ain't no sunshine | babylon

Les veines sont longées, empoisonnées – il jurait sentir les effets se propager. Le cœur bat, frappe la cage thoracique avec violente, prêt à imploser. Et les poumons se gonflent, essaient à capturer l'air qui – il en a l'impression – commence à manquer. Le regard s'abaisse, les prunelles dévient sur sa main. Tout ce qu'il y voit, c'est l'absence de cette bague trop longtemps portée, celle que Mason lui avait offert par le passé – et les cicatrices qu'a laissé la première soirée en compagnie de l'inspecteur. Quelques mots qui n'ont pas été dit, quelques maux qui n'ont fait qu'être ressentis. Il soupire, prend sur lui, il essaie ; du plus profond de son âme. En vain. Les ténèbres prennent, guident, malmènent. Le gouffre s'ouvre, profond, immensité béante sur laquelle il lorgne. Bêtement, Dorian s'y jetterait. Bêtement, le voilà à se persuader qu'il n'a pas prit assez. Les songes sont encore là, tumultueux dans la tête de celui qui essaie à ne plus réfléchir, à ne plus ressentir. La musique n'a pas suffit, toutes ces heures à jouer n'ont permis à l'homme que de s'offrir davantage de tourments. C'est une première, un point qu'il pensait ne jamais atteindre ; et pourtant. Les doigts tremblants terminent par récupérer le téléphone, allant et venant dans les contacts jusqu'à ce que le brun assombrit de ses yeux ne s'attarde sur quelques noms. Il pourrait quémander de l'aide, il pourrait – pour une fois – mettre de côté sa fierté et admettre que quelque-chose ne va pas mais le courage ne se présente pas ; comme toujours, à jamais. L'homme déambule, malgré son état, il s'assure lui-même qu'il peut sortir, quitter les lieux sécurisés pour la rue et ses dangers. Il va bien, le répète silencieusement dans sa tête. Il va même trop bien, ne parvient pas à s'éteindre pour quelques heures comme d'ordinaire. Il a l'anxiété éveillée, la haine relevée. Une sourde colère gronde encore dans les tréfonds de son être et c'est contre elle qu'il tient à se battre. Aussi, il prend tous les risques possibles et inimaginables, là, au volant de cette voiture qu'il chérit. Il avance, s'enfonce dans ce qu'ils appellent les bas-quartiers jusqu'aux ruelles oubliées. Un souffle, un soupire. Le cœur qui bat à une telle allure qu'il ne le sent plus – pas autant que d'ordinaire en tout cas. L'assurance est retrouvée, la curiosité rappelle sur le téléphone où aucun message ne s'affiche, pas même Phoenix, ce rat des tréfonds qui pour la première fois s’assoie sur quelques billets. Tant pis, la part sera donnée à une autre âme, plus médisante, plus dure qu'il ne l'avait imaginé. C'est vers celui qui a tant réveillé chez lui qu'il essaie d'aller, guettant les recoins, les environs. Chicago s'est paisiblement endormi mais il sait qu'au-delà du sommeil de certains gagne la survie d'autres. La corvette délaissée, en lieux sûrs garée. Il avance dans les couloirs fades et délavés, il s'aventure dans l'horreur d'un monde qu'il ne connaîtra jamais. Un fossé dans lequel il s'égare et où apparaît son dernier guide.

« Je... ; et ça lui coûte de devoir énoncer ces mots. Il prend sur lui, essaie à trouver un peu de volonté, sait qu'il doit oser pour pouvoir s'offrir cette paix tant réclamée. Rien que quelques heures d'absence, rien que quelques instants de silence. Aussi, Dorian retrouve sa hauteur, s'imposant devant l'homme à la crinière blonde qu'il est parvenu à trouver – sans trop de mal, le croit-il, quand déjà une heure s'est écoulée. Il n'a conscience de rien, pas même du maigre filet rougeâtre qui commence à se trahir jusqu'à sa lèvre supérieure. J'ai besoin que tu me donnes quelque-chose. » Quelque-chose d'un peu plus fort, d'un peu plus coriace que ce que l'autre a pu lui donner en début de soirée. Un homme qu'il ne connaissait pas, croisé au détour d'une allée bondée, l'air louche et les poches pleines de ce qu'il aime à consumer pour effacer momentanément sa honte et ses péchés. Toute cette douleur causée, finalement rattrapée. Il lui faut davantage, il lui faut plus sulfureux encore ; le pense-t-il, là, la conscience convaincue que les limites n'ont pas été atteintes. S'il savait. S'il savait rien que le nom véritable de ce qui lui a été donné, s'il savait les ravages que peuvent faire ces quelques grammes d'ors et déjà insufflés. « S'il te plaît. » Et les mots qui dérangent, qui trahissent l'état. Les mots qui n'ont rien à faire entre ces lèvres, qui n'ont jamais été déversés par cette voix à peine brisée. Wrynn tient sa position, inconscient qu'il est, du chaos qu'il peut être rien que par l'image donnée. Les mains tremblent encore un peu, la respiration est courte, parfois rythmée d'irrégularités. Il dévoile la chute sur laquelle il s'est engagé, le pianiste est bien loin désormais de son apogée, du piédestal qui lui fut longtemps accordé.