nikki

THE LIST

1. Papa et maman. Filipo & Giocasta. Descendance italienne, arrière-grands parents débarqués de New-York.
   
2. Nikki Ofelia VERONESI
   Chicago, 28 ans, Bientôt 29, le 1er février 1989. Après Beatrice et Andrea.
   Bea, cinq ans de plus. Médecin. Andrea, deux ans de plus, pompier.  
   Vera a trois ans de moins. Elle boxe, catégorie poids léger.
   
3. primaire, collège, lycée. Renvoyée. On s’en fout. Juste, lui, j’me rappelle pas son nom. On est sortis ensemble quelques mois. retrouver son nom. Aleida.
   
4. 2008 : Premier fix, 19 ans. Derrière l’église, dans le south side. C’est quoi déjà qu’il disait ? Toujours le même truc, trouver ce truc.  
   
5. LAGHARI, LAGHARI, LAGHARI, LAGHARI. C’est ça son putain de nom. 2011, octobre. Marc, Stella, Skye et John. SKYE +++ 21 ans.
   Deal simple, signé : aucunes charges pour possession, pas de prison, et dossier clean en échange des noms. Micro, opération, pourriture de balance. (C’est moi, la balance en question). J’ai donné tout. Sauf Skye. M’ont arrêté en même temps pour « le spectacle ».
   
6. novembre 2011: Kenmore Center for Addiction of LSSI, 2 mois. Faut voir ce qu’est devenue la nurse là-bas, et Chelsea (coloc pour la désintox) aussi. Elle a dit qu’elle voulait faire de l’art : sculpture ou céramique, j’sais plus quelle merde. Brune, tie-dye blond, yeux marrons, verts peau mate. Canon. C’était quoi son truc? trouver son habitude de fix. Meetings à la sortie. Entrainements Andrea en préparation du concours pour la caserne.
   
7. Janvier 2013 : concours pompiers. Un petit jeton de sobriété. Quel mois ? Papa maman, ça va mieux, ils sont contents. Beatrice --- (je la déteste). Admission pompiers. Février. Cool. 24 ans. Happy birthday !
   
8. Lui, en 2016, Janvier. Pas envie d’en parler. 3 ans et demi de sobriété. Un gros jeton pour les 4 ans en fin d’année. Toujours pompier. C’était calme et tranquille. 27 ans.
   
9. 31 JUILLET 2017. La soirée. Hôtel North Side.
   
10. début Août, 2017, replonge. Octobre : il est parti. Pas envie d’en parler. 1 an et demi de relation. Un chat, il l’a gardé. Le con l’a gardé.
    
11. Début décembre : problème au travail. J’ai merdé, mise en danger vie d’un collègue. Une enquête va démarrer. Je perds tout de toutes façons, j’ai même paumé mon téléphone.
    

[*]ITEM LIST
à chercher & trouver


Allongée sur son lit, le corps las, les cheveux blonds éparpillés dans les draps souillés, Nikki a l’impression de danser. La lumière orange fait fondre les couleurs autour d’elle, les rouges, jaunes, violets des différents objets de sa chambre grossissent, s’étendent sur les murs, comme des jolies tumeurs et l’entourent, la conforte. Son lit est un cocon, un nuage doux sur lequel elle fait un ange, glisse ses bras et ses jambes dans un mouvement simple et lent. La musique qui s’échappe de son vieux lecteur de vinyle n’est en fait qu’un long grésillement signifiant mais elle entend au-delà, perçoit les nervures du disque noir, s’échappe dans des contrées incroyables ; elle se sent heureuse. Calme, reposée, lucide. Nue et pourtant entourée d’une chaleur agréable.
Nikki a l’impression de pouvoir voler.

L’héroïne fait son effet. Elle plane, ne ressent pas encore les chatouillements désagréables, elle ne sent plus rien d’ailleurs. Et ça lui va bien, elle a l’impression de respirer, maintenant qu’elle est allongée là, que le type ferme la porte de l’appartement, bien décidé à ne pas participer à ce bordel. Il lui a filé sa dose et a eu ce qu’il voulait, alors il se casse, n’oublie pas d’emporter avec lui toutes traces de son passage. Exceptée celles qu’il a laissée sur le corps de la blonde, incapable de voir les bleus pour l’instant. Elle a l’habitude, demain, elle haussera les épaules. Elle sait qu’elle marque vite. Nikki aurait préféré ne pas avoir à passer par lui, elle ne l’aime pas beaucoup. Mais il lui fallait sa dose.

Elle finit par se retourner, faire glisser sur son dos le drap blanc et jette un œil à la liste qui pendouille sur son frigo. C’est écrit « La liste » et c’est plié. Elle le sait parce que la blonde la connaît par cœur, non pas parce qu’elle arrive à lire de là où elle est. C’est celle qui raconte sa vie, qui lui donne tous les faits constitutifs de son existence et qu’il lui faut garder précieusement, pour toutes ces fois où elle n’a plus l’impression d’être elle-même. Mais quand est-elle « elle-même », d’ailleurs ? Est-ce la Nikki de ses vingt ans, addict à l’héroïne, encore jeune et stupide qui trouve ça cool, « elle-même » ? Nikki, 21 ans, qui balance son réseau, se barre en désintox, se lie d’amitié, redécouvre sa passion du cinéma ? Est-ce que c’est Nikki, 25 ans, pompier, sobre, prête à s’engager ? Est-ce que c’est la dernière Nikki, post-agression, de retour à flirter avec sa première héroïne ?
Toutes ces questions la pousse généralement à se lever, à récupérer la liste et à retourner s’écraser dans son lit pour lire, et relire les items, les faits. Chaque fois elle raye, réarrange, relit, reprend, comprend, se figure les Nikkis différentes qu’elle suit à travers la liste. Cigarette collée au bec, elle tend le bras pour avoir une meilleure appréhension de l’objet raturé, plié/déplié. Un morceau de papier qui tient sa vie minable en quelques lignes.

L’italienne en a plein d’autres, de listes. Des morceaux de papiers éparpillés, de ses courses à ses numéros de téléphone à ses goûts. Les films qu’elle a vu, ceux qu’elle déteste, ceux qu’elle regarde en boucle. Des informations à collecter petit à petit pour comprendre sa personnalité, pour qu’elle puisse se retrouver dans ce bordel qu’est son studio du South Side.

Quelque part il y’a le papier qui concerne ses jeunes années. Et quelque part, celui de son odieuse trahison, choisissant de cleaner son dossier et d’éviter la prison en acceptant de balancer son cercle de drugs addicts actif. (Laghari, Laghari, Laghari, ce putain de nom qui traine comme une sentence irrévocable, qu’elle refuse de voir comme une main, une aide, qui l’a sortie de là malgré elle pour la balancer en désintox). Ailleurs, il y a celui qui liste ce qu’elle a fait en désintox, qui raconte comment elle a balancé ses amis de l’époque, donne en cascade la multitude de sensations horribles que l’on ressent quand on se force à ne plus consommer de drogue.
Celle des dates et heures des entrainements d’Andrea, son frère. Celle qui recense les problèmes avec sa grande sœur, Béatrice, qui n’a jamais eu d’autres envies que de la descendre sous terre. Il n’y a jamais rien eu entre elles deux. Il y a la liste de ses meetings, horaires, lieux, les jetons, quelque part dans un tiroir, à côté d’une vieille liste de course probablement. La liste des papillons dans le ventre, une première vraie relation stable basée sur la confiance.
Puis il y a la liste terrible, cachée dans un bouquin, qui raconte cette soirée de Juillet. Sortie boire un verre, réveillée dans un hôtel inconnu, seule, nue, endolorie, incapable de savoir ce qu’il s’est passé. Comprenant simplement par la douleur entre ses jambes le pourquoi du comment elle s’est retrouvée là. Sa stabilité s’est révélée bien fragile. Elle aurait pu aller tout dévoiler à la police, mais qui aurait voulu bien la croire. Ce qui frappe les victimes d’agression l’a anéantie et elle n’a pas mis longtemps avant de retrouver le confort de la drogue. Perdant avec cette affreuse soirée sa dignité, son identité, sa sobriété et au final, sa relation, puis, surement bientôt, son boulot.

Le dernier point de la liste la rend malade. Et elle se décide à balancer la liste loin de ses yeux pour ne pas déranger l’impression de bonheur qui coule encore dans ses veines. Elle aurait pu tuer quelqu’un, hier. Un ami, un collègue. Nikki sait que ce n’est que le début de ses problèmes. Ils vont faire des tests, ils vont voir ce qui aurait du être vu depuis plusieurs semaines maintenant. Les affaires internes vont s’en mêler. Le monde va lui tourner le dos à nouveau et ses parents vont à nouveau être déçus. Mais pour l’instant, Nikki est heureuse, confiée à la garde du liquide qui coule dans ses veines. On verra ça demain, se dit-elle.