Enjoy the silence
— Ferme là. Bon sang, ferme là j't'en prie. Se balancer d'avant en arrière, mains plaquées sur les oreilles, comme si ça allait changer quelque chose à cette douleur qui n'en finit plus. Et de ça, résulte une rage profonde, de celle qui vous bouffe et qui grossit aussi vite qu'un jeune amerloc qui se tape des MacDo' à longueur de temps. Je vais exploser, hurler à mon tour, tout défoncer autour de moi si ce gamin n'arrête pas de chialer tout de suite.
Gamin étant le fils de ma tante, âgé de 4 mois et qui hurle à n'en plus finir depuis cinq minutes. Cinq putain de longue minutes.
Atteinte d'une hyperacousie depuis gamine, chaque bruit devient insupportable pour peu qu'il soit un poil trop fort. Et là... bordel de merde.
— Taylor ? — QUOI ! Putain il veut pas …. MERDE !Je me lève avec rage, toujours mains sur les oreilles, cœur battant. J'ai envie de vomir, j'ai envie de pleurer. Non en fait, je chiale déjà. C'est insupportable. Le moindre bruit le devient, une cuillère contre une tasse, une porte qui claque. Là, à l'heure actuelle, absolument TOUT est invivable.
Mon frère me suit jusque dans la chambre au fond de la maison, le plus loin possible de celle du gosse.
— Ca va ?— Chut. J't'en prie parle pas. Bouge pas. Respire pas. J'exagère parce que j'ai toujours cette rage qui me donne la gerbe. Je me passe les deux mains sur le visage, marchant de long en large dans la pièce. Une migraine commence à se pointer, là, insidieuse, de chaque côté de mes tempes. D'un geste rageur, j'éteins la lumière de la pièce.
— Y a pas des boule quies ? — Non, j'ai déjà demandé à tatie... — Fais chier. Mains dans les cheveux.
J'vais craquer Luca.— Attends, bouge pas. Non, j'bouge pas. J'veux plus bouger. Je rêve d'un monde sous silence où rien ne viendrait m'agresser les tympans et le cerveau. Drôle de façon de fêter la naissance d'un petit cousin hein?
Luca revient presque aussitôt et je le laisse s'approcher alors qu'il me glisse quelque chose dans chaque oreille.
Des boules de coton.
Les bruits s’épaississent, deviennent sourd, comme s'ils provenaient de très loin. Je cligne des yeux lâchant un soupire fébrile et tremblant de larmes.
Je vis cet enfer depuis que je suis gosse et après 23 ans de calvaire auditif, il m'arrive de ne pas avoir de quoi gérer la situation. Il suffit que ça soit un mauvais jour et j'ai la sensation que tout est décuplé. Je ne peux pas nié que ce problème a été en partie responsable de mon caractère de chien.
Je suis de Chicago et j'ai toujours vécu là-bas. Mes parents sont toujours ensemble, j'ai un grand frère casse-couilles mais je tuerai le premier ou la première qui lui fait quoi que ce soit. Bref, à part cette intolérance aux bruits, je n'ai pas eu une enfance incroyable. J'ai fais dans mes couches comme tout le monde, j'ai au moins mordu ou tabasser un de mes camarades comme tout le monde... et j'ai aussi tapé ma crise d'ado existentielle de « Personne ne m'aime, vous êtes tous des cons et j'vais me barrer à l'autre bout du monde ». Le seul truc qui m'a particulièrement marqué c'est quand j'ai annoncé à mon père mon homosexualité quand j'avais 14 ans.
Repas de famille – enfin, de famille... faut pas pousser, on était 7 -, mon frère et moi étions entrain de nous prendre la tête pour énième connerie et cet enfoiré à simplement lâché en plein repas...
— T'arrête sinon j'dis à papa ce que tu veux pas lui dire...Silence dans la pièce. Regards braqués direct sur moi. J'aurai donné n'importe quoi pour pouvoir disparaître comme Harry Potter avec sa cape d'invisibilité mais sous la nappe.
— Qu'est-ce que tu voulais me dire Taylor ? — Ri... Rien. C'est lui il raconte des conneries. — T'es sûre ? Si tu veux j'lui dis moi-même ! — Ta gueule ! Tu la ferme !Je grimace, je me fais moi-même du mal.
— Taylor aime beaucoup … Il n'a que 16 ans. Il est jeune, il est con, il veut me faire chier et ne se rend pas compte des répercutions que l'aveu peut avoir. Mais surtout, il ne se rend pas compte dans l'état de stress dans laquelle il me plonge à 14 piges.
J'ai sauté de ma chaise en lui saisissant le col, prête à lui coller mon poing en plein visage mais ma mère est intervenue juste à temps. Hurlant au calme, à la politesse parce que bon dieu, nous sommes en repas de famille ! Je suis de toute façon déjà entrain de plaquer mes mains sur mes oreilles pour qu'ils se taisent tous et que ma mère arrête de gueuler. Personne ne se rend compte que même un haussement de voix peut devenir insupportable.
Je m'isole dans ma chambre, mes parents ne tardent pas à suivre derrière. Et la bombe est larguée. J'ai pas attendu 150 ans à tourner autour du pot. Et à 14 ans, ça leur paraît jeune, trop jeune pour savoir ce que tu aimes avoir au pieu ou pas.
— Mais... tu n'as jamais essayé. Comment tu peux savoir si t'es gay ou pas ?— Bah c'est comme toi ! T'as su que t'aimais les nanas avant même d'essayer non ? Alors pourquoi j'devrais attendre pour le savoir. — Me parle pas sur ce ton Taylor. Et arrête tes conneries, t'es juste en pleine crise d'ado à vouloir suivre leur putain de mode. Quoi, t'as embrassé une fille et ça y est t'es émoustillée ? C'est comme être le Titanic et se prendre l'Icerbeg en pleine gueule. Ma mère n'a rient dit jusqu'à ce que mon père quitte la pièce après avoir gueuler toutes ces saloperies.
Elle, elle s'en fou. On en a parlé pendant une heure, j'ai craché, pleuré, mal digéré ce que m'avait balancé mon père mais j'avais au moins le soutient maternelle pour passer ce cap. Et je crois qu'elle a été un élément majeur pour faire pencher la balance avec mon père puisqu'il a finit par plus ou moins accepté. Encore aujourd'hui, je ne sais pas s'il le vit bien ou non.
Aujourd'hui?
Rien à signaler. Ou presque.
Mise à part que mon meilleur pote doit encore être à l'autre bout du monde et que j'ai une putain d'épée de Damocles au-dessus du crâne... ouais. Rien.
La vente de médicaments. Jamais lorsque j'ai commencé mes études de médecine, je ne me serais vu dans une merde pareille à devoir vendre des cachetons pour me faire plus de thune et surtout, plus vite.
Un frère. Une faillite. Un gang. Une dette.
4 mots et votre vie est foutue.
Je me demande parfois pourquoi j'ai fais en sorte de prendre la charge de cette dette à sa place. Puis je repense à son fils, à mon neveu, à toute cette vie de famille que Luca est entrain de construire.
Entre sa vie et la mienne, celle qui mérite de vivre ? C'est déjà vite vu. J'ai personne, quelques amis que j'ai à peine le temps de voir entre l'hôpital et chez moi. Une petite amie? Grosse blague. Pas le temps.
Quoi qu'il en soit, j'ai les KoS au cul dont un gros malabard qui me rappelle à chaque rencontre que le temps s'écoule et donc, la durée de vie de mon frère avec.