Rehab ▬ Nikki

REHAB

And I, close my eyes tight
So now the vision of you near makes me feel alright

 « Est-ce que ça va Nikki ?
— Ça va. » La blonde sourit au type qui s’est assis près d’elle, sur la banquette en cuir qui fait face à un tableau de Paul Klee. Les mains croisées sur ses cuisses, elle fait repasser son regard de la silhouette de cet « ami » à la toile peinte, agencements colorés qui lui plaisent. Nikki se sent apaisée, tranquille — et stressée aussi. Inquiète. Et le garçon qui l’a rejointe dans sa contemplation l’a certainement senti puisqu’il dépose sur son épaule une main qui se veut rassurante.

« Je sors aujourd’hui.
— C’est une bonne chose non ?
— Ouais. Ça me fait peur un peu.
— Ça va aller. »

Nikki hausse une épaule, redonne de l’attention à l’ami / confident qu’elle s’est fait ici durant ces trois mois de désintoxication. Son ventre est serré. Elle ne sait pas de quoi l’avenir est fait demain, elle ne sait même pas ce qu’il en sera d’elle lorsqu’elle franchira la porte du centre de désintoxication, et pour la première fois depuis longtemps, l’italienne est consciente du danger de l’inconsistance. Elle est clean, sobre depuis plusieurs semaines comme en atteste le petit objet témoin qu’elle a dans la poche de son jean, et, pour la première fois depuis ce qui lui semble être des années lumières ; Nikki est lucide. Les yeux grands ouverts sur sa propre identité. Elle ne se sent pas complètement en paix avec elle même, mais est sur la bonne voie. Assise là, les doigts triturant un bracelet que sa mère lui a donné, Nikki se repasse les évènements de ces trois derniers mois. Le chemin qu’elle a traversé, les améliorations, les douleurs surmontées et les autres encore à travailler. Ses parents sont revenus, elle a accepté de les laisser entrer à nouveau dans sa vie. A accepté de partager sa peine avec eux, et avec son frère, aussi. Chacun leur tour, venus partager des moments avec elle. En trois mois, trois longs mois, Nikki a l’impression que sa vie a radicalement changé. Il lui a fallu affronter le traumatisme, affronter les souffrances d’un sevrage plus que nécessaire. Il a fallu s’excuser, auprès de sa famille, auprès d’elle-même et comprendre le changement qui s’opérait en elle. Nikki a connu le manque et le ravissement, l’inquiétude, les tourments et puis le calme, le retour à la lucidité.
Et au milieu de tout ce chaos, le même homme, la même lumière.

Mathias. Lui qui lui a tendu une main alors qu’elle était au plus bas, lui à qui elle a demandé de l’aide, pour la première fois depuis sa chute. Elle a voulu se rattraper à quelque chose, à quelqu’un et c’est lui qui s’est trouvé sur sa voie. C’est lui qu’elle a appelé alors au commissariat.
Monsieur Wagner a été plus que généreux, payant sa désintoxication hors de prix, dans un établissement luxueux, lui prêtant son temps, deux fois par semaines de manière régulière. Impeccablement ponctuel, charmant, compréhensif. Nikki a vu en lui une aide et un confident et s’est laissé aller à l’attendre, à vouloir ces rencontres et ne pas cacher son ravissement de le voir, son inquiétude face aux absences. « Est-ce que Monsieur Wagner vous a contacté aujourd’hui ? » cherchait-elle à savoir à la réception.

L’italienne a du s’excuser platement, comprenant la profondeur de sa dette envers lui, de jour en jour, alors que son comportement lui est apparu alors tout entier. Sa culpabilité n’est pas soulagée et elle comprend encore aujourd’hui alors qu’elle se trouve sur le chemin du rétablissement qu’elle en sait que faire pour épancher sa soif de pardon. Il lui faudra du temps pour réparer le tort qu’elle lui a causé : les vols, les abus, la tromperie.

Nikki jette un œil vers l’horloge posée au centre du mur adjacent à celui du tableau. Fin de matinée. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire, comment elle va rentrer, qui viendra la chercher, quand même elle sortira. Elle sait que c’est aujourd’hui, et c’est tout. Peut-être que cela sera Mathias, peut-être ses parents. Elle espère secrètement que le directeur financier l’attendra, car elle doit à nouveau s’excuser et le remercier pour sa générosité. Après tout, alors qu’elle l’a trompé et abusé, il aurait pu la laisser pourrir dans sa cellule, en garde-à-vue. Non, au lieu de cela, il a été celui qui lui a donné une solution à ses maux, un remède. Un bienfaiteur. La blonde pousse un soupir alors que son estomac est noué d’impatience et d’appréhension à la fois.

« Tiens. Nikki dépose son regard sur un gâteau qui lui est tendu. T’es toute pâle, ça te fera du bien. » L’italienne sourit, les yeux posés sur le badge du soignant, Terry. Elle se saisit du petit paquet de spéculoos qu’elle ouvre et glisse le biscuit à la cannelle entre ses lèvres.

« Merci.
— T’as fais du beau boulot, mais maintenant que tu vas sortir, ce sera la partie la plus dure, tu sais.
— Je sais.
— Ne sois pas trop dure avec toi-même et accepte d’avoir besoin d’aide de temps en temps, ça facilitera le processus.
— Oui. J’espère que ça ira pour toi.
— Rien ne peut aller mieux aujourd’hui ! Il fait beau et tu sors en bonne santé. L’ex-pompier lui sourit grandement, ses yeux bleus pétillent, l’inquiétude se tarit un peu et elle se laisse aller à l’affection qu’elle a pour ce membre du personnel.
— T’as réussi ta mission. L’infirmier acquiesce et son attention est attirée par un de ses collègues, il se lève, va récupérer l’information qui lui est adressée et revient ensuite vers la désintoxiquée, lui tend sa main.
— Quelqu’un est venu te chercher… c’est l’heure pour toi d’y aller, tu as tes affaires ?
— Oui, dans ma chambre, je vais aller les chercher.
— Non, non, t’embêtes pas, on te ramène ça.
— Merci. »

L’infirmier lui présente la voie de la sortie et s’éloigne pour aller chercher les affaires dans la chambre luxueuse dans laquelle Nikki est restée trois mois pour se refaire une santé, éliminer les toxines dans son sang et les douleurs dans son cœur. Pour la première fois elle a mentionné son traumatisme et a pu suivre une évolution quant à l’événement. Rien n’est réglé et sa confiance envers le monde est détruite. Elle sait que Terry a raison alors qu’il lui dit que le plus dur est à venir, alors qu’elle se retrouvera seule face aux autres. Mais elle ne compte pas s’arrêter, pas alors qu’elle se sent revivre, alors qu’elle se sent entourée, perçoit les vieilles composantes de son identité se remettre en place. Alors qu’elle se ressent, à nouveau et comprend les sensations, les émotions qui lui traversent le ventre, les joues qui rougissent ou les larmes qui coulent. La vie coule à nouveau dans ses veines et Nikki a l’impression de renaître.

Ses pieds ne trainent pas sur le parquet de la clinique et elle s’avance tranquillement dans les couloirs, cherche la sortie des yeux et repousse ses cheveux derrière ses oreilles alors qu’elle doit s’arrêter signer des papiers. Elle entend Terry pas loin déjà arriver avec sa valise, toute petite ; elle n’a presque rien. La blonde signe les papiers, remercie chaleureusement l’équipe, pique un bonbon dans le bol près de la lampe et avec le cœur qui bat, fait ses premiers pas à l’extérieur accompagnée du membre du personnel qui tient toujours sa valise.

Le vent s’engouffre dans ses cheveux alors qu’elle est sur le pas du centre, son regard se porte sur la plage qui borde l’ensemble hospitalier et puis longe la ligne d’horizon pour finalement s’arrêter sur une silhouette plus que familière.
L’absence infligée est récompensée, son cœur fait un petit bond ravi dans sa poitrine alors qu’elle voit le directeur financier se tenir près de sa voiture, dans l’attente que Nikki sorte du centre. Il est venu pour elle, venu la chercher, l’accompagner à sa sortie. Son sourire s’étire davantage et elle ose un geste de la main, un salut tranquille alors qu’elle irradie de bonheur. L’inquiétude qui lui prenait les tripes semble s’envoler pour laisser place à une chaleur tranquille. Elle ne sera pas seule finalement.

« Voilà, mademoiselle ! Terry l’extrait du chemin de ses pensées et la blonde se tourne vers lui, saisit la valise qu’il lui tend et puis la main. Portes-toi bien, et ne reviens pas ici.
— Merci encore Terry. Je n’aurais pas pu y arriver sans ton aide. » La poignée de main est chaleureuse, enjouée. Nikki n’est pas capable de passer le cape de l’étreinte, l’intimité étant ce qui lui est de plus cher, séquelle inexorable de son passé tout proche ; mais la main dans la main l’émotion est bien assez suffisante et communiquée.

L’adieu prononcé, Nikki remonte dans sa main la valise légère et soupire, le cœur battant, les rayons du soleil percent le ciel sans nuage pour se poser sur ses joues et elle se délecte du moment. Puis elle se met en route, une ligne droite vers Mathias, une distance qu’elle s’empresse de franchir pour le retrouver.

« Bonjour Mathias. » Le “Mr Wagner“ n’est plus d’actualité depuis quelques semaines, depuis qu’elle a compris qu’il serait plus proche d’elle en s’accordant son prénom. Son sourire est bien présent, son visage est reposé, les cernes évanouis, le regard éclatant d’une vie nouvelle. Ce n’est plus la même Nikki turbulente et cachée derrière une insolence qui fait pourtant partie de son caractère.
L’italienne dépose son regard dans celui du directeur financier et penche la tête un peu sur le côté, détaille le col défait et sans cravate. « Merci d’être venu. » Son regard se déporte sur le côté et la blonde se penche pour observer la silhouette toute aussi familière d’Henry qui sort de la voiture, s’approche déjà pour lui enlever sa valise.
« Bonjour Henry !
— Bonjour Mademoiselle. Ravi de vous voir aussi rayonnante.
— Nikki, c’est Nikki ! » L’homme discret lui sourit et récupère la valise, puis la main tendue de l’italienne pour la serrer franchement et chaleureusement. D’un geste, il n’est déjà plus là, occupé à ranger le petit paquet de Nikki.

La jeune femme laisse son regard retomber dans celui de Mathias et puis jette un œil autour d’eux comme pour décrire le paysage. Elle ne sait pas trop sur quel pied danser, un peu intimidée par le moment et par l’homme même. Et puis une idée lui traverse l’esprit, reprenant sa spontanéité habituelle.

« Vous voulez bien marcher avec moi un peu sur la plage avant de partir ? Je n’voudrais pas vous retenir sur votre agenda du jour, mais il y a un joli coin que j’aimerais vous montrer et visiter avant de partir. »

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 « J’ai quelques heures devant moi alors ça serait avec plaisir. »

La remarque lui fait plaisir. Non seulement il est là pour venir la chercher, mais en plus elle présume qu’il a pris quelques heures pour elle. Ça la fait sourire, tranquillement, alors qu’il lui offre son bras et lui donne l’occasion de mener le parcours. Nikki ne se fait donc pas prier.

Elle passe son bras sous le sien et se met donc à marcher à pas léger. Elle n’a pas envie de se presser, même si elle sait que le temps du directeur financier est certainement compté, elle n’a pas non plus envie de partir comme ça. Nikki n’est pas spécialement sure de ce qu’il se passera lorsqu’elle sera rentrée à Chicago et elle a envie de faire un peu durer le moment. L’incertitude lui fait peur, l’angoisse doucement. Ça ne la paralyse pas encore, elle se sent entourée, elle sait qu’elle a des gens sui qui compter et la preuve en est : Mathias est là. Il aurait pu la laisser, ne revenir que pour lui demander de rembourser ce qu’elle lui doit. Une somme astronomique. Les fringues qu’elle porte sur elle sont encore un don de la part du directeur financier.

La culpabilité qui ne pesait pas sur ses épaules à l’époque l’accable aujourd’hui. Alors qu’ils avancent tranquillement, qu’elle le guide d’abord par l’arrière du centre, Nikki se dit qu’il lui faudra du courage, encore, pour accepter les erreurs commises, son comportement irrationnel, destructeur, mesquin. Elle a pris l’homme avec elle aujourd’hui pour cible, et l’a volé. Elle est chanceuse que Wagner est un homme bon, après tout, elle aurait pu finir en prison. N’importe qui d’autre n’aurait pas hésité. Au lieu de venir la chercher, au lieu de payer sa caution en plein milieu de la nuit, n’importe qui d’autre l’aurait laissée pourrir là, dans sa cellule. Il est compliqué pour elle encore de composer avec son comportement de droguée. Aujourd’hui, enfin clean, les yeux ouverts, Nikki ne peut pas s’empêcher de souffrir tant elle se sent honteuse et coupable. Une part du process consiste à accepter cet état de fait. Un travail qu’elle doit faire encore.

« Je suis vraiment ravi de te retrouver, tu as l’air reposée. La blonde relève son regard vers celui de Wagner et lui adresse un sourire tranquille, effectivement reposé. Il dépose une main chaude sur la sienne et ne bouge pas. Un autre jour, un autre moment, elle aurait certainement. Mais Nikki est constamment en travail sur elle-même. Elle se réapproprie chaque jour un peu de l’intimité si précieuse, qu’elle protège furieusement. Alors dis-moi, comment te sens-tu ? »

L’italienne repose son regard devant elle, jette un œil dans la direction vers laquelle elle dirige l'homme qui l'accompagne pour être sure de ne pas se tromper à l’embranchement de deux chemins différents.

« Je me sens mieux. Je sais qu’il reste une grosse partie du travail à faire, et je sais que je rencontrerais des obstacles mais… Elle hausse les épaules, ne termine pas sa phrase, un peu gênée par la sincérité de ses propos. Si elle a pris le quadragénaire en confident, elle ressent toujours un peu de timidité à chaque fois qu’il lui faut parler de ce qu’elle éprouve. C’est toujours une partie compliquée, de s’exprimer. Nikki est et a toujours été secrète, discrète. Si rien ne l’empêche de dire ce qu’elle pense, il lui faut beaucoup de confiance pour se livrer. Et elle considère que Wagner est bien assez digne de cette rare preuve d’estime. D’autant plus qu’elle apprécie le directeur financier et qu’elle lui doit beaucoup. J’ai l’impression d’y voir clair pour la première fois depuis longtemps, et d’être complètement incertaine quant à l’avenir, en même temps. C’est perturbant. »

La blonde retombe dans le silence, et Wagner ne la force pas à s’exprimer davantage, évidemment.
Bientôt, ils arrivent à la séparation du chemin, et contrairement à toute attente, au lieu d’aller vers la plage, Nikki se dirige vers la végétation. Il ne leur faut que quelques minutes de silence pour arriver là où elle le voulait, petit sanctuaire tranquille.
L’endroit que la blonde voulait lui montrer est simple. Ils débouchent sur un petit endroit ouvert sur l’horizon. Le lieu, en hauteur, est tapissé de grosses pierres. En contrebas, à plusieurs mètres, le sable de la plage. Derrière eux et sur les côtés, de la végétation, des pins qui laissent leur odeur imprégner le petit espace ouvert. Le vent, brise maritime habituelle dans les bords de plage, parcourt ses cheveux blonds qu’elle replace derrière ses oreilles, rentre dans le bord du manteau léger qu’elle referme pour ne pas attraper froid. Sans attendre davantage, la blond s’assoit au bord des pierres et invite le directeur financier à en faire de même. Ses lèvres toujours fermées, elle adresse un regard amusé à Wagner qui n’a certainement pas l’habitude de s’asseoir par terre… Un sourire ravi peint ses lèvres.

Alors qu’il se plie à l’exercice, ça semble la frapper ou tout du moins lui apparaître un peu plus clairement. Elle ne saurait dire ce qui la lie à Mathias Wagner, a un peu de mal à démêler ses sentiments mais pourtant, elle ressent bien quelque chose. Sinon, elle n’aurait jamais accepté sa main tendue, jamais emmené dans ce petit endroit en retrait qui n’a rien de fabuleux mais juste assez particulier pour qu’un œil comme le sien veuille bien s’y arrêter.

Elle ne le considère pas comme une figure paternelle, comme on pourrait s’y attendre en estimant leur différence d’âge. Nikki a un père, des parents toujours en vie, qu’elle garde dans le cœur. Ce n’est pas un grand frère non plus, ce n’est pas un… « ami » comme elle pourrait l’attendre de Sadie, ou Skylar. C’est différent. Elle n’arrive pas vraiment à mettre le doigt dessus, ne saurait trop dire de quoi il en retourne et pourtant, elle s’est longtemps posé la question dans sa chambre, au centre de désintoxication. Elle ressent le manque quand il n’est pas là, ou bien quand il ne vient pas honorer leurs rendez-vous. Elle a souvent des choses à lui dire, des remarques, des impressions, des petites pensées à partager. Nikki trouve le quadragénaire intéressant, cultivé, raffiné, toujours sensible aux petites choses qu’elle a l’habitude de voir ignorées par le commun de son entourage.
Alors ça l’intrigue, de ne pas savoir, de ne pas avoir une large vue sur ses émotions. Elle se demande si ça n’est que la conséquence de se sentir si fortement redevable, où s’il y a davantage derrière tout ça. Elle s’est déjà interrogée longuement sur la nature de sa relation avec Mathias, a envisagé l’idée d’avoir pour lui un faible dépassant un intérêt commun et une culpabilité sans limite. Nikki n’est pas effrayée par les sentiments qui pourraient l’agiter mais plutôt par l’indécision, l’incompréhension, le flou qui entoure la périphérie de son regard bleu braqué vers lui. L’italienne voudrait comprendre ce qui lui passe par la tête.

« Je viens là de temps en temps, pour réfléchir. J’aurais aimé savoir dessiner pour essayer de capter le paysage, mais, je ne suis pas de c’genre là. » Elle hausse encore une fois une épaule, trifouille un brin d’herbe qui dépasse d’une fissure dans la pierre, passe par-delà la mousse. « Je voulais vous remercier une fois encore. Je sais ce que vous m’avez dis et j’en tiens compte Mathias. Mais je vous suis reconnaissante, et j’espère pouvoir vous rendre ce que vous m’avez donné un jour, me faire pardonner. Je suis ouverte aux suggestions. » Elle lui adresse un sourire sincère, penche un peu le visage sur le côté. Ses airs mutins transparaissent. Avant même qu’il ne puisse lui dire qu’il n’en est rien et autres formules de politesses, elle enchaine : « Et vous alors, comment allez-vous ? »

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 « Je vais très bien. Les affaires tournent bien, nous accueillons deux nouvelles expositions exclusives pour la saison prochaine. Je songe éventuellement à ouvrir une deuxième salle d’exposition avec un concept de visite un peu plus innovateur. Nikki acquiesce, écoute le directeur financier tranquillement, il a toujours les idées claires sur son futur, sur ses projets. C’est une habitude qu’elle devrait prendre, songe-t-elle, mais faut-il encore savoir de quoi ce futur va potentiellement être constitué. Ce qui n’est pas son cas. Nikki est à un carrefour étrange de sa vie. Pas encore sortie de désintoxication, clean depuis trois mois et sans aucun job, aucune ressources, peu d’idées sur ce qui fera la suite de sa vie. La stabilité est essentielle pour la suite de sa thérapie et la confusion qui entoure la suite des choses lui fait peur. Mais ce n’est pas le moment d’y penser. Pas encore.
— Bien évidemment, tout cela reste entre toi et moi. » La blonde laisse échapper un rire, met de côté le cœur qui s’est mis à battre sous l’angoisse à l’horizon et redonne son regard à la ligne qui dessine l’horizon. Cet endroit lui manquera certainement, il lui faudra trouver un équivalent de retour à Chicago. Nikki se demande ce qu’elle fera dans un premier temps, à son arrivée.

« Nos petites sorties m’ont manqué. Je m’ennuyais de nos éternels débats et de ton entêtement. » L’ex-junkie redonne son attention au quadragénaire qui l’observe. Se livre-t-il ? Nikki ne sait pas. Elle est habituée à la sincérité du directeur financier, a l’habitude de le voir être si maître de lui-même, y compris lorsqu’il s’exprime sur ses émotions. Ça la fait sourire, néanmoins, c’est ainsi qu’il la voit. Entêtée. C’est vrai qu’elle était déterminée. Lorsque Nikki pose un regard sur l’ancienne fille qui se baladait dans son corps, elle ne se reconnaît pas, ou plus. Il lui est difficile de faire l’état des lieux de son identité aujourd’hui, alors qu’elle ne s’organise plus autour de la drogue et des délires dans lesquels elle adorait se plonger.

« Cet endroit est vraiment agréable. Peut-être pourrais-tu t’essayer à la peinture, avec un peu de pratique tout s’apprend.
— Je préfère regarder plutôt que pratiquer, je crois. Elle sourit, l’observe alors qu’il a les yeux clos, visiblement inspiré lui-même par le paysage. Ses yeux détaillent le visage particulier, la carrure entretenue, les lignes des vêtements haut-de-gamme.
— Alors quels sont tes projets pour ta sortie ?
— Ah… » Nikki hausse une épaule, le visage contorsionné dans une expression confuse. Il pose le doigt sur le problème. « Si je dois être parfaitement honnête, c’est bien une question retorse, sur laquelle je bute. Elle pause, redirige son regard vers la mer en contrebas, ne peut concilier l’expression du regard et celle de ses lèvres. Je dois avouer que ça me fait flipper, un peu. Dans le sens ou je sais que la stabilité est un élément essentiel à la sobriété. Et rien n’est stable dans ma vie, je veux dire, j’ai abandonné appart, chat, parents, job, tout derrière moi. Je vais devoir tout ré-organiser et je ne sais pas ce que ça va donner. Je ne peux décemment pas retourner à la caserne, ni à une vie de petits boulots sans lendemain. Je ne peux pas reprendre mes travers, revenir à un mode de vie qui me fera replonger plus vite que je ne l’verrais arriver. La blonde hausse une épaule, passe sa main sur le jean qui couvre ses cuisses, par lequel le vent arrive à passer et refroidit sa peau claire. J’imagine que ma première étape sera de trouver un psy. J’ai encore des choses à régler, rien n’est fait, la cure je crois que c’est pas l’plus dur, Mathias. » Elle sent dans son cerveau poindre les images de cette soirée, de son éveil dans cette chambre d’hôtel et son corps semble réagir au problème mieux qu’elle ne le fait : Nikki se replace, change de position, change son maintien comme pour chasser le problème loin de ses pensées, semble se reconcentrer sur l’instant présent nettement plus agréable. Elle ne doit pas gâcher ce moment avec ses si sombres idées. Elle ne doit pas les ignorer non plus, mais simplement elle doit dealer avec ça autrement. Et s’accorder un repos bien mérité.

« J’espère que Prince Harry va bien, pauvre chat. Si je vous racontais comment je l’ai récupéré vous ne me croiriez pas… ou peut-être que si, vu la dose de poison que j’avais dans le sang. » Elle essaie de plaisanter, redonne son regard à l’homme qui l’accompagne.

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« En vu de l’audace dont tu sais faire preuve, je pense qu’il ne me serait pas difficile de te croire sur parole. » Nikki hausse une épaule, comme pour prolonger le mystère. Oui, surement, il la croirait. Après tout elle l’a volé pendant de longues semaines, il peut largement se faire à l’idée qu’elle ait commis un cambriolage (en duo ceci dit, et un de choc !). Elle n’a pas envie de lui dire, après réflexion, n’a pas envie de lui rappeler cet aspect peu reluisant de sa personnalité. Capable du pire, pour un peu de drogue.

« Je comprend que la suite t’effraie après tout ces mois passé ici mais je suis certain que tu ne seras pas seule pour t’aider à retrouver ce que tu as laissé derrière toi. Je sais que tes parents sont impatients de te revoir. » Les mots du directeur financier la mettent mal à l’aise. Elle n’a pas envie de se laisser aller à ce… sentimentalisme ? Si léger soit-il alors qu’il n’aborde simplement que la joie de ses parents. Nikki a toujours été très pudique et même s’il a raison, si elle sait bien que ses parents ont hâte de retrouver leur précieuse enfant, elle n’a pas envie d’être au centre des attentions d’un monde qui ne s’est pas arrêté de tourner pour elle. Une part d’elle a peur de son retour à la maison. C’est pourquoi elle ne veut pas revenir chez ses parents et qu’elle a décidé de rester dans son appartement, toujours pourquoi elle n’a pas abandonné son bail, fait déménager ses affaires. Elle sait qu’Andrea aurait été là pour le faire à sa place pendant la désintox. Mais non.

« Je connais quelques bons psychiatres, si tu le souhaites. » Il la tire de ses pensées alors elle relève la tête pour lui accorder toute son attention. Évidemment qu’il connaît de bons psychiatres. Nikki a l’impression qu’il connaît tout et tout le monde, que la moitié de la ville lui doit des faveurs et qu’elle n’a vu que le côté le plus flashy de sa personnalité. Ses yeux maintenant ré-ouverts sur le monde s’amusent à le sonder sous un nouveau jour. « Ce n’est pas parce que la cure est terminée que mon rôle s’arrête ici Nikki. Je suis encore là pour t’aider si le besoin se fait sentir, jusqu’à ce que tu ailles définitivement mieux. »

L’italienne voudrait absolument être capable de se dire qu’elle n’a plus besoin de lui, qu’elle se voit parfaitement continuer sa route seule. Mais ce n’est pas le cas. Alors qu’elle est incapable de placer des mots corrects sur sa façon de s’émouvoir au sujet du directeur financier, elle n’est pas complètement imbécile et sait qu’il a une place centrale dans son rétablissement. Il l’aide. Quand Mathias est là, Nikki se sent capable d’aller mieux. On lui a bien dis qu’il ne fallait pas de béquille pour remplacer son addiction et ce n’est pas ça, elle sent que c’est différent. Alors même si elle voudrait que le poids de sa culpabilité et de sa reconnaissance arrête de grandir là, elle sait qu’il ne faut pas, pour sa santé, que ça soit le cas. C’est pourquoi elle ne dit rien, ne réplique pas encore. Ça lui arracherait la bouche.

« Tu retrouveras une vie, étapes par étapes. Il te faudra être patiente encore quelques temps. » L’ex-pompier acquiesce. L’étroite et intime conversation la met mal à l’aise maintenant et elle n’a plus envie de continuer dans cet élan particulier. Et comme si Wagner était capable de le sentir, il dérive et lui pose une question qui suffit à elle seule de ramener son sourire perdu : « Veux-tu que l’on aille récupérer ton chat en premier lieu ?
— Absolument. Son sourire s’agrandit. Allons chercher Prince Harry, c’est son nom, vous pouvez le dire même si je sais bien que ça vous fait rire. Vous pouvez aussi vous moquer mais ces créatures sont d’anciens compagnons d’pleins de monarques ! Je sais que vous le savez. » Nikki continue de parler en se redressant, époussette ses cuisses, ses genoux et enfin ses épaules. Elle remonte ses cheveux pour les replacer dans son écharpe. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la revoilà aux côtés du directeur financier pour faire le chemin en direction cette fois de la voiture et de la ville de Chicago.

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Lorsqu’elle le quitte et qu’il lui demande si ça va aller, Nikki n’est sure de rien. Mais l’ex-junkie ne veut rien lui montrer, penser elle-même et croire que ça ira très bien même si revenir à Chicago lui semble plus difficile qu’elle ne le pensait. Elle n’a pas tellement envie de revenir à son ancien appartement, sanctuaire de shoot. Alors qu’elle monte les escaliers avec l’équivalent du peu de fringue qu’elle a dans une petite valise, Nikki se sent un peu stressée, un peu chiffonnée. Mais elle essaie de ne pas y faire attention, on l’avait prévenu, la désintoxication est presque la partie la plus drôle du sevrage. Elle se répète tout bas les mantras appris en cure alors qu’elle arrive à son étage, dépose son chat et sa valise à ses pieds. Prince Harry miaule sans arrêt alors qu’elle enfonce la clef dans la porte bleu ciel, blindée.

L’appartement que Nikki retrouve est clean, extra-clean. Le petit espace est rangé, tout lui semble être frais, propre, à sa place. Son bordel est fixé. Il n’a plus rien à voir avec celui qu’elle a quitté de longues semaines plus tôt. Les bruits dehors sont les mêmes, mais ni elle ni l’espace n’a quelque chose à voir avec leurs images du passé. Ça lui fait bizarre, ça lui noue quelque chose dans l’estomac mais au lieu de se concentrer sur la désagréable sensation, l’italienne referme la porte dans son dos et se baisse pour ouvrir la porte de la cage du Prince Harry. Elle gratifie l’animal d’une caresse ou deux avant qu’il ne retourne à l’endroit où est censé être son plat de croquette. Lui ne perd pas ses repères.

Debout et seule dans l’appartement, Nikki n’a pas l’impression d’être là où il se doit. Elle ne se sent pas à sa place, au milieu de sa petite kitchenette, les mains sur les cuisses alors qu’elle s’est redressée, sa toute fraiche et fragile sobriété dans les mains, Nikki se demande bien ce qu’elle va faire.


22h45. Allongée dans son lit, le ventre creux, Nikki observe la vieille tâche d’humidité dans le noir, le bras tendu comme une enfant elle semble dessiner au crayon les contours. Elle souffle, laisse retomber sa main à côté d’elle et se tourne sur le côté.
L’ex-junkie se sent complètement seule. Son portable est là, sur sa table de chevet, la vitre contre le bois clair. Un autre soupir. L’italienne ne se sent pas à l’aise dans ce lit, à vrai dire, dans l’appartement même. Loin sont les nuits au milieu du bâtiment de luxe, avec quelqu’un pour veiller sur elle si les vertiges la prennent.

À côté du portable se trouve le jeton qu’on lui a donné à sa sortie. D’autres viendront, normalement, elle l’espère, même si le cadre n’est pas le même. Son ongle est remonté à ses lèvres et la jeune femme le fait claquer entre ses dents. Sale habitude qu’elle garde de ses aventures de droguée.
Le quartier dans lequel se trouve son petit studio n’est pas vraiment calme. Elle n’arrive pas à s’endormir, mais au-delà du bruit qui dépasse largement le background sonore de la cure de désintoxication ces dernières semaines, c’est celui dans sa tête qui l’embête vraiment. Le buzz de ses pensées l’empêche de fermer les yeux en paix. Depuis qu’elle est revenue dans l’appartement, Nikki se sent complètement vide, étreinte par un sentiment de solitude et de confusion qu’elle ne s’attendait pas à ressentir. Elle se trouve désemparée, elle ne sait pas de quoi demain sera fait et jusque-là, la blonde n’avait pas compris ce que cela pouvait représenter. Pourtant, elle s’était imaginée son retour de milles façons. Mais quelque chose ne colle pas au tableau, Nikki n’arrive pas trop à se situer. Peut-être qu’elle devrait attendre demain, peut-être qu’elle devrait boire une camomille et se recoucher, peut-être que ça marchera. Alors l’italienne s’extrait de son lit d’un geste trop vif pour être celui de quelqu’un en proie au sommeil et fait les quelques pas qui la séparent de sa cuisine. En moins de deux, l’infusion est préparée, bue et elle passe aux toilettes avant de retourner se coucher.

00h07. Nikki ouvre ses yeux à peine engourdis par le sommeil. Elle n’arrive toujours pas à dormir, ses angoisses semblent remonter doucement à la surface comme des petites créatures abyssales qui sont guidées par la lumière. Elle regarde la forme de son chat couché à ses pieds, recroquevillée sur elle-même. Il y a quelques minutes, la blonde a même essayé de joindre sa mère.
Essayer est un grand mot, elle a simplement récupéré son téléphone, glissé jusqu’au contact voulu et elle a attendu que les minutes passent, incapable de savoir si elle le voulait, le devait, le pouvait.

02h10. Alors que le numéro est composé et que les tonalités s’enchainent, Nikki regrette son geste de seconde en seconde. Et pourtant, son oreille reste plaquée à son téléphone.
Assise sur le bord de son lit, les pieds nus glissés l’un contre l’autre, les jambes recouvertes de chair de poule. Elle ne sait pas pourquoi elle s’est laissé tenté, c’est stupide. Sur toutes les personnes qu’elle aurait pu appeler… La jeune femme se mordille la lèvre, le regard perdu sur les lumières du bâtiment d’en face. Les néons sont les seules qui restent, donnant un air presque cinématographie à la ville. C’est ce type d’atmosphère qu’elle aime voir au cinéma. Mais ça ne la rassure pas.

A la quatrième tonalité, il décroche enfin et Nikki se rend compte plus encore de son geste quand le quadragénaire lui adresse la parole de l’autre côté de la ligne.

« Allo ? » Une pause. L’effroi lui parcourt le visage, et personne n’en est témoin à part Prince Harry qui s’est réveillé avec sa maitresse. Elle ne sait pas quoi répondre à cette simple interaction.

« Est-ce que tout va bien Nikki ?
— Euh… oui, oui… La blonde se secoue, se redresse assez violemment pour que le chat sur ses genoux proteste un peu puis se roule à nouveau en boule pour se laisser caresser. Il n’a pas fait la tête longtemps à sa maitresse. Je suis désolée de vous appeler à cette heure-là j’espère que je ne vous ai pas réveillé, Mathias. Les mots sortent d’eux-mêmes, elle semble presque robotique à ce stade, ses grands yeux ouverts et fixes plantés dans la moquette bon marché. Je ne sais pas pourquoi j’ai fais ça. » Et pourtant, Nikki ne raccroche pas. Elle reste silencieuse, pendue au bruit blanc qui court sur le réseau. Quelque chose lui dit qu’elle devrait parler à nouveau, battre en retraite, n’étant même pas capable de savoir quoi faire. Il faut qu’elle se rend à l’évidence, elle n’a rien à dire maintenant et devrait aller se coucher. « Je n’arrivais pas à dormir et puis… voilà. Je vous laisse tranquille, encore une fois désolée. »

REHAB

And I, close my eyes tight
So now the vision of you near makes me feel alright

« Ne raccroche pas. Nikki hésite, les dents glissées sur la lèvre inférieure. C’est vrai qu’elle aurait du raccrocher, elle s’en veut de l’avoir appelé en plein milieu de la nuit, une fois de plus dérangé pour ses sottises. Néanmoins, elle n’écarte pas le téléphone de son oreille, comme le lui suggère Mathias. Sa voix la rassure, elle le sent bien. Et se sent déjà mieux, un petit peu, de savoir qu’il l’écoute, qu’il est prêt à rester au téléphone.
— Je t’avais dis que tu pouvais m’appeler à n’importe quelle heure, pour quoi que ce soit.
— Je sais mais…
— Je suis heureux que tu l’aies fait. »

La blonde laisse retomber son regard sur son chat, puis la moquette, puis le jeton sur la table de chevet et la cuisine, enfin. Cet espace vide, presque aussi vide qu’elle. La Nikki ne comprend pas ce qui la dérange dans ce banal qui aurait dû lui être réconfortant. Qu’est-ce qui déconne chez elle à nouveau ? Pourquoi n’est-elle pas capable de s’endormir ? Pourquoi a-t-elle ressenti le besoin de l’appeler ? Et enfin, pourquoi n’a-t-elle plus du tout envie de raccrocher ?

L’italienne s’accroche au silence qu’il laisse planer. Ça la rassure un peu qu’il soit à l’autre bout du fil, elle s’essaie même à le visualiser, derrière son bureau, stylo en main, peut-être encore en costume. Sa présence lui apporte un soutien qu’elle ne considère pas comme une béquille mais plus comme un… une sorte de confident. Il a été là aux différentes étapes de sa recherche de sobriété. Peut-être que c’est ça, pour ça, qu’elle se tourne à nouveau vers lui. Parce qu’il comprend et qu’il la vue dans des états désastreux. Qu’elle lui doit beaucoup et qu’elle cherche quelque part à se faire pardonner. Il ne s’agit pas de l’oublier. Sa présence compte pour elle. La blonde retient un léger soupir.

« Et puis comme tu peux le constater, tu n’es pas la seule à avoir le sommeil difficile ce soir. » Ses lèvres laisse échapper un léger rire alors qu’il lui semble entendre les lèvres du directeur financier s’étirer derrière l’écran de son téléphone. Nikki s’imagine à peu près l’expression qu’il doit avoir, elle a appris à composer avec ses traits particuliers. Elle ne dit rien, ne se sent pas capable de lui répondre quelque chose d’intelligent alors elle préfère s’abstenir. Ses doigts parcourent toujours la fourrure de son chat et c’est la son seul geste, le corps mué dans une allure recourbée, statique, seulement pendue aux mots qui pourraient s’extraire du bruit blanc entre les deux correspondants.

« Quelque chose ne va pas ? Serait-ce notre très cher Prince Harry qui ferait des siennes ? » Son corps se remet en mouvement alors que Nikki laisse retomber son visage dans un léger rire, un souffle amusé, son regard à nouveau englobe la silhouette circulaire de son animal de compagnie. Elle secoue la tête de gauche à droite avant de se dire qu’il ne l’entendra pas, il n’est pas là, simplement au bout du fil.

« Non, non… Prince Harry va très bien. J’imagine qu’il est content de me voir de retour, je ne sais pas, qui peut lire dans les pensées d’un félin. » Nikki souligne le caractère indépendant de sa bestiole préférée qui s’étire sur ses genoux et puis se recroqueville dans un geste adorable, les pattes sur le museau, recommence à dormir sans se soucier des pensées terribles qui agitent sa maitresse. « Il dort sur mes genoux. Il est tranquille, lui. » Les doigts de la blonde quitte le crâne du chat pour se diriger sur son ventre mis à jour par sa nouvelle posture. Elle adore son chat, aime l’observer, apprécie son indépendance. Ils se ressemblent beaucoup, elle aussi a son caractère félin. Elle garde les lèvres closes un moment, ses pensées divaguent, reviennent au creux de ses angoisses, se logent en plein milieu de cette solitude qui lui fait peur ce soir. Elle n’arrivera pas à s’éviter le sujet. « Je ne sais pas trop si ça va. C’est étrange. » En tout cas, l’italienne ne se sent pas dans l’impossibilité de s’exprimer, même si c’est compliqué. Chaque mot, sincère, est comme un rasoir sur ses lèvres fines et pincées. Ça ne lui a jamais été aisé. Mais avec Mathias, c’est différent, elle ne se sent pas jugée.

« Je savais que ça n’allait pas être facile de rentrer. Mais j’pensais pas que ça s’rait compliqué aussi vite. J’sais pas trop comment expliquer. » La jeune femme souffle doucement, abandonne les caresses pour son chat et se redresse un peu, jette un regard par la fenêtre sans volet. « C’t’appart me rassure pas. C’est bizarre. C’est vide et froid, néfaste un peu. Je sais que ça a l’air complètement con, je vous appelle comme pour vous dire que mon studio c’est The Shining. » Elle laisse échapper un rire, pare son malaise avec un peu d’humour alors qu’elle déglutit. « Enfin l’hôtel, l’Overlook… » précise-t-elle, pour ne pas paraître inculte et bien faire la distinction dans ce qu’elle raconte entre le film, le sujet et les lieux eux-mêmes. « Ça m’passera surement. »

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« Ca n’est pas si stupide que ça. Disons que ton appartement, c’est un peu ton Overlook finalement. » La comparaison lui paraît pourtant complètement grotesque malgré tout. Surtout alors qu’elle s’adresse à Mathias. Comment peut-il entretenir son idiotie sans serrer les dents ? Elle ne sait pas. Il a toujours été d’une bonté sans limites avec elle. Mathias est patient, compréhensif, n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Il la rassure à sa manière, avec sa voix chaude et son ton tranquille. Ça lui fait bizarre de chercher de l’aide ailleurs. Nikki est consciente qu’elle ne peut plus s’en sortir par elle-même maintenant. Elle a besoin d’un conseiller, de quelqu’un qui saura la comprendre, l’entendre, la rassurer, l’amener là où elle ne pouvait pas jusqu’alors, incapable de dealer avec ses démons.

« Tu n’y as que très peu de bon souvenir et il est peut-être trop tôt pour toi que de remettre un pied dans le nid qui t’as vu dans tes plus mauvais jours. Il te faudra du temps pour mentalement guérir, bien plus que physiquement et c’est tout à fait normal. L’italienne se sent moins stupide, moins diminuée alors qu’il continue de lui parler. Elle essaie de le croire, de se dire qu’il n’y a rien de bête dans l’idée d’avoir peur. Peut-être qu’il a raison et ça lui fait du bien de l’entendre dire. Elle n’est pas complètement aliénée. Je dirais même que c’est humain. » L’ex-junkie hausse les épaules dans la nuit, geste imperceptible pour Mathias à l’autre bout du téléphone mais là quand même. Ses yeux restent plantés dans le tapis en moquette, sa main libre dans la fourrure de l’animal.

« Peut-être qu’il serait plus sage que tu viennes à la maison. C’est un terrain neutre, tout ce qu’il y a de plus sain pour toi. J’ai une chambre d’ami où tu pourras passer la nuit. Henry va venir te chercher dans l’heure. »

L’ancienne Nikki perchée sur son épaule aurait pu hurler à cette proposition. Pourtant, elle n’en fait rien, reste silencieuse, considérant l’option comme un champ viable. Après tout, elle ne veut pas aller voir ses parents, ça lui semble trop compliqué. Ils ne sauraient pas respecter son besoin d’intimité, de solitude. Nikki a besoin de privatiser ses moments, et de se concentrer sur elle-même. Sa mère voudra être présente à chaque seconde de sa nouvelle existence. Son père ne saura pas s’y prendre, sa sœur sera toujours là à juger et son frère et bien… Aussi impulsif qu’il est, Andrea n’est pas capable de se réfréner. Tout cela partant pourtant d’un bon sentiment, Nikki sait bien que ce n’est pas là qu’elle doit être. Il lui faut plus de calme, de la sérénité. Et Mathias et bien, c’est ce qu’il a su lui apporter. A sa manière, lui qui ne lui devait rien, pas même à ses parents. Qui prend son temps pour elle. L’italienne n’a même pas envie de se rebeller. Elle doit apprendre à accepter les mains tendues, pour l’aider. Elle pousse un léger soupir et se redresse.

« Je… prépare mes affaires. » Ses lèvres se pincent, elle se sent stressée et pourtant soulagée à l’idée de s’éloigner de cet endroit, de cet appartement qui ne lui dit rien. L’animal comme alerté par le changement de ton de sa maitresse, se redresse et saute de ses genoux. Nikki en profite pour se relever, faire quelques pas dans son appartement. Sa gorge s’assèche un peu alors qu’elle passe une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Son regard se perd sur le décor dehors. « Merci, Mathias. »