TITRE DE VOTRE HISTOIRE
- Vous êtes certaine qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter ? - Certaine. La frontière est mince à cet âge-là. Vous savez, il y a des enfants de son âge qui font bien pire que de remplacer l’eau du chat, par du détergeant. Mélanie Whalley glisse ses prunelles sombres vers celles de son mari qui, avec un effort peu convaincant et peu convaincue, tente de la rassurer d’un sourire.
Doivent-ils préciser que l’enfant ne s’est pas contenté de remplacer le liquide mais plutôt de le mélangé avec le lait, comme pour être certaine que l’animal ne détecte pas la forte odeur des produits chimiques. Et quand bien même cela n’a pas suffi à duper l’animal, Mélanie n’est pas sereine quant à l’équilibre mentale de leur fille adoptive. Une mère
sent ces choses-là, pas besoin de partager les mêmes gênes pour avoir l’instinct, ce sixième sens qui la pousserait à croire que son enfant n’est pas
normalDesmond et elle ont d’abord pensé à l’autisme de par son asociabilité évidente, de ce mutisme parfois étrangement pesant avant qu’un spécialiste ne démonte avec assurance leur doute. Alors, quoi ? Ne lui donne-t-elle pas assez d’amour ? N’était-elle pas assez présente ? Son métier de libraire ne lui prend pas trop de temps, avec des horaires réguliers. Desmond travaille même parfois de la maison, n’ayant pas besoin de se déplacer sur place pour créer ses designs de site web en tout genre. En somme, les deux parents sont là, régulièrement. Ont entouré cet enfant d’amour, de tendresse, de présence et malgré ça, Mélanie est prise d’un doute. On lui a pourtant assurer qu’aucune déviance mentale n’a été décelée chez les géniteurs de la gamine.
- Cameron a des soucis à l’école ? - Hm. Le père remonte ses petites lunettes cerclées de métal sur ce nez aquilin. Trois fois rien, des broutilles entre camarade de classe ?
- Vouloir lui couper les cheveux pendant sa sieste et lui faire manger la merde des pigeons, c’est ce que tu appelles trois fois rien Desmond ?- Chéri, ce ne sont que des gamins. Mélanie est excédée par le comportement de celui qui partage sa vie depuis plus de quinze ans maintenant. Desmond, quant à lui, préfère éviter une énième dispute à ce sujet. Encore moins devant la pédo-psychiatre scolaire.
- Je vais en toucher deux mots à la directrice, Mme Whalley. Mais le comportement de votre fille pourrait s’expliquer si effectivement elle est sujette à ce genre de… taquinerie. Taquinerie, hm ?
Harcèlement.
Violence.
Douleur.
Torture.
Sang.
Cameron verse le contenue du jus de citron de Ruben dans l’évier, jetant de fréquent coup d’œil vers la porte de la petite pièce, là où elle est censée se reposer après s’être plainte de maux de ventre. Elle pense à tous ces mots cruels qu’elle a lu dans le dictionnaire et qui ont, à ses oreilles, une douce consonnance intrigante, versant cette fois un liquide transparent dans la gourde en plastique rouge « Spiderman ». Elle a malgré tout laissé un peu de jus de citron, histoire de mélanger le tout avant de tout remettre en place, le plus silencieusement possible.
L’avantage de s’en prendre à cette vermine de Ruben est que quelque soit l’incident, leur professeur pourront croire à de la maltraitance parentale tant ses parents sont … Elle ne dira pas étrange, puisqu’elle-même l’est. Disons qu’ils auraient la main leste à en croire les quelques bleus sur les cuisses et les côtes de son camarade de classe. Cameron suppose que s’il finit empoisonné par sa petite mixture, elle rendra service à ses parents. Au moins deux heureux – trois – dans l’histoire.
Elle n’a aucun remord quant à son geste, même du haut de ses 8 ans. Il n’a qu’à pas la traiter comme de la merde depuis le début de la rentrée scolaire, pas elle. Non, aucun remord. Mais plutôt une petite pointe d’excitation au creux du ventre, étrange flamme qu’elle n’a que trop rarement connu, lueur d’espoir parmi les ténèbres qui se déverse chaque année sur sa conscience déjà si éveillée pour son jeune âge.
Cameron inspire une dernière fois l’odeur forte de la javel, léger sourire sur ses lèvres rosées. Les effluves chimiques la rassurent presque, l’apaisent. A regret, elle se détache et ferme soigneusement la gourde, la remettant à sa place et retournant dans son lit pour une sieste qui, cette fois, se fait bien plus apaisée.
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- Allez, on sourit … On dit Cheeeeeseeeeee - Cheeeeeeeseeee !Cameron sourit de toutes ses dents, un bras au-dessus de l’épaule de Lucianna qui la prend par la taille. Ruben est à sa gauche, tout aussi heureux que les trois adolescents peuvent l’être. Si vous vous posez la question de savoir si ce « Ruben » est le même que celui qu’elle a tentée de buter à coup de javel, la réponse est oui. Qu’est-ce qu’il fout ici, dans le jardin des Whalley alors qu’ils les 14 ans de Cameron ? N’est-ce pas là la place d’un meilleur ami ?
De l’eau à couler sous les ponts, beaucoup. Ruben s’en est sortie non sans séquelle puisqu’il se retrouve désormais obligé de déféquer dans une poche jusqu’à la fin de ses jours après que la javel ait flingué son système transitoire, à défaut de le flinguer lui. Procédure judiciaire, larmes, cris, constatations de violence, le gosse se retrouve désormais dans une famille d’accueil qui semble le traiter avec amour, non loin de la maison de Cameron.
- Ca vous dit d’aller essayer vos vélos sur les chemins derrière la maison ? - Ouais ! Les trois adolescents délaissent le gâteau durement préparer par Mélanie pour enfourcher leur scelles et prend la direction de la petite forêt qui borde la résidence, Desmond non loin derrière. Il prend le temps de contempler sa fille celle qu’il chérit de tout son être depuis l’adoption. C’est dingue à quel point les gamins grandissent vite, changent, se métamorphosent. Son propre enfant n’a plus rien avoir avec la petite fille qui angoissait Mélanie, qui terrorisait parfois Desmond.
Parce qu’en six ans, beaucoup de chose se passent, changent.
En six ans, nous apprenons un tas de chose.
Comment sourire bêtement, en ayant l’impression d’avoir l’air d’une putain de demeurer en pédalant sur les chemins terreux du coin.
Comment être heureuse au moment opportun. Bouder lorsqu’une décision n’est pas censé nous plaire.
Comment pleurer, aussi. Et c’est certainement ce qui a été le plus difficile. Apprendre à apprécier les étreintes, à en demander lorsqu’il le faut, à manifester de la compassion, de la quiétude. Cameron s’y perd encore, c’est vrai. Elle varie de temps en temps d’une extrême à l’autre et fort heureusement l’adolescence lui sert pour l’instant de couverture à certaines de ses instabilités. Mais quoi qu’il en soit, c’est une autre femme aux yeux de ses parents qui, non sans un soulagement, sont ravis de la voir ainsi pédaler, ses longs cheveux bruns au vent.
En six ans, nous avons largement le temps de moduler notre personnalité, l’adapter, la calquer. Mais il y a aussi le temps d’apprendre les choses positives, comme détruire pour me reconstruire à son gré, à son image, à ses envies. Et c’est exactement ce qu’elle fait avec ce con de Ruben. Détruire sa vie, en ramasser les miettes pour former un autre malheur, une autre cicatrice sur ce cœur déjà bien entamé. Elle aime la complexité d'un esprit et remarque que même lorsque le sujet semble être aussi stupide avec une capacité de QI égal à celle d'une moule, il peut s'avérer être en tout point fascinant. Comme le garçon qui rit aux éclats en appuyant de tout son poids sjr mes pédales pour espérer d'aller plus vite. Et avec de la chance s'éclater la gueule contre un arbre… et ce n'est pas un tronc qu'il se prend. Mieux que ça.
Cameron et Lucianna ne peuvent que contempler, impuissante, la chute vertigineuse de Ruben dont la roue du vélo lâche lamentablement la carcasse métallique. Le corps léger du jeune homme fait un vol plané, tête en avant.
Elle se souviendra toujours de ce liquide vermillon qui l'a obsédée des semaines durant, jusqu'à flancher et jeter son dévolu sur un chaton trouvé dans la rue. Elle revoit sans peine, avec délectation toute particulière, le visage partiellement enfoncé de Ruben sur ce rocher qu'il a heurté de plein fouet.
Elle qui craignait de ne pas avoir suffisamment desserrer les vis.
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Cameron aurait dû se douter que ça n’était certainement pas de ses « parents" qu'elle tenait cette brillante intelligence. Pas qu'elle ne les aime pas -encore faudrait-il qu'elle sache aimer, qu'elle comprenne réellement les rouages de ces sentiments obscures- mais elle a quelque chose en plus, ce petit truc particulier qu'elle se voit forcée de dissimuler au reste du monde pour ne pas terminer dans un asile ou dans un centre correctionnel. Ils ne comprendraient pas, personne ne le pourrait. Elle aime ces personnalités qui se pensent Roi et Reine sur l'échiquier. Elle aime fouiller à l'intérieur des esprits, déceler peurs et joies, peine et bonheur. Et ceux qui se persuadent que la destruction d’une personnalité passe par le jeu des angoisses, ils sont alors bien stupides. Cameron ne nie pas l’efficacité de jouer avec la peur de l’autre pour espérer détruire et fragmenter l’esprit. Mais à ses yeux, il est bien plus délicieux de métamorphoser une source de joie en un cauchemar. Prenez l’exemple d’un chirurgien. Son gagne-pain, son talent, sont ses mains. Et si Cameron devait détruire l’esprit d’un de ces médecins, elle passerait par-là, lui enlevant toute capaciter d’exercer pour le voir plonger dans une dépression tenace, profonde.
C’est toute cette fascination de destruction perverse qui l’a poussée à se sentir si différente de ses parents qu’elle sait désormais adoptif. Papiers en mains, ses yeux vifs scrutent le peu d’informations qu’elle possède au sujet de sa mère : Euros O’More.
C’est beau, Euros. Mythologique, mystique. Fort aussi, un vent de l’Est charismatique. Et rien qu’en ce prénom si particulier, la jeune femme se persuade qu’elle trouvera bien plus de ressemblance en sa mère biologique, qu’avec celle d’adoption. Mélanie s’est donnée du mal pour éduquer correctement Cameron. Elle lui a permis d’aller à l’école, d’apprendre et de toucher à peu près à tout ce qu’elle souhaitait malgré leurs maigres moyens, afin de nourrir toute cette intelligence évidente dont la jeune fille faisait preuve. Mais elle veut savoir à quoi ressemble cette femme qui l’a mise au monde pour ensuite l’abandonner. Rencontrer ces parents qui ont donné naissance à l’être merveilleux qu’elle est. Elle ne se sent pas particulièrement contrariée d’avoir été ainsi abandonnée car ce n’est pas elle qui a perdue au change, finalement.
Tout ça la ramène à plusieurs souvenirs qui l’ont plusieurs fois intriguée sans qu’elle n’ait le véritable fin mot de l’histoire.
Cet homme qui venait régulièrement à leur porte. Un brun, visage charismatique, aux traits durs et au regard froid. Atypique mais intriguant. Beau, également. Cameron n’a jamais su qui il était, seulement qu’il était visiblement là pour elle – On entend sacrément bien de la fenêtre de sa chambre qui donne sur le porche -, tenant chaque mois ou presque à venir déposer des liquidités pour que Mélanie et Desmond puissent prendre soin d’elle de façon correcte. Comme une façon de pouvoir participer à son éducation.
Etait-ce un oncle ? Un ami proche de sa mère biologique ?
Cameron sait qu’elle devra commencée par-là. Elle n’a que 18 ans, une certaine somme d’argent de côté justement donné par cet homme ainsi que les économies versées par ses parents adoptifs. Elle est une jeune femme douée, intelligente et futée, suffisamment pour réussir à savoir s’en sortir seule. Son indépendance s’est travaillée au fur et à mesure des années vécues, entre les galères des parents, les ennuies à l’école, la jeune femme sait se débrouiller seule, n’a besoin de personne.
Alors elle n’aura aucun mal à se rendre à Chicago pour finir ses études et par la même occasion, retrouver au moins cette mère qu’elle évite de trop imaginer. Certes, elle se dit que quelqu’un qui porte le nom d’Euros a forcément un minimum de classe, de prestance et de charisme… mais elle ne sous-estime pas la capacité d’un parent à choisir le mauvais prénom qui suivra le gosse toute sa vie. Certaines s’appellent bien Clitorine avec un physique qui mériterait plutôt le prénom d’Elizabeth.
Mélanie a le cœur brisé de voir sa fille rejoindre les rues de Chicago, Desmond se doutait que cela arriverait un jour. Ils ne pouvaient pas le lui cacher bien longtemps et ils la croient, cette gamine, quand elle dit qu’elle ne les oubliera jamais, qu’elle les aimera bien plus que n’importe qui. Ils la croient les yeux fermés, cette menteuse surdouée, manipulatrice habile, qui leur tourne le dos sans l’ombre d’un remord ou d’une compassion.
Cameron se trouve une sous-location provisoire, un type qui est dans une merde noire et qui a besoin de fric pour réussir à payer ses dettes. Elle écope d’un petit appartement lugubre mais largement suffisant pour son unique personne. Le job ne tarde pas à suivre lorsque l’on sert son plus beaux sourire, son expérience en tant que serveuse et son regard rond et attendrissant : Serveuse au Night Club à mi-temps. Concernant la fac de psychologie, les résultats parlent pour elle, font tremplin pour l’inscription. Une machinerie bien huilée, précise. Tout comme l’esprit de Cameron qui, déjà, part en quête de ses origines.