Pyjama Party | Dorian

Première soirée de libre depuis longtemps – si on oublie l'horrible nuit passée en compagnie de Seamus. Un soupire en y songeant, le pianiste offre même un dernier regard dans le miroir auquel il fait face. Son arcade commence à cicatriser, à ne plus rien laisser – et heureusement. Encore quelques jours et les souvenirs physiques seront inexistants. Pour l'heure, il s'en remet à ce qu'il porte, essayant d'arranger le tout mais en vain ; en soit, il n'a personne à impressionner et les traditions sont sacrées. Aussi, il n'insiste pas, laisse la capuche avec les traits de Bourriquet lui retomber sur le front, ses lunettes au nez parce que les faux semblants ne sont pas de mise et le voilà prêt. Plus prêt qu'il n'aurait pu l'être dans d'autres circonstances. Les pas mènent, ramènent au salon où tout est dressé, où quelques bouteilles sont sorties, quelques oreillers balancés ici et là et, au-dessus de ces derniers, un large drap donnant l'impression qu'un fort ait poussé durant la journée. Un bref sourire, qui l'aurait cru ? Lui dans ce genre de situations, à attendre qu'une jeune femme n'entre dans cette forteresse pour quelques plaisanteries, probablement quelques films et des nouvelles – rien que ça. Comme fut un temps, lorsqu'une bague de plus ornait son doigt à côté du cadeau de Mason qu'il n'a d'ailleurs jamais retiré – c'est un fait. Il y perd même son regard quelques instants avant que l'ascenseur n'attire son attention. Et elle est là, tout juste arrivée, raccord avec le pyjama qu'il a dû acheter. Les grands esprits se rencontrent à ce qu'on dit. « Ça va tu te mets bien ? » Large sourire et une étreinte pour la saluer, lui souhaiter officiellement la bienvenue dans ses quartiers. Et le fait qu'en effet, il n'a pas craché sur l'endroit ni même ce qu'il peut être et ce qu'il insuffle – cet appartement est probablement le plus beau qu'il ait foulé depuis le début de sa carrière. « Je vois que tu as tout prévu. » Les sacs sont tendus et elle s’éclipse un petit moment, découvrant tranquillement l'endroit tandis qu'il s'occupe de tout mettre en avant. Des mois qu'ils ne se sont pas croisés, peut-être plus qui sait mais l'aisance n'a pas décroit, belle et bien toujours là. Il s'imaginait que les choses se détérioraient suite à son divorce mais il n'en est rien, le contact fut gardé, les raisons de ce choix expliquées – bien qu'un peu transformées, il y a des secrets qu'il n'a pas prononcé – et ils ont continué cette tradition un peu décalée. Comme ce soir, son séjour à Chicago lui donnait l'occasion de la voir. « Comment tu vas depuis le temps ?! Ça fait trop plaisir de te voir ! Regarde, j'ai investi dans un nouveau pyjama. » L'attention se détourne, revient sur Amandine qui ne cache pas son enthousiasme quant à ce qu'elle porte et force est d'avouer que ça l'amuse tout autant. Un peu de légèreté pour couper court aux tourments ressassés. « Alors tu en penses quoi ? » Elle sait déjà ce qu'il en pense, elle le devine à celui qu'il s'est décidé à acheter. Il se retient néanmoins de lui poser la même question au regard qu'elle pose sur les moindres recoins de l'appartement, se contentant finalement d'attendre sagement, mains dans les poches, un rictus empli d'une certaine fierté tout de même accroché le long des lèvres. « Tu es sûr que ça va le faire pour toi les coussins par terre ? Parce que bon tu te fais un peu vieux maintenant, je voudrais pas que tu te fasses mal papy... »

Un soupire, un sourire. Il y revient, suit les mouvements de la jeune femme pour s'installer à ses côtés, ne manquant pas d'amener avec lui tout ce qu'ils ont prévu à eux deux. « Well, tu serais surprise de voir que je tiens encore très bien la route pour un vieillard. » Un clin d’œil mais rien de bien méchant, un retour à cette taquinerie à laquelle, de toute manière, il s'était attendu. C'est la base de ces soirées, la première chose qui vient s'y ancrer et la fait débuter. « Je suis content de voir que tout se passe bien pour toi aussi, en tout cas, tu es radieuse. Un compliment sincère tandis qu'il s'affaire déjà à ouvrir une bouteille, récupérant deux verres posés là quand il essayait de tout bien arranger. Je m'attendais à te voir à l'une de mes représentations quand même, mais tu ne m'aimes plus autant que ça on dirait. » Contrairement à Mason dont il tait le nom. Contrairement à Mason dont la présence n'est pas passée inaperçue et dont la présence à ses côtés cette nuit torture ses esprits et les remue. Mais il chasse ses souvenirs, sa honte – Dorian ne s'en remet qu'à la jeune femme venue lui tenir compagnie. « Alors, dis-moi tout, comment ça se passe par ici ? J'imagine que ça doit te changer de la France et du reste. »

Il a écouté, il entend bien – si ses propres journées sont mouvementées, il préfère ne pas imaginer celles de son amie retrouvée. Au contraire, il acquiesce seulement, lève ses mains en signe de reddition quand elle s'affaire à lui donner ses justifications ; le fait est qu'en effet, il ne peut pas la blâmer. Et il ne le fera pas, pas habillé comme ça dans un premier temps puis parce qu'il n'en possède pas le droit dans un second. Raison pour laquelle il a enchaîné, raison pour laquelle il n'a pas continué sur ce maigre sujet et, de toute évidence, elle viendra – il n'en doute pas. « A ça pour changer ça change ! Mais franchement je me plais bien à Chicago. Il y a de quoi bosser c'est sûr mais je m'entends vraiment bien avec les gens de la caserne sans oublier que la coloc avec Madi' se passe super bien... Un sourire pour répondre à ses mots, le dos qui se cale contre l'assise du canapé derrière lui. Dorian réapprend la jeune femme comme si bien des choses avaient changé – et, en soit, elles ont changé. Tout a changé, autant pour elle que pour lui. Je suis presque triste qu'elle se marie et qu'elle doive partir bientôt. On a un appartement dans le Loop, moins classe que le tien mais il est cool quand même. Ça m'embête de devoir le quitter mais toute seule je pourrais pas y arriver. Alors je cherche un autre appart'... Tu voudrais pas m'héberger par hasard ? » Coupé dans son élan, son verre à la main, il ne peut en réprimer un rire franc. Il tique un peu, s'installe encore mieux avant de pleinement lui revenir, haussant les épaules, sous-entendant que ça ne le dérangerait pas. Elle serait la plus embêtée des deux à vivre avec ce qu'il est désormais. « Je suis sûre que si on le voulait on pourrait même ne pas se croiser de la semaine vu la taille de l'appart ! » Il le fait entendre, lui fait savoir qu'elle part peut-être un peu loin mais ça l'amuse, force est de l'avouer. Dorian le trahi aisément même, rien qu'au rictus qui ne quitte pas une seule seconde ses lèvres. C'est que ça lui fait du bien d'avoir une personne si... enthousiaste, si pleine de vie à ses côtés. Depuis sa nuit avec Mason, il a l'impression que le monde est plus morose qu'il n'avait pu l'être jusqu'alors. La culpabilité et la honte ne font pas bon ménage. « Faudrait que je demande à Mason, si il connaît pas des adresses... D'ailleurs ! Tu l'as revu Mason depuis que tu es là ? Parce qu'il bosse toujours ici ! » La question le coupe dans son élan, les lèvres n'ayant que flirté avec son verre avant que ce dernier ne soit aussitôt reposé. L'appréhension pèse sur le cœur mais le masque doit tenir, au moins encore quelques heures.

« Je... Il tique un peu, fronce les sourcils comme agacé par sa propre personne tandis que la main triture la bague qu'il n'a jamais cessé de porter. Je ne l'ai pas revu, non. » Menteur, mais il tait la vérité. Celle qui trahirait leurs retrouvailles, les reproches, les sentiments, la nuit passée dans ce même appartement puis sa réalité réinstaurée, celle où il se persuade tant bien que mal qu'il ne peut pas l'aimer. Il s'essaie à un sourire, un contraste clair entre le costume qu'il porte et la légère douleur le long de ses traits – mais elle ne dure qu'une seconde à peine, peut-être deux. Dorian s'en redresse comme il peut, venant imiter la jeune femme en piochant dans les cookies. « Mais tu devrais lui demander, même passer du temps avec lui – qui sait, il en sera content. Une pause tandis qu'il mange, qu'il prend sur lui. Mais, si tu as besoin, n'hésites pas à venir. Tu as au moins jusque fin octobre, je ne sais pas encore si je reste ou si je retourne en Angleterre. » Non, il hésite encore – même si son cœur penche d'ors et déjà pour une réponse évidence. « Ce qui serait dommage, je commençais à connaître du monde par ici ; au point d'engager une espèce de garde du corps. Je t'en ai parlé de ça ? » Un rire en l'évoquant, se souvenant encore très bien de cette soirée un peu ratée ; lui qui souhaitait se faire une idée du personnage n'a pas été déçu. Et, l'avantage de cette question c'est qu'il parvient à passer sur le sujet Mason – au moins pour l'instant, il n'oublie pas que les liens sont sacrés et qu'elle l'adore, celle qui se tient devant lui. Le plus compliqué est peut-être à venir, il se le dit mais prend le risque d'imaginer qu'il n'aura pas à y revenir – l'espoir tenace et un peu naïf. « Enfin, les jeux ne sont pas encore faits ! Et toi, alors ? Comment va Eva ? » Il ose, s'aventure sur ce drôle de sentier – Eva et lui n'ayant pas eu de contacts depuis une petite année.

L'enthousiasme qui la touche l'amène à sourire, ça l'amuse de voir toute cette énergie en plein cœur d'une seule et même personne. Amandine, à elle seule, représente un rayon solaire pur et réchauffant – par sa présence, il a la sensation que les choses ne peuvent que s'améliorer, qu'au-delà de l'orage réside un temps clair et reposé. Elle a toujours eu cet effet finalement, sur qui que ce soit d'assez proche de son âme pour pouvoir s'en abreuver – et, ce soir, il pourrait l'en remercier. Il a le cœur lourd, les poumons serrés. Il a l'être qui pourri, qui continue de se détester. Dieu qu'il aimerait un peu de paix. Et il choisit de ne pas s'y concentrer, faisant entendre qu'en effet, il accepterait qu'elle vienne. Après tout, elle est l'une des rares personnes qui soient encore à même de le supporter, lui dans son entièreté. Lui et ses nouvelles un peu surprenantes, lui et ses idées complètement idiotes et téméraires. Comme le sujet du garde du corps sur lequel elle rebondie après l'épisode Mason, après sa question concernant le lien qu'ils ont et les possibles soucis qu'ils ont à traverser – si elle savait. Mais il s'est contenté d'un bref geste de la tête à la négative, peu enclin à confier cette partie de son âme, cette partie de lui qu'il n'assume pas – qu'il n'assumera peut-être même jamais. Et, dans le pire des cas, tout lui faire entendre serait une erreur, Amandine et Eva ont toujours été proches ; avouer avoir bafoué l'honneur de cette ex-femme reviendrait à lui faire affront tout autant. Il ne le permettra pas, pas encore toute fois. Il tait ces pensées, ce genre de songes pour se concentrer sur la voix de la belle qui continue à se faire entendre, sur ce stresse qu'il lui a donné quant à l'évocation de Seamus avant qu'elle n'en revienne à sa dernière question, la seule qui lui soit plus ou moins importante après sa relation avec celui qu'il tient pour responsable du gâchis qu'il peut être désormais. « Bah écoute aux dernières nouvelles elle va bien ! Aux dernières nouvelles, oui ; pour ce qu'il en sait, elle hésitait à pouvoir encore lui parler. Il tait pourtant ces dires, ne lui impose pas les tourments qui hantent son for intérieur. La jeune femme n'est pas là pour ça, sa douleur est sienne, prisonnière de son silence pour cette soirée qui se veut sereine. Je la vois bien moins que Mason du coup mais ça a vraiment l'air d'aller. » Un petit geste de la tête pour lui faire voir qu'il a écouté, qu'il a entendu mais les mots manquent, la parole ne s'offre pas encore. Il n'a pas la moindre idée de ce qu'il pourrait ajouter quant à ce sujet, ne sait même pas s'il possède encore le droit de s'en inquiéter. Il est celui qui a tout gâché, l'unique responsable de ce temps perdu, de ces instants brisés. Dorian en grimace légèrement avant de s'en remettre un peu plus, imitant la belle qui se sert dans les cookies. Il suit le mouvement, tenant réellement à se défaire de tout avec Amandine et ses délires tout de même charmants.

« C'est une bonne chose alors, je lui souhaite le meilleur. » Il le dit avec sincérité, pense chacun de ses mots dès lors qu'il vient les prononcer. Elle n'est pas l'erreur commise, elle est la vérité qu'il aurait voulu préserver. Un soupire avant que son verre ne lui revienne, flirtant avec les lèvres une énième fois tandis qu'il lui revient, chaque chose en son temps mais ils ont des points à éclaircir. « Enfin, quant à ma proposition, j'étais sincère. N'hésites pas à ramener quelques affaires si tu veux, tu es devenue ma raison officielle de rester. Et, comme il s'en doutait, l'homme n'échappe pas à l’étreinte qu'elle vient aussitôt lui donner ; tableau ridicule et niais qu'eux deux en plein câlin et déguisés comme ils le sont. Il fait un effort pour presser un peu son dos mais réajuste un peu de distance ensuite, sans perdre son sourire néanmoins. Et ne t'en fais pas pour Seamus, ce n'est qu'au cas où ; j'ai cru comprendre que les rues d'ici n'étaient pas des plus sûres pour ceux... dans mon genre. » Un clin d’œil, un ton rassurant pour lui retirer cette inquiétude inscrite dans sa tête. Il y tient, elle ne doit pas s'en faire. Quant à Mason, il prend la décision de ne rien relancer, désireux de garder intacte le fossé qu'il s’époumone à creuser entre lui et le moindre souvenir de cet homme évoqué. « Je verrais cependant pour qu'il t'ait à l’œil, je ne voudrais pas te retrouver vidée de ton sang après que tu aies essayé de faire quoi que ce soit à manger. Ne m'en veux pas... Je ne te pensais pas si peu douée. » Une taquinerie, le sourire qui lui revient, plus clair, plus aisé. Dorian s'apaise, lentement mais sûrement, priant finalement pour que ses souvenirs ne viennent pas tout gâcher. « Bon, dis-moi tout, les amourettes se passent comment ? Ton costume de Winnie fait de l'effet ? »

Dieu qu'elle rend les choses plus à même d'être supportées, il le ressent, s'apaise simplement. Dorian en sourit, d'un rictus sincère à chaque mot, à chaque parole qu'elle instaure en ces lieux pas encore tout à fait acquis. Il pourrait s'en bercer, lui, le tourmenté. Il pourrait se laisser convaincre qu'un peu de joie peut tout changer, tout égayer. Il y songe, le temps de quelques secondes. Le pianiste se perd dans la mélodie des dires, dans tout ce qu'elle laisse entendre et les mots rassurants qu'elle lui offre. Au-delà de ce qui s'est passé, il n'a jamais voulu le malheur de cette ex-femme pour lui, cousine pour elle. Aussi, quand elle se risque à lui faire entendre que ses pensées sont sûrement partagées, il ne peut qu'en sourire. Eva est une femme pleine de courage et d'amour à donner, il ne doute pas qu'elle saura trouver l'homme idéal, bien meilleur que celui qu'il a été, l'esprit troublé, abîmé. Mais le passé ne reste pas le principal sujet, contrairement à la proposition qu'il lui a faite. Il savait que son enthousiasme en serait décuplé, il ne pensait pas cependant que ce serait à ce point. D'autant qu'elle tient son sourire, cette joie qui tient et ne décroit pas. Bien-sûr qu'elle devient sa raison de rester, rien que pour ce cœur enjoué il pourrait tout braver. S'en suit le reste jusqu'à la fin de ses questions, jusqu'à la fin de cette excitation. Dorian s'intéresse plus à elle, à sa vie, à tout ce qu'il a dû manquer par son absence prolongée. Elle y tient, à la jeune femme – plus qu'il ne pourrait l'avouer en un sens. « Et non, il semblerait que Winnie ne trouve pas son pot de miel. » Une gorgée de son verre, un cookie rattrapé. Dorian délaisse un maigre sourire à l'attention de la jeune femme, conciliant en soit. Si elle savait à quel point ils partagent quelques similarités – sauf que lui refuse de voir qu'il aime, qu'il est aimé. Le pianiste est encore loin dans la démarche de l'accepter. « On va pas se mentir, c’est le néant. » Il tend l'oreille, lui laisse pleinement la parole. Dorian se fait à l'écoute, oreille attentive pour celle qui s'est réfugiée chez lui ce soir en quête d'une bonne soirée. S'il doit la réconforter, il le fera du mieux qu'il peut, quitte à user d'efforts jusqu'alors jamais essayés. « Je… Je crois qu’à 27 ans j’ai pris trop de retard sur les codes de la séduction que j’en suis réduite au banc de touche. » S'il essaie de ne pas en rire, son sourire trahi bien des pensées. Dorian s'en redresse un peu, essayant de faire valoir ses aises pour son dos avant que les prunelles ne retrouvent celles de la jeune femme. « Je suis rassuré de voir qu'au moins, tu continues de dire n'importe quoi. » Les lèvres s'étirent en un nouveau rictus tandis qu'il lève la main vers Amandine, l'empêchant de contredire ses paroles, il n'a pas fini.

Le verre se pose, le cookie se termine. Les mains libres, il les pose sur ses jambes, croisées entre elles. Il marque un petit temps d'arrêt, la contemple un peu dans l'espoir de trouver les bons mots. Il n'a pas pour habitude de jouer sur cette corde, sur du sérieux quand ce sujet pointe le bout de son nez. Mais, cette fois, il délaisse la taquinerie, s'en remet à l'honnêteté et à l'affection qu'il lui porte depuis toutes ces années. « Écoutes, Ama. Et écoutes bien, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour dire ça mais essaies au moins de le croire. Il prévoit le coup, sait qu'il n'est pas un exemple en la matière mais croit réellement en ce qu'il s'apprête à lui dire – et peut-être le sait-il d'expérience, son inconscience refusant encore de lui dévoiler la tempête qui grandit chaque jour un peu plus dans les tréfonds de son être. Que ça arrive maintenant ou plus tard, ça ne changera rien et c'est peut-être un mal pour un bien. Il soupire un peu, passant sa main contre ses traits avec l'espoir que le poids qu'il croit ressentir sur ses épaules ne s'estompe ne serait-ce que légèrement. J'entends par là que tu as tout le temps qu'il te faut pour essayer justement de ne pas te faire avoir. Tu es quelqu'un d'adorable et, je préfère être honnête, d'un peu trop gentil. A défaut de tomber sur la pire des merdes, tu peux au moins vivre sans tout ce qu'une mauvaise rencontre pourrait engendrer... » et, crois-moi, j'en sais quelque-chose pour en être une, de mauvaise rencontre ; fin de phrase qu'il ne prononce pas, qu'il garde pour lui mais l'idée est là, réelle et pensée. Il esquisse un petit sourire réconfortant, s'essaie à faire entrer ces mots-là dans sa tête. « Puis, belle comme tu es, je doute pas qu'un jour, tu trouveras une personne qui te mérite autant sur ce plan que sur les autres. » Un clin d’œil taquin cette fois, l'effort de rendre la situation un peu moins sérieuse, un peu moins oppressante – au moins pour lui dont les souvenirs essaient à se frayer un chemin, tout autant que la vérité qui le concerne. Il a été cette connaissance néfaste pour un cœur qu'il a détruit par deux fois. S'il omet encore qu'il puisse l'aimer, il sait au moins qu'il l'a brisé.

Les mots sont lancés, parcourent la pièce pour venir directement se poser sur la jeune femme à qui il fait face. Dorian pense chaque syllabe, même malgré ce sourire amusé qu'il tire dès la fin de sa tirade. L'habitude manque, ce genre de discours n'est pas un fait dans lequel il trempe. Bien au contraire, il est celui qui critique, qui rappelle à qui veut l'entendre qu'il vaut sûrement mieux que la moitié de cette Terre ; sans aucune objectivité, paradoxe évident avec ce qu'il peut penser de ce qu'il est. Néanmoins, il tait ça, ces songes-là. Il ne lui imposera jamais ce fardeau, se le refuse depuis des années. Lui appartiennent à part entière ces maux qu'il ne pourra jamais ignorer. Aussi, il s'en remet à la jeune femme au sourire sincère et retrouvé, à cette moue satisfaire et reconnaissante. Il n'espérait pas l'émouvoir autant mais se retrouve prit de court, un énième câlin de donné. Il laisse un rictus se perdre sur ses lèvres mais n'insiste pas plus que ça, toujours aussi maladroit à l'égard de ces effusions de sentiments. « Qui aurait pu croire que tu étais doué dans le rôle de marraine la bonne fée ? » Un rire sincère et un haussement d'épaules, l'homme se fait modeste, espérant réellement qu'elle saura entendre le message dans les dires qu'il vient d'énoncer. Il va falloir qu'elle prenne conscience qu'elle peut parvenir à tout ce qu'elle souhaite, dès lors qu'elle y accordera un peu plus de temps, un peu plus de volonté – et, surtout, un peu plus de méfiance. « Mais oui, tu as raison j’ai bien le temps de trouver mon prince charmant ! Et ce jour là, je compte sur ma marraine adorée pour me dire ce qu’elle en pense ! » Il n'y manquera pas, lui fait savoir dans la foulée. Dorian se contente de répondre simplement, ce rictus encore bien ancré, éternel à ses côtés. Une nouvelle gorgée de ce qu'il a servi, pour elle et pour lui, avant qu'un soupire ne brave les lèvres devant une telle simplicité ; c'est comme si ces instants lui avaient manqué plus qu'il n'irait l'avouer. « Dis moi, tu as des nouvelles de ta sœur ? Est-ce qu’elle compte te rendre visite ? » Et la question maudite, celle qu'il appréhende à chaque fois que Amandine se risque dans ces antres toutes différentes. Le sujet de sa sœur est une conversation sensible – non pas parce que les rapports sont mauvais, bien au contraire, mais parce qu'à elles deux, elles sont un redoutable raz-de-marée. Il feint l'offense devant cette interrogation avant de trouver quoi répondre, il faut dire que les nouvelles commencent à manquer. Le petit rayon de soleil resté illuminer l'Angleterre a désormais sa vie, ses propres choses à gérer ; Amandine lui rappelle au moins qu'il pourrait prendre un peu de son temps pour appeler cette famille délaissée, ceux qui le soutiennent de loin, ceux qu'il lui faudra prévenir de sa décision de rester.

Il guette alors la jeune femme qui lui fait face, il guette ce sourire qui ne décroit pas, cette attente quant à sa réponse. « Je n'ai pas eu de nouvelles dernièrement, désolé. » Il sait la déception qu'elle va ressentir quant à ses mots, il sait l'amitié qui s'est tissé entre ces deux femmes mais autant être honnête jusqu'au bout, il a failli à son rôle de grand-frère ; tout comme il a failli en tant que fils, ses parents loin d'être au fait de savoir s'il tient le coup par rapport à sa tournée ou non. « J'imagine qu'elle viendra un petit temps quand elle pourra. J'ai cru comprendre qu'elle était pas mal occupée et qu'elle essayait de se concentrer sur sa vie au lieu d'essayer de préserver la mienne – ce qui est un échec mais, hé, faut pas lui dire. » Un clin d’œil, un peu de légèreté retrouvée. « De toute manière, vu que tu devrais venir t'installer ici, j'imagine que tu seras l'une des premières au courant de son arrivée si elle trouve le courage de venir dans ce beau merdier qu'est Chicago. » Parce que c'est acté, qu'il tiendra sa promesse. Si la belle a besoin d'un toit où resté, le sien lui sera offert aussi longtemps que possible. Message qu'il laisse implicitement s'installer depuis sa dernière phrase, sans l'idée de revenir dessus. Pas même une seconde, pas même malgré cette petite étincelle de douce folie qui réside en ces traits parfois trop enjoués. Un peu de chaleur en ces lieux, ça ne peut que lui faire du bien. « J'essaierais de l'appeler dans la semaine pour voir avec elle, si tu veux. Comme ça tu n'auras pas à prier qu'elle vienne chaque soir que Dieu fait. » Taquinerie, quand tu nous tiens.