a quest for truth

Saoirse se mordille nerveusement la lèvres puis consulte à nouveau l’écran de son téléphone portable. Elle n’a jamais été patiente et la tension qui l’habite depuis qu’elle a pris la décision d’embarquer de force Taylor dans cette histoire la rend plus fébrile encore. Elle sait qu’elle s’y est pris tard pour la prévenir, mais la médecin urgentiste n’a pas pu s’empêcher de repousser l’échéance… À présent, elle se maudit et maudit également son amie qui tarde à arriver sur le lieu de rendez-vous qu’elle lui a fixé. Elle sait que Tay n’est pas véhiculée, qu’elle a dû réorganiser sa journée suite à son SMS mais ça continue de l’agacer qu’elle soit en retard. Sans doute parce qu’elle sait d’avance que son plan est totalement foireux et n’a pas envie de le voir être encore plus perturbé…
Contrariée, elle déverrouille son cellulaire et entreprend d’envoyer un nouveau message à sa meilleure amie, probablement en chemin. Elle a plutôt intérêt.
C’est simple, concis et ça manque des fioritures qu’elle envoie habituellement. Mais Saoirse n’arrive pas à faire semblant, à se forcer à adopter un ton léger alors qu’elle est en train de guider son amie dans un véritable traquenard.
Elle ignore de quelle manière elle va réagir. Mal sans doute… Mais peu importe. Il faut qu’elle tente le coup. Elle n’a pas trente-six options. Ses démarches au Crashdown n’ont rien données et elle ne peut pas abandonner. Si Maximilian ne peut pas lui donner de réponse, il faut qu’elle les trouve ailleurs. Quand elle a reçu le tract parlant de l’inauguration d’un nouveau salon de tatouages tenu par Kurtis Hawkins, elle n’a pas pu s’empêcher d’être tentée d’y faire un tour. Elle sait qui il est. Elle sait qu’il était lui aussi incarcéré au moment de la disparition de Cillian mais il sait peut-être quelque chose. Elle a finit par se convaincre qu’il serait peut-être plus enclin à parler que le gérant du Crashdown… Elle a pensé à le confronter seule, à lui rappeler que par deux fois, elle s’est occupée de son dossier au service des urgences du C.M.C. mais elle se doute que ça n’aura pas beaucoup d’impact.
En revanche, si elle se pointe avec une personne susceptible de le faire tomber pour trafic… Peut-être que ça lui déliera la langue. Elle aura plus de cartes en mains, plus de poids à faire peser dans ses menaces. En tout cas, Saoirse compte là-dessus.

La petite blonde prend une inspiration pour se donner du courage et franchi la porte du salon de tatouage. Il a été entièrement redécoré et elle ne reconnaît plus vraiment l’endroit que Milo lui avait montré en photo. Les lourds rideaux qui pendaient du plafond et permettaient de créer des espaces intimistes ont été remplacés par des structures métalliques modernes. Les luminaires sont originaux, visiblement créés sur mesure et des têtes d’animaux empailler sont mélangés à des miroirs et des tableaux aux styles bien différents. Certainement des dessins réalistes par les artistes tatoueurs.
Deux d’entre eux sont au travail. Elle ne repère le grand brun qu’elle est venue voir et avec qui elle a rendez-vous nul part.
« Bonjour ! Bienvenue au One X ! » lui lance une fille plantureuse derrière un comptoir d’accueil faisant également office de présentoir pour divers bijoux et accessoires. « Je peux t'aider ? »
L'espace d'un instant, Saoirse a l'impression qu'elle n'arrivera pas à prononcer le moindre mot. Son coeur cogne à tout rompre dans sa poitrine, parcourue d'une imposante cicatrice. Et puis finalement, les mots sortent.
« J’ai rendez-vous avec Kurtis pour un tatouage… »
« Oh ! C'est toi Fuller ! T'es un peu en avance » lui répond la fille après avoir jeté un oeil sur le planning du jour de son boss.
« Je sais. Je peux patienter. »
« Parfait alors. Je crois qu’il travaille justement sur ton motif. Tu peux aller t'asseoir au lounge en attendant. Sers-toi en viennoiseries, elles devraient être encore chaudes. Je peux te servir un truc à boire ? Un thé, un c… »
« Non merci » se force à sourire Saoirse dont l’estomac est on ne peut plus noué et qui se sent déjà nauséeuse.
« OK ! Préviens-moi si tu changes d’avis. Je vais dire à Kurt que t'es arrivée. Au fait, ça se prononce comment ton prénom ? »
Saoirse la renseigne sur la question et l’hôtesse d’accueil est encore en train de lui tenir la jambe lorsque Taylor apparaît enfin. L’irlandaise l’observe pousser la porte, un peu essoufflée et une vague de culpabilité la submerge immédiatement. Elle sent son nez la picoter, ses yeux la brûler et abandonne la réceptionniste pour se diriger droit vers son amie et la prendre dans ses bras.
Elle doit serrer ses mâchoires avec force pour ne pas lui présenter des excuses sur le champ. Il faut qu’elle tienne bon. Pour Cillian…

Elle n’arrive pas à se défaire de ce voile de culpabilité qui couvre sa peau. Un voile humide, suintant, désagréable à porter au possible… Elle s’ne veut de trahir la confiance de son amie, de la confronter à un homme qui l’a longtemps terrifiée et la terrifiera certainement encore. Saoirse se sent minable, mais elle ne peut pas faire autrement. Elle DOIT savoir. Elle DOIT découvrir ce qui est arrivé à son demi-frère. Elle ne trouvera le repos et ne pourra le laisser reposer en paix que quand elle saura enfin ce qui lui est arrivé.  
Elle ne peut pas croire à la version que le gérant du Crashdown lui a fournie. Cillian ne l’a pas abandonnée. Il ne lui a pas tourné le dos, à elle et à cette famille nouvellement retrouvée et qu’il mourrait d’envie d’apprendre à connaître. Le membre des Kings of Speed lui a menti. Elle espère maintenant que le suivant sur sa liste se montrera plus bavard. Mais pour obtenir satisfaction, il faut qu’elle en passe par ce plan machiavélique et prenne le risque de voir sa meilleure amie lui tourner le dos…
D’une seconde à l’autre, son cœur vacille entre le « le jeu en vaut la chandelle ! » et le « je commets la pire erreur de ma vie »…
Elle resserre son étreinte autour du corps de Taylor, se demandant si c’est la dernière fois qu’une telle chose se produit. Et en même temps, elle n’a pas besoin de tant lutter que cela pour retenir d’éventuelles larmes qui menaceraient de venir mouiller ses yeux… Elle n’arrive plus à pleurer. Sa rage est trop grande pour lui permettre de se laisser aller à se lamenter sur le sort de Cillian, le sien ou celui de son amitié avec Taylor…

Cette dernière dépose un baiser sur sa tempe et la taquine gentiment.
« T’as vécu pire aux urgences, ça va l’faire » lui fait-elle remarquer, essayant de se montrer à la hauteur de la tâche qu’elle pense lui incomber, sans savoir qu’elle est en train de se faire manipuler et se trouve ici pour d’autres raisons que celles invoquées…
Saoirse se force à s’éloigner de son amie et lui adresse un sourire crispé. Elle n’est pas encore capable de prendre la parole. Sa gorge demeure trop nouée pour ça et elle a peur que des mots lui échappent et de se trahir pour déculpabiliser.
Taylor salut ensuite la réceptionniste qui lui adresse un sourire et lui signale qu’elle est la bienvenue au OneX et est à son service si elle a besoin de quoi que ce soit. Sentant qu’elle dérangerait en en faisant plus, elle retourne feuilleter son magasine pendant que Tay explore les lieux du regard.
« C’est presque aussi beau que quand y avait Milo, tu trouves pas ? »
« J’me souviens pas » répond Saoirse du bout des lèvres. Elle ne cherche même pas à se souvenir. C’est la moindre de ses préoccupations dans l’instant à vrai dire… Tout ce à quoi elle est capable de penser, c’est à ce qui va suivre et qu’elle redoute.
Elle emboite le pas à son amie qui commence à feuilleter des livrets de tatouages. Saoirse jette un œil en direction du fond. Dans la direction que la fille de la réception à pointé en évoquant l’homme chargé de la tatouer aujourd’hui. Du moins c’est ce que chacun croit, car elle ne le laissera pas approcher son aiguille de sa peau diaphane.
« C’est qui le gérant du coup maintenant ? Tu vas t’faire quoi alors ? »
Le cœur de l’irlandaise subit une accélération et elle est reconnaissante à son amie de garder ses yeux fixés sur les croquis entre ses mains, lui évitant ainsi d’avoir à se composer une expression parfaitement neutre. Elle déglutit et répond.
« J’en sais rien. J’me suis pas renseignée là-dessus. Et tu verras bien ce que je vais faire. »
Peut-être que c’est l’intonation un peu sèche de sa voix qui surprend Taylor, ou le tremblement qui y paraît mais elle referme le book qu’elle tenait pour le remettre à sa place et lever les yeux vers sa collègue du C.M.C.
« Désolée, j’suis tendue » avoue immédiatement Saoirse, se laissant aller à pousser un lourd soupir.
C’est ce moment que choisi la réceptionniste pour reprendre la parole.
« Ah Kurtis, tu tombes bien, j’allais te sonner ! Ton rendez-vous est là. Saoirse » prononce-t-elle impeccablement, non sans fierté, un sourire ravi aux lèvres.
L’intéressée et Taylor se tourne alors vers le grand brun aux yeux clairs qui s’avance vers elles, son cuir aux couleurs de son gang sur le dos.
« Salut. »
Il les observe tour à tour, se demandant certainement laquelle des deux est sa cliente. Saoirse tend donc sa main pour la lui serrer, sentant une charge de tension émaner subitement de son amie…    

Saoirse n’en mène pas large. Elle ne peut pas feindre l’innocence, elle sait quel impact les Kings of Speed ont eu dans la vie de son amie, la peur panique qu’elle a développé à leur égard… Et c’est tout à fait légitime. Après tout, ils sont responsables de plusieurs dizaines de meurtres dans la région, dont celle de son demi-frère. C’est ce meurtre là et uniquement celui-ci qui l’intéresse aujourd’hui et qui la pousse à exposer sa meilleure amie. Sa quête de vérité pourrait non seulement lui coûter cher à elle, mais également à la personne qui à présent, avec Ethan, lui est la plus chère. Dire que l’irlandaise n’en éprouve pas un énorme remord serait mentir, mais il n’est malheureusement pas suffisant pour la stopper dans son projet complètement fou et irresponsable…
Elle est aveuglée par cette envie de savoir ce qui est arrivé à Cillian, motivée par l’injuste terrible de laquelle il a été victime. Ethan n’est pas d’accord avec elle sur ce sujet… Il lui a fait comprendre que son demi-frère s’était engagé de lui-même sur cette voie, que personne ne l’y avait forcé mais… Mais non. Ça ne lui permet pas de se faire une raison. Ça ne l’aide pas à trouver le sommeil. Elle déteste la façon qu’il a de le blâmer. Cillian ne méritait pas de finir de cette manière. Personne ne mérite ça…

Sa main est dans celle du tatoueur qui l’agite mollement. Ce contact la rebute un peu. Elle sait qu’il était incarcéré au moment de la disparition de Cillian et qu’il ne peut pas en être responsable. N’empêche qu’il appartient au même gang. Lui aussi a du sang sur les mains (d’où son séjour en prison d’ailleurs) et l’idée de la lui serrer la dégoute un peu. Mais elle doit en passer par là. Elle doit sauver les apparences encore un peu.
« C’est toi Saoirse alors ? »
« C’est moi, oui » s’entend-t-elle répondre, incapable de feindre un sourire détendu. Elle le fixe intensément, comme s’il lui était possible de lire dans l’esprit du grand brun qui se trouve face à elle. Ça a l’air de le mettre mal à l’aise et il détourne le regard, mettant un terme à la poignée de main qu’ils échangent, se rétractant.

Elle doit se mordre l’intérieur de la bouche pour ne pas en dire plus. Pour ne pas ajouter : Oui, c’est moi la sœur de Cillian Walsh, tu sais celui qui a roulé avec toi et tous les autres bâtards de ton club de merde et que vous avez abattu come un chien, juste parce qu’il aspirait à une meilleure vie !
« T’es v’nue avec une amie ? » lance le gérant du salon, désignant Taylor qui se manifeste justement et lui demande de les excuser un instant.
Avant que Saoirse ait pu protester d’une quelconque façon, son amie l’a saisie par le bras et la contraint à sortir du One X. Elle ne la relâche qu’une fois qu’elles sont à l’extérieur et la petite blonde voit les yeux de sa meilleure amie se mouiller de larmes. Elle lutte alors contre son instinct, qui voudrait la pousser à la prendre dans ses bras, se confondre en excuse et l’éloigner au maximum de l’endroit devant lequel elles se tiennent. Et contrairement à ce qu’elle s’imagine, c’est moins difficile qu’elle l’escomptait. Parce que des larmes de rage, de chagrin et de frustration : Saoirse en a versé plus d’une en réalisant la disparition de Cillian… Et personne n’a eu vraiment l’air de s’émouvoir pour elle ou pour lui… Tout le monde a certainement partagé l’opinion de son flic de petit ami qui estime à présent que Cillian a peut-être eu ce qu’il méritait en décidant de rejoindre un gang…

« T’es qu’une PUTAIN de manipulatrice ! Comment t’oses m’faire un coup d’pute pareil ! Tu t’prends pour qui PUTAIN ! »
Saoirse croise les bras sur sa poitrine, affichant un air décidé, buté. Elle laisse le silence répondre à son amie quelques longues secondes.
« Pour qui je me prends ? » répète-t-elle finalement, son regard parfaitement sec braqué sur la silhouette agitée de la légiste. « Je me prends pour ton amie. Ta supposée meilleure amie. Celle à qui on a arraché son frère à peine rencontré. Et est-ce que ça a bouleversé ton petit monde ? Non. Est-ce que tu m’aides à dépasser cette épreuve ? Non. Tout ce que tu veux faire, c’est te terrer et espérer que j’oublie cette histoire et passe à autre chose pour ne pas t’attirer d’ennuis. En attendant, j’ai droit à deux trois tapes compatissantes sur l’épaule. Super… » articule froidement Saoirse, le corps tremblant d’une rage qu’elle peine à maitriser et qu’elle ne s’attendait pas à ressentir. « Et bien désolée mais j’ai besoin de plus que ça. J’ai besoin de réponse et je ne passerai pas à autre chose. Si tu ne peux pas le comprendre, alors tu n’es pas celle pour qui TU te prends et tu peux dégager de là et dégager de ma vie par la même occasion. Si tu veux rester mon amie, tu vas m’aider. Tu vas rester là, entrer dans ce putain de salon avec moi et faire comprendre à ce fumier que s’il ne me dit pas ce qui est arrivé à mon frère, on le fera tomber. De toute façon, maintenant qu’il t’a vu…il sait que ça lui pend au nez. Si tu ne m’aimes pas assez pour affronter ça avec moi, tu peux partir et passer les prochaines semaines à continuer de terrer. Si tu viens avec moi, je ferai en sorte que tu n’aies pas besoin de surveiller tes arrières constamment. À toi de voir. »
Et sans tergiverser plus longuement, elle tourne rapidement les talons et pousse à nouveau les portes du One X pour retrouver le tatoueur qui, un peu perplexe, échange quelques mots avec la fille de l’accueil.  

Elle déteste ce tiraillement qu’elle ressent, cette impression d’être scindée en deux, partagée entre son amitié pour Taylor et son besoin de faire honneur à la mémoire de son demi-frère. En prenant partie pour l’un, elle trahi forcément l’autre. Elle pourrait choisir la facilité, décider de renoncer à découvrir la vérité sur ce qui est arrivé à CIllian. Après tout, il ne viendra jamais s’en plaindre… Les Kings of Speed l’ont privé de cette opportunité. Mais elle ne pourrait plus se regarder dans une glace. Elle ne pourrait pas s’empêcher de le reprocher à Tay, encore et encore.
Elle compte sur sa plus vieille amie pour la pardonner une fois que tout ceci sera terminé et derrière elles. A condition bien entendu que le gang de motards ne perde pas patience et ne décide pas de leur faire comprendre - à toutes deux à présent - qu’elles auraient mieux fait de s’occuper de leurs affaires…
Aller confronter le gérant du Crashdown était une erreur, elle l’a réalisé après coup. Elle n’était pas prête à tenir tête à un type dans son genre, elle s’est laissé gagner par l’émotion. Elle ne compte pas refaire la même erreur et sa dispute avec Taylor a permis de l’endurcir un peu. Et puis elle estime que Kurtis Hawkins est une menace moindre. Chaque fois qu’elle l’a croisé au service des urgences, il était dans un état lamentable, totalement perdu, vulnérable, et malgré ses dires et ceux de son amie, présente ce soir-là, elle est quasiment certaine qu’il a essayé de mettre fin à ses jours au moins une fois. Est-ce que c’est la pression du club qui l’a poussé à commettre un acte de ce genre ? C’est possible… Et si c’est le cas, Saoirse pense avoir une bonne chance de lui tirer les vers du nez. Si elle parvient à trouver son déclencheur, si elle réussi à appuyer là où ça fera mal, elle arrivera peut-être à ses fins.
Elle essaie de ne pas penser au fait que des mois se sont écoulés depuis le coma éthylique du motard et qu’il a l’air d’avoir changé, d’avoir gagné en assurance. En tout cas, il a pratiquement doublé de volume depuis qu’elle l’a retrouvé étendu sur un brancard, complètement dans les vapes, avec plus de 4g d’alcool dans le sang…
Et si tu le poussais trop fort ? Si à cause de toi…
Mais elle chasse immédiatement ce genre de pensée de son esprit. Elle est là pour Cillian et, même si le type face à elle n’a pas pu presser de détente puisqu’il était incarcéré, il continue de fréquenter les monstres qui ont fait disparaître son frère… Ce ne serait pas son problème.

Affichant un air déterminé, elle se hisse donc sur la table de tatouage. À peine installée, elle voit Taylor arriver vers eux d’un pas décidé. Elle est soulagée à un point qu’elle ne pourra jamais vraiment lui décrire. Ça lui donne encore un peu plus de courage… Mais Saoirse déchante rapidement en entendant les mots sortir de la bouche de son amie. Elle vient de lâcher la bombe, sans aucune subtilité. L’irlandaise retient son souffle, scandalisée par la scène à laquelle elle vient d’assister. Taylor vient peut-être de ruiner ses plans avec son approche brutale et irréfléchie. Les joues de la pette blonde s’empourprent de colère alors que Kurtis les observe l’une et l’autre, visiblement complètement largué. Finalement, il n’a sans doute pas tant changé que cela, même s’il a pris en masse musculaire…
« Putain d’chierie d’merde, t'es sa frangine » réalise tout à coup, son regard azuré braqué sur elle.
Son cœur s’accélère dans sa poitrine. Être reconnue par cet inconnu comme étant la sœur de Cillian lui fait quelque chose. Ça lui fait du bien de l’entendre et en même temps, ça lui fait un mal de chien. Parce qu’elle n’a jamais eu le temps de profiter de leur lien… Elle a rêvé de ce frère toute son adolescence et au moment où elle l’a trouvé, on le lui a arraché de la pire façon. Elle lit de l’appréhension dans le regard du grand brun qui se dresse devant elle, comme s’il cherchait à reprendre le dessus avec son grand corps maladroit. Saoirse ne se démonte pas. Maintenant que la bombe est lâchée, elle doit tirer le meilleur parti de cette situation désastreuse avant que tout ne leur explose à la figure…  
Elle prend la parole, réglant d’abord ses comptes avec Taylor avant de s’en prendre à Kurtis. Mais il lui suffit d’évoquer Cillian et sa fin probable pour perdre ses moyens, pour se laisser envahir par tout un tas d’images affreuses qui lui donnent la nausée, lui retourne l’estomac et le cœur. Elle n’arrive pas à retenir ses larmes. Et lire l’horreur dans le regard de son interlocuteur ne l’aide pas. Parce qu’elle devine qu’il sait précisément ce qui est arrivé à son frère et revois le même genre d’images…
Il sait. Il sait et elle est à deux doigts de savoir, à deux doigts d’enfin savoir ce qui a pu arriver à ce frère qu’elle a aimé sans même le connaître et n’aura plus jamais la chance de fréquenter…
Tout devient concret. Trop pour ses nerfs mis à rude épreuve, tendus au point de craquer depuis trop longtemps déjà…

Le motard tente de reprendre le contrôle de ses émotions et de la situation. Il lui demande de baisser d’un ton puis fait en sorte de chasser la réceptionniste. Ça laisse le temps à Saoirse de se ressaisir un peu. Elle aimerait pour voir se rapprocher de Taylor, lui prendre la main, se nourrir de sa force… Mais elle ne se l’autorise pas. Elle a trop peur que son amie la repousse… Elle serait en droit de le faire, mais l’irlandaise ne le supporterait pas.
Saoirse renifle et essuie la dernière larme qui a échappé à sa vigilance et a tracé un sillon brûlant sur sa joue pâle. Kurtis reprend la parole, abordant un tout autre sujet, leur demandant d’où il les connaît, l’une comme l’autre.
« J’me suis occupé de toi plusieurs fois aux urgences. Et elle bosse là-bas aussi. Toi et ton gang vous l’avez obligé à voler des médicaments pour vous faire du fric sur son dos » crache-t-elle, amère.
« Oh… Ah… Ouais… J’me souviens maintenant… »
Un silence tendu s’installe. Saoirse sait que c’est à elle de le rompre, d’embrayer sur les questions qu’elle a préparées avant de venir ici. Mais elle n’y arrive pas. Son introduction a été sautée à cause de l’intervention directe de Taylor et elle a du mal à faire le tri dans ses pensées. C’est finalement son amie qui se charge de prendre les choses en mains et d’enchainer.
« Un de tes potes en a eu plein l’cul de la voir trainer et gueuler devant vos commerces. Abraham, il me semble ? »
Saoirse sursaute, les yeux écarquillés. Heureusement que le regard du grand brun est tourné en direction de son amie, sans quoi il aurait compris que Taylor était en pleine improvisation…
Qu’est-ce qui lui prend de mêler ainsi le frère de Leo à cet échange ? A-t-elle la moindre idée de ce qu’elle est en train de provoquer ? Et si, à cause d’elles, Abraham venait à avoir des problèmes ? Mais Saoirse se raisonne assez vite. Le frère de Leo ne l’a pas aidée non plus. Il n’a pas aidé Cillian. Il n’a rien fait et il mériterait peut-être une correction...
« Il a fini par dire la vérité, qu’il a été buté par les vôtres, froidement. Tout ça, on l’sait déjà » poursuit Taylor, alors que Kurtis se décompose face à elle. « Elle veut juste savoir où vous avez mis son corps… S’il te plait. Si c’était un de tes frangins du club, t’aimerais pas savoir où est-ce qu’on l’a foutu ? De pas le laisser comme un chien sur le bord d'une route. »
Le motard les observe tour à tour, visiblement tendu. Il ouvre la bouche une première fois, la referme, l’ouvre à nouveau et se racle finalement nerveusement la gorge, une main s’accrochant à sa nuque.
« Ça s’est pas du tout passé comme vous l’pensez » finit-il par dire. Il prend une inspiration, comme si les mots qu’il s’apprêtait à dire lui coûtaient. « Y a pas de corps. Personne a touché à Cillian. En tout cas on l'a pas buté. J’sais pas ce qu’on vous a dit mais c’est…c’est n’importe quoi. »
« Tu mens ! Je sais que vous l’avez tué. Il savait que ça pourrait se produire, il m’a… »
« Personne l’a tué » la coupe Kurtis, les joues rougies par une honte évidente, qui vient contredire ses propos. « Il a demandé à partir et c’est ce qu’il a fait. Les gars l'ont p't-êt' un peu malmené mais pas au point d'le tuer. Il est reparti sur ses deux jambes. »
« Non ! » s’agace Saoirse, frustrée de le voir lui mentir en pleine face.
« Tu veux LA vérité ou tu veux TA putain d’vérité ? » s’emporte le tatoueur. « Il nous a planté au pire moment, OK ? J’sais pas c’qu’Abe a été raconter mais c’est des conneries ces conneries ! Cillian a décidé de se tirer comme un lâche et il a été traité comme tel ! »
« Ce n’était pas un lâche ! »
« I’ nous a planté un foutu couteau dans l’dos et maintenant il est interdit d’territoire, c’ tout ! S’il fout un seul pied dans un des États où s’trouve les Kings, il le paiera ! Et c’était pas un putain d’Saint ton frangin, OK ? On a des choses sur lui. Des trucs dont tu veux même pas entendre parler et qui t’fileraient des cauchemars » renchérit Kurtis en agitant un index menaçant sous son nez, avant de jeter un regard menaçant en direction de Taylor « Et s’il se planque comme il le fait, c’est parce qu’on l’a prévenu qu’on ferait en sorte que ça s’sache et qu'il paie s’il revenait ou cherchait à entrer en contacter avec qui qu’ce soit. Toi incluse ! »
Saoirse accuse le coup. Difficilement.
« Tu mens… »
« Crois c’que tu veux, j’m’en tamponne ! C’était mon pote et il me l’a fait à l’envers à moi aussi. »
« Il ne me ferait pas ça. Il ne m’infligerait pas une torture pareille » s’obstine Saoirse qui ne peut pas croire à cette version des faits. « Il savait qu’il risquait gros en demandant son départ du club, mais il voulait repartir de zéro, quitter cette… »
« Et c’est c' qu’i' fait, non ? I' r'part de zéro ma grande. Sauf qu' t’es pas inclus dans c’te nouvelle vie » lui répond Hawkins d’un ton devenu compatissant. « J’sais qu’ça craint mais…c’ pas la première fois qu’i' plaque tout et tout le monde… »
Saoirse garde le silence. Elle est obligée de reconnaître que le motard dit vrai. Il a déjà quitté Chicago une fois, abandonnant sa mère derrière lui, sans donner de nouvelles… Il a arrêté de lui écrire à cette période aussi…
Elle revoit sa mère venir frapper à sa porte, une boite contenant toutes ses lettres dans les mains… Elle le cherchait… Elle le cherchait désespérément… Elle le cherchait et…

Saoirse sent ses jambes flancher sous elle et un voile noir passer devant ses yeux alors que ses oreilles commencent à tinter et la chauffer. Elle ignore qui de Kurtis ou Taylor la rattrape. Ce qu’elle sait, c’est que quand elle parvient à refaire le point, elle est de nouveau assise sur la table de tatouage, sonnée.