Devil is in the details
John récupère le sachet contenant ses effets personnels, l’ouvre à même la table pour y faire glisser le contenu. Il écarte son portefeuille, retrouve sa gueule d’il y a 23 ans sur son permis, lorsqu’il était bien plus jeune, motivé pour devenir médecin. A l’heure où ses ambitions étaient bien différentes, même si son besoin de rompre le carcan de cette société qu’il n’a jamais vraiment admiré, lui creusait déjà l’esprit. Il n’a jamais été fait pour cette vie si droite, si stricte, enfermé dans des codes précis de loi. Ça a toujours été le rôle de Faith et non le sien. Le souvenir de sa sœur lui fait l’effet d’une lame chauffée à blanc dans le cœur. Le goût de la trahison a disparu pour laisser place à la haine et à la vengeance qui a eu trois belles années derrière des barreaux à partager ses chiottes avec deux autres types, pour mûrir. Doucement, mais sûrement.
Il glisse le cuir usé de son portefeuille dans la poche arrière du jean qu’il possédait lorsqu’il est arrivé ici et prend cette fois possession de son héritage familiale. La montre en or entour son poignet amaigri par les années prisonnières, John resserrant le bracelet d’un cran supplémentaire. Il a reçu le bijou de la part de son père, un don pour exprimer cette fierté qu’il a pu lire dans son regard azur le jour où l’homme de 25 ans a affirmé son appartenance à l’Irish Mob. Un souvenir qui élargit son grand sourire, bien plus agréable et gratifiant qu’une remise de diplôme.
John a une mémoire infaillible, précise et se souvient avec exactitude du jour où Faith a reçue le sien, de diplôme. Elle était belle dans cet accoutrement, presque aussi belle que le jour de son mariage et même si la cadette Halloran vouait sa vie à la légalité, il n’a pu lutter contre cette fierté qui a illuminé son regard et son visage. Qui lui a fait bomber le torse et le cœur. Son amour pour elle était infaillible et il se souvient que ce jour-là, John s’est fait la réflexion qu’elle portait si bien ce doux prénom qui représente tant la foi. Le courage, la persévérance, la croyance. Tout ce que Dieu lui a donné entre les mains pour réussir. Et elle l’a fait, oui. Un peu trop bien à son goût.
Et pour terminer, sa croix. Pas celle qu’il a portée sur ses épaules pour ses frères mais celle qu’il enfile autour de son cou, qui lui a été offerte par Faith. Un cadeau simple, fin et presque froid. Comme elle. Et s’il la garde aujourd’hui, c’est tout simplement pour se rappeler la douleur cuisante qu’il a ressenti lorsqu’elle lui a passée les menottes. Elle est venue détruire treize années d’appartenance à sa seconde famille. Treize ans de sa vie.
Treize. Un putain de chiffre de malheur.
Vêtu d’un simple tee-shirt blanc, John récupère sa veste et accorde un dernier regard au maton avant de tourner le dos aux murs gris de cette prison qui a vu grandir sa colère, sa haine et ses ambitions. Il n’a pas passé uniquement ses journées entières à parfaire son jeu d’échec, sa stratégie s’étendant bien au-delà d’un simple damier usé. Il a eu tout le temps qu’il faut pour murir un tas de chose et c’est serein, presque en paix avec lui-même qu’il franchit pour la première fois en trois ans, les grilles pour atteindre l’extérieur. L’air n’est pas différent de ce qu’il respirait dans la cour mais bon sang, tout cet espace qui lui est offert pourrait lui tirer les larmes aux yeux. Et il manque de verser une larme dès lorsqu’il voit la silhouette de son père qu’il serre dans une étreinte affectueuse dans ses bras.
« Mon fils. - Bonjour Papa. » Le bonheur est là, dans ses bras. Un père qui a toujours été présent, fier du chemin secret emprunté. John sait que sa mère est bien plus frileuse à l’idée que son fils trempe dans des choses si dangereuses et ça le peine, au fond. Il aimerait qu’elle voit tout le bienfondés de ses actions, même s’il admet que certaines d’entre elles peuvent être dur à encaisser. Un jour, elle comprendra.
L’homme, petit sac de sport à la main, se glisse dans l’habitacle de la vieille voiture de son père et une inspiration lui suffit pour replonger directement en enfance. A l’heure où les conflits familiaux n’existaient pas, où l’amour avec sa sœur était increvable et solide. Il se revoit tout gamin, à courir autour d’une longue table chargée de nourriture, après la messe. Comme chaque dimanche midi, la famille Halloran se joignait à d’autre pour célébrer ce jour, la vie, la famille. Une stabilité qu’il chérissait au plus profond de lui et qu’il s’est toujours efforcé de maintenir même lorsque ses parents reprochaient à Faith son choix de carrière. C’était son rôle à lui d’être le pilier de leur fondation. Depuis qu’il est gosse, John a toujours fait preuve de facilité pour tempérer les esprits les plus brûlants, jouer ce rôle de tampon entre deux conflits et mettre en avant son intelligence froide. Il n’était peut-être pas premier de la classe mais lorsqu’il s’agissait de logique et de bon sens, l’aîné des Halloran n’a jamais déçu. C’est un peu étrange de l’imaginer, lui, sang-froid, tête sur les épaules, évoluer parmi tous ces Irish enflammés, gueulant leurs valeurs, leurs origines, à coup d’alcool ou de phalanges. Parfois les deux. Une tâche parmi ce tableau bien coloré mais qui pourtant, lui donne tout son sens.
Ses frères lui manquent, cruellement. Là, dans la bagnole, c’est la première chose à laquelle il pense pendant que son père reste dans ce silence religieux. Remerciant certainement tous les Saints de leur avoir ramener leur fils en vie et en bonne santé mental qui plus est. Manquerait plus qu’il devienne fou derrière les barreaux.
Pourtant, dieu sait qu’il a frôlé de très près la limite lorsqu’il s’est retrouvé en taule. Ça n’est pas une trahison qui s’est abattu sur lui mais deux. Il n’est pas homme à naïf mais putain, jamais il n’aurait pu imaginer qu’en plus de subir la férocité de sa sœur, Elijah viendrait lui aussi à l’abandonner. Ce sale rat a agi, fidèle à son espèce : Fuir le bateau dès qu’il prend l’eau. La fuite de celui qui a été bien plus qu’un meilleur ami, un véritable frère, lui a saigné l’âme. Pas une visite, pas un seul signe de vie alors qu’il a prit le risque de mettre en jeu son intégrité au sein de la MOB en aidant sa putain à fuir N.Y. Tout ça pour une gonzesse. Il le savait qu’elle lui causerait des problèmes, il le lui avait dit avec toute la diplomatie dont il est capable. Mais bien évidemment, comme tout homme, cet imbécile a perdu la raison entre les cuisses de cette paysanne trouvée sur un bout de trottoir.
« J’ai su que Faith était à Chicago désormais ? Son père crispe ses mains sur le cuir du volant, jetant un coup d’œil bref à son fils. Il ne s’attendait certainement pas à ce que John soit le premier à soulever le sujet, pas lorsque l’on connait le passif de la fratrie.
- Oui, depuis quelques mois maintenant. - Vous avez gardé contact ? - Tu imagines bien que non. Seul son métier à toujours compté pour Faith. Parfois, je me demande si elle a conscience que nous existons toujours. » Lui qui l’a toujours défendue ne peut qu’être d’accord, aujourd’hui. Cette femme fait corps avec le FBI désormais, au point d’avoir trahi son propre frère.
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Les retrouvailles avec sa mère se sont passées plus ou moins comme il l’imaginait. Crispée mais heureuse de revoir son fils, John n’a pas manqué de sentir sa réserve malgré tout. Assis sur le lit qu’il occupait lorsqu’il était ado, il retrouve tout ce qui faisait de lui le John de ses 16 ans. Des posters de film, de vieux CD’s qui orne plusieurs étagères, jonglant entre le classique et les bandes originales de film, une croix au-dessus de son lit, son chapelet y étant accroché. Il regarde toute cette caverne à souvenir avec un sourire nostalgique, maniant sans regarder ses gestes le rubik’s cube qu’il tient entre ses mains. Cet objet n’a plus aucun secret pour lui depuis des années. C’est peut-être stupide mais ça le détend, lui permet de se recentrer sur ses idées qui, il faut l’admettre, se retrouve un peu en bordel depuis qu’il est sorti.
Il retrouve dans un coin de son bureau ses bouquins de médecine, d’internat et d’externat. John se souvient de toutes ces nuits blanches passées à étudier, à essayer de joindre les deux bouts avec un prêt étudiant pour pouvoir se payer ses études. Des années de galère, à trimer comme un con pour que des patients lui crachent à la gueule, le traitent d’incompétent. Pour que ses Chefs le prennent pour une petite merde, un branleur des bas quartiers en manque d’ambition. C’est là que tout à vriller dans son crâne, qu’il s’est prit cette claque lui permettant de remettre les pieds sur terre.
Ça n’a jamais été la vie qu’il désirait, enchaîné à des horaires à la con, à devoir jouer les gentils clébards. John aspirait à une liberté pleine, mais surtout, à ce qu’on le respecte. C’est naturellement qu’il s’est dirigé vers l’Irish Mob et la seule trace que cette chambre porte de cette alliance sans faille est lui-même et ce tatouage qu’il porte à l’intérieur de son avant-bras et qu’il n’hésite pas à afficher fièrement. John n’a jamais eu honte de son appartenance, au contraire, il n’a jamais été aussi fier de ses actions que celles qu’il effectuait pour ses frères. Un goût amer se tapisse au fond de la gorge que de devoir parler de ses meilleurs souvenirs au passé. Ce temps où il mettait à profit tous ses atouts pour chasser quelques âmes perdues et condamnées d’avance, cette époque où il arpentait les ruelles de N.Y aux côtés d’Elijah pour faire tomber les têtes ciblées. Du bout du doigts, John effleure les traits sombres de son tatouage, sourire en coin.
Lui qui pensait se sentir démuni en sortant de prison, se retrouve au contraire, plein d’espoir. John tient toujours ses promesses et plus particulièrement celles qu’il s’adresse à lui-même. Rancunier jusqu’au fond des tripes, peu importe le temps qu’il lui faudra pour obtenir vengeance, la patience fait partie de ses multiples atouts. Il pense déjà à la surprise de sa sœur lorsqu’il se présentera à elle alors qu’elle s’attend à le savoir derrière les barreaux pour deux années encore. Il pense également à Elijah qui est, apparemment, terré dans un trou paumé au bord de Chicago. Mais surtout, son ambition première se porte vers les Crows.
Les murs de la prison n’ont certainement pas empêché l’esprit de John de se nourrir, de se renseigner sur le monde qui l’entoure. L’Irish Mob a beau avoir été démantelée, il trouvera un autre toit où prêter allégeance. La puissance des Black Crows l’enchante, gonfle ses espoirs et ambitions. Il croit en sa bonne étoile, celle qui s’est montré à lui dès lors qu’il a foutu un pied dans le monde carcéral.
Dieu ne l’a jamais abandonné, Lui.