Moitié ancienne tribu, moitié meute de loups
« Toutes nos condoléances, Madame O’Ceallaigh. » Elle reste impassible, comme si elle ne réalisait pas encore, choquée par la nouvelle, penseront les inspecteurs. Après tout, son pauvre tendre fiancé vient de trouver la mort dans le cambriolage de leur maison. Tué par son arme à elle, en plus. Arme sur laquelle le cambrioleur a dû tomber en forçant le coffre. C’est ce qu’ils penseront tous. Son frère vient la récupérer, c’est qu’elle ne peut pas dormir chez elle. La maison est bouclée, puis qui voudrait, pourrait dormir dans de telles conditions ? Alors elle ira chez son frère aîné, le temps de l’enquête, le temps de s’en remettre. Officiellement. C’est que la situation est un peu plus compliquée que cela.
« Tu ne pourras pas rester ici. Tu es en danger. » Toujours aussi direct. À peine sont-ils installés dans la voiture, le moteur allumé, à l’abri des oreilles indiscrètes qu’il parle du sujet qui fâche.
« Comme si j’le savais pas déjà. » Elle a chuchoté, presque murmuré. Bien sûr qu’elle va devoir partir, probablement quitter sa chère terre natale, son Irlande adorée.
Son regard se perd dans la nuit, tandis que le véhicule traverse la campagne. Les premiers voisins n’auront pas pu entendre le coup de feu, pas assez pour se réveiller en cette heure tardive. Alors, elle n’a pas eu trop de mal à maquiller la scène et puis il n’y a aucune raison de la soupçonner. Seulement, ce n’est pas la police ou la justice qui l’inquiète, ce sont ces saloperies de ritals. Elle soupire alors, elle savait dans quoi elle embarquée en acceptant de s’installer avec lui. Elle l’a fait pour le clan, pour sa famille au sens large. C’est ce qu’elle a toujours fait, toujours pour le clan. Il faut dire qu’elle est née dedans, aussi. Les O’Ceallaigh sont assez connus au sein de l’Irish Mob. Ils sont implantés dans le comté de Limeric, plus précisément la ville du même nom et ses alentours depuis plusieurs générations. Bien qu’ils aient des contacts dans tout le comté. Elle ferme alors les yeux, revoyant la maison de son enfance, jouant avec ses frères, entourée par le clan, protégée par lui. À ce moment, c’était son grand-père qui en était à la tête.
Bien sûr, n’allez pas leur dire qu’ils fonctionnent comme les Italiens. Il arrive que dans des clans comme le sien, ce soit une même famille nucléaire qui dirige, du moins le patriarche, mais pour ce qui est du reste... L’Irish Mob n’a pas de chef, chaque clan fonctionne différemment, il n’y a pas de hiérarchie entre eux. Il y a bien sûr une certaine forme de respect des clans les plus anciens, mais les autres vont être respecté pour leur efficacité. De même au sein des clans. Le ou les chefs de chaque clan sont nommés, désignés par des techniques différentes et le reste des hommes est au même niveau. Tout comme pour l’organisation général, le respect se gagne, par l’ancienneté d’une part, mais surtout par les capacités. Cela permet une certaine cohésion, du moins c’est comme ça qu’elle voit le sien, de clan. Aucun, n’a plus de pouvoir que les autres et les compétences sont bien réparties, bien exploitées, ce qui apporte à la réputation de ses clans.
Cela les protège aussi. Si un clan tombe, les autres ne sont pas entraînés dans la chute. c’est ce qui est advenu à un autre clan du comté. Eux, son clan, ne sont pas tombés, ils n’ont rien eu, si ce n’est quelques semaines un peu plus tendues que le reste du temps. Elle avait dix ans à ce moment-là. Se souvenant surtout de son père, un peu moins présent à la maison et un peu plus stricte quand il rentrait. Puis cela s'est calmé et tout est redevenu comme avant. Bien sûr, elle n’a jamais vraiment eu d’enfance normale. Dans une école privée catholique, de la primaire au lycée, bonne élève certes, mais un peu rebelle dans l’âme. En fait, ce qu’elle n’a jamais avoué, à personne, c’est qu’elle ne croit pas. Elle connaît la place de la religion dans son monde, mais, elle a beau se forcer, elle n’y arrive pas. Alors quand elle est partie à Dublin, quand elle est entrée à la faculté de droit, elle en a bien profiter. Les meilleures années de sa vie.
Elle n’en a pourtant pas renié son appartenance au clan, loin de là. Mais, ce que sa famille ne savait ne pouvait pas leur faire de mal. Puis, au moins elle était prise au sérieux, pas comme chez elle. Quoi qu’il puisse se passer, elle reste une femme, alors son avis, les gars s’en passe facilement. Si elle était plutôt tranquille niveau drague c’est uniquement grâce à ses quatre frères et son père. Pour le reste, elle a dû faire ses preuves. Ils ne sont pas des mauvais types, mais bon, la société, la leur surtout, est ainsi faite.
« Tu l’aimais ? » La question la tire de sa rêverie assez brusquement. Elle se tourne alors vers son frère dont le regard ne s’est pas déporté de la route. Est-il sérieux là ? Elle soupire.
« Il avait pas que des défauts. » Voilà, c’est bien comme réponse. C’est vrai en plus. Elle se souvient alors, de ce premier jour à l’Université de Dublin, ce n’était pas à proprement parler un coup de foudre, mais ils se sont retrouvé ensemble, dans le même amphi et ça à accroché entre eux. Pour une fois qu’elle été écoutée, ça lui a fait du bien. Ils ont très vite commencer à se voir, pour travailler leur cours, puis pour moins travailler. Les années ont passé, ils restaient discrets, c’est qu’elle ne voulait pas que ses frères l’apprennent. Ou pire, son père. Puis, il faut dire que ça ne le dérangeait pas trop et pour cause.
Elle est un peu tombée des nus en voyant son nom de famille dans le journal, en première page. Une tuerie dans les rues de Dublin, des membres de la mafia italienne. C’est là, c’est à ce moment qu’elle a compris pourquoi il voulait rester discret lui aussi, pourquoi elle n’avait jamais rencontré sa famille. Elle s’était sentie, assez ironiquement trahie. Alors elle a profité de vacances pour rentrer à Limeric. Elle a tout dit, promis de couper les ponts, de s’éloigner de lui. Seulement, son clan à vu une opportunité qui ne se présente pas deux fois. Elle est donc restée avec lui. Bien sûr qu’elle avait de l’affection, on peut même dire qu’elle l’a aimé à un moment. Mais les choses ont évolué. Ils ont eu leurs diplômes, elle en droit pénal, lui en droit des affaires. Des Masters, tous les deux. Ils sont restés ensemble officiellement, elle a rencontré des membres de sa famille, a tout fait pour bien se faire voir. Elle ne sait même pas comment elle a réussi à les convaincre qu’elle n’était pas dangereuse pour eux…
« Ils vont vite comprendre. Malheureusement, ils ne sont pas cons… pas tous. » Bien sûr qu’ils vont comprendre, la mafia italienne va comprendre que ce n’était pas un cambriolage. Ils vont vite faire le lien. La femme ouvre la fenêtre et sort une cigarette de la boîte à gants. Elle ne fume que rarement, mais là elle en a besoin. Il faut dire que si pendant des années, elle n’avait pas beaucoup d’info intéressantes à fournir, ces derniers mois étaient plus mouvementés. Les Italiens ont cherché à s’étendre. Limeric est importante, stratégique dans toute sorte de trafics alors il fallait les arrêter.
« Je ne regrette pas si tu te poses la question. » « Je me la posais pas, tu es ma sœur, tu es assez froide pour ça. » « Je ne sais pas comment il l’a découvert… Pendant des années tout ce passé bien et là, d’un coup, il a appris que je ‘’complotais’’ dans son dos. » Elle mime les guillemets avec sa main de libre et tire une latte sur la cigarette qui commençait à se consumer toute seule. Elle a une idée de comment il a pu l’apprendre, mais elle sait que malgré sa position, c’est une grave accusation qu’elle va porter. Alors elle ne dit rien, pour l’instant, elle en parlera face à son père. Elle lui dira dans les yeux. Elle ne se cachera pas. Du moins, elle essayera.
La route s’éternise et une fois la cigarette finie et dans le cendrier elle ferme les yeux. Elle se laisse bercer par le ronronnement du moteur et fini par s’endormir. Ils n’arrivent à Limeric que bien des heures plus tard. Devant le casino qui leur sert de façade légale et de quartier général. Le Clan est déjà réuni et c’est tant mieux. Elle et son frère montent à l’étage privé. La partie commence pour elle. Face à son père elle reste froide, ce n’est pas la femme attristée par la mort de son fiancé, c’est l’avocate, la mafieuse, même si elle n’est pas membre à part entière.
« J’aimerais bien comprendre ce qu’il s’est passé. » C’est son père qui entame la discussion et elle sait déjà, à son regard qu’il la clôturera aussi.
« Il s’est passé que ce que je craignais est arrivé. Si j’ai demandé à l’avoir prêt de moi... » Elle désigne son frère de la main.
« … C’est exactement pour ce qu’il s’est passé. Il a tout découvert, je pense qu’il soupçonnait quelque chose depuis un certain temps déjà, quelqu’un l’a prévenu, j’en mettrais ma main au feu. » Elle ne désigne personne, pas ouvertement, elle se contente de pencher la tête, légèrement vers sa gauche. Vers le nouveau, tout merde pour elle depuis qu’il est là, depuis qu’il est arrivé de Dublin. Tous comprennent sans problème et vu le regard de certains, ils ont assez confiance pour ne pas avoir besoin de plus de preuve.
« J’ai dû réglé le problème avant que cela ne devienne trop dangereux. » « Je comprends. » Elle quitte la pièce, laissant les hommes réglés les détails entre eux, partant prendre une douche et se changer. Quand elle revient, son père et ses frères sont seuls. Le plus âgé des quatre vient l’embrasser.
« Tu vas nous manquer, mais on doit t’éloigner des ritals. » « Où ? » Son père lui sourit un bref instant, rare marque de tendresse qu’il ne se permet qu’en privé.
« Avec les Black Crows, Chicago. »