’elle ait terminé de se préparer, son futur amant est en train de régler leur addition.
«
Laisse un gros pourboire. Le barman est cool » lui demande-t-elle en enfilant son bonnet avant de mettre les voiles, ne se doutant pas une seule seconde que le barman en question s’appelle Cillian Featherstone et qu’il s’agit de son demi-frère…