red is the water we borrow - dorian

 Une brise légère s'installe, frappe lentement les traits défaits du pianiste qui essaie à remonter, peu enclin à se laisser submerger. Mais tout lui semble plus dur, plus envoûtant – la douleur danse, jonche les moindres recoins de son âme fatiguée. Il a mit le doigt sur l'un de ses secrets – peut-être intentionnellement. La raison devient vague, moins forte qu'elle n'avait pu l'être par le passé. Il a cette culpabilité qui remonte, cette impression grotesque d'être une aberration. C'est pour ça qu'il fuit, pour cette raison qu'il tourne les talons. Dorian se tourne vers ses ténèbres, vers la seule issue qui lui soit possiblement à portée. L'exil pour le félin blessé. « Dorian. » Les syllabes s'élèvent, blessent un peu plus. Pas d'hostilité dans la voix, seulement le besoin d'être entendu, écouté. Il pourrait l'ignorer, continuer sur cette route déjà entamée mais la course se freine, l'homme comme avide de pouvoir encore se faire torturé. En cette idée se résume la pénitence qu'il croit mériter. « Je ne peux l’accepter. » Les sourcils se froncent mais la voix ne se fait pas entendre. Il est ailleurs, psychologiquement en tout cas. « On n’efface pas une dette physique ou morale avec une fortune éphémère. Peut-être que l’on peut t’acheter toi ou tes égaux ainsi mais dans cette vie-là, ce n’est pas comme ça que ça marche. Chez nous, la vraie richesse, c’est ce qu’il y a là-dedans. » Où ? Là où se trouve la source de sa corruption la plus dure, la plus infâme. Un bref geste en direction du palpitant qui peine à se remettre d'aplomb, ce muscle assoiffé qui, ce soir, s'est trop enivré. « J’ignore le mal qui te dévore, c’est un fait. Mais tu ne devrais refuser chaque main que l’on te tend, ceux qui ne veulent réellement que ton bien. Nous ne sommes pas tous des vautours assoiffés par la chair. Puisse cette conversation t’être bénéfique. » Les mots ont une toute autre saveur ici, en cet instant précis. Il parle presque de rédemption, il vient presque lui faire entendre que les choses pourraient être différentes malgré ce qu'il est. S'il savait que la souffrance qu'il brave n'est que poison incessant et tortionnaire. Imbattable. « Et qu’un jour, Dieu puisse te pardonner. » Dieu, vraiment ? Cet enculé qui se joue de lui en insufflant à son âme que quelques travers de plus à ses vices déjà bien installés. Ce manipulateur qui parvient à lui faire perdre sa foi, toute sa raison. Il a les esprits en miette, l'impression d'étouffer même quand l'air est plus qu'à porté, un peu moins pollué. Ce salaud qui, depuis trop longtemps, le noie sous ses assauts. S'il espérait un cadeau de sa part, il l'imaginait moins comme cette espèce de fardeau. Il réprime un sourire ironique, quelque-chose de bien triste. « … On se reverra, Dorian. » Ça sonne comme une promesse mais il n'en tiendra pas compte, les prunelles encore braquées sur le gamin qui s'est levé, ses billets redonnés.

Un maigre filet d'air brave ses lèvres. Le sang s'est refroidi, les veines ont fini de trembler. La cœur peine encore à retrouver son rythme de base mais il tient bon, laissant l'homme pouvoir se tenir debout, sa fierté brisée mais pas évanouie. Sa pénitence en lueur en plein cœur de ses yeux, Dorian parvient tout de même à lui faire face. Les mots du gamin résonne doucement dans les corridors de son for intérieur, y laissant quelques traces. « J'en doute, Babylon. Pas de méchanceté dans sa voix, seulement une sécheresse qui s'allie à la manière dont ses traits se sont affaiblis. La prestance s'est couchée, cette maigre paix intérieure s'est brisée. Concernant les mains tendues, elles se font rares et pas à même de comprendre. » Il tique un peu sur ces mots, le nez qui se frise de colère d'être cet homme-là, celui qu'on entend pas quand, pourtant, ses notes peuvent atteindre tant de bras. Il manque de voix, lui, l'être qui anime pourtant bien des émotions ici-bas. Mais entendre n'est pas écouter, la différence n'a jamais été autant d'actualité – même lui ne perçoit pas la proposition qui se tire d'entre ces lèvres-là. Un sourire exténué avant qu'il ne prenne congé, laissant ses pas rejoindre la baie vitrée, la salle bondée qu'il compte braver sans un regard, sans même ne serait-ce que le relever. Un coup d'épaule contre Phoenix qui refait son apparition, un coup d'épaule sans un mot tandis qu'il se laisse ronger lentement par ce délicieux poison. Dorian s'enfuit, Dorian s'en remet aux enfers qui hantent ses nuits.