BANG BANG
Ma main par la fenêtre de la bagnole venait imiter des vagues invisibles, laissant le vent chaud de l’Ouest venir caresser ma peau pour finir sa course en s’engouffrant dans mes cheveux maintenant probablement complètement emmêlés. C’est sûr que ca allait me manquer cet été perpétuel et délicieux, cette chaleur qui montait à la tête des plus téméraires et cette espèce de culte du toujours plus…peut-être que ce n’était pas purement Californien, peut-être que les films ne faisaient que colporter une idée complétement fausse, qu’est-ce que je pouvais bien en savoir de toute façon ? J’avais jamais foutu un pied en dehors de mon état…mais aujourd’hui, aujourd’hui tout ca allait changer, parce qu’aujourd’hui je foutais enfin le camps de ce trou dans lequel j’avais grandi.
Un coup d’œil sur le type qui a les yeux braqués sur la route et dont je ne me souviens déjà plus du nom, Peter ? Paul ? Parker ? Nieh ca n’avait pas vraiment d’importance, il allait sûrement me déposer incessamment sous peu quelque part après Vegas de toute façon et de là et bien j’improviserai. Le panneau indiquant qu’on venait de pénétrer les terres frontalières du Nevada vient faire perler un sourire sur mes lèvres et un éclat de rire excités vient résonner dans la bagnole, bon j’en suis pas à taper dans mes mains, maiiiis j’avoue que c’est pas bien loin ! C’est après tout la plus grosse aventure de ma vie là maintenant.
« Je pense que personne n’a jamais été aussi content d’être dans le Nevada sérieusement. T’as des projets ou t’as juste une passion débordante pour le silver state ? Je secoue la tête avec un sourire. C’est juste que pour la première fois j’ai l’impression que je vais pouvoir vivre ma propre vie et c’est le genre de truc qu’on peut qualifier de réjouissant non ?
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« C’est CAAA !! De toute façon c’est pas comme si j’avais besoin de toi ! BON DEBARRAS ! la bouteille de bière qu’elle tenait dans sa main vient s’écraser au sol à quelques mètres à peine d’elle, le manque de force qu’elle a réussi à mettre dans son geste de lancer, ne lui permet même pas de se briser, c’est d’un pathétique…
- Tant mieux pour toi alors Mama, je suis ra-vie de l’entendre ! Je jette encore quelques fringues dans mon sac, j’essaye de ne pas trop me laisser distraire et de faire ca correctement, bien que de toute façon j’ai pas le loisir d’emmener la totalité de mes affaires et je sais qu’en les laissant ici, ils ne seront bien trop vite qu’un lointain souvenirs que ma mère aura vendu ou donner en échanges de quelques grammes.
– Toute façon t’en a rien à foutre des autres ! T’es qu’une gamine ÉGOISTE !! T’as toujours été qu’une sale gamine égoïste toute façon ! T’entends Sadie !!!!! Je pousse un soupir fatigué, ba voyons…c’est pas comme si j’avais pas passé la moitié de ma vie à la ramasser dans des situations complètement fucked-up, comme si j’avais pas été obligé de laisser tomber le lycée avant même d’avoir mon diplôme ou encore d’aller me dessaper pour qu’on puisse payer le loyer…elle me fatiguait, la vérité c’est qu’elle avait finit par venir à bout de ma patience, j’avais finit de croire ses farandoles de promesses, d’imaginer que sa prochaine désintox serait la dernière et qu’enfin finalement elle tiendrait. Je pouvais plus vivre comme ca, elle n’était plus qu’un poids à présent et mes épaules ne tenaient plus la route.
Mon appareil photo est la dernière chose que je glisse dans mon sac avec quelques polaroids de visages souriants et intimes. Oh et évidemment la thune que j’ai mise de côté et que j’ai nécessairement planqué pour par le voir dilapider dans une, puis deux, puis trois dose…Je me rend dans la cuisine et passe de nouveau à côté d’elle, ca me met hors de moi de la voir comme ca, sale et transpirante, avachie sur le canapé duquel je suis sûre qu’elle peux même pas se lever.
– Oncle Ray va venir s’occuper de te ramener là-bas. Elle baragouine évidemment, se plaint certainement, mais ce n’est plus pour moi que du bruit…j’attrape la boite en cartons estampé raviolis tout en haut du placard et en sort la liasse de billets, tout ce que j’ai et dieu sait que ca ne me tiendras pas des lustres, mais je me débrouillerais, je me suis toujours débrouillée. L’argent précieusement rangés et mon sac sur le dos, je viens déposer un baiser sur la tempe de ma mère.
J’espère que ca ira pour toi. Prend soin de toi. » Et je le pense, vraiment, mais elle devra le faire toute seule cette fois.
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Monter dans un semi-remorque c’est pas le truc le plus safe que j’ai eu l’occasion de faire franchement, mais bon après cinq heures à poireauter au bord de la route au beau milieu de nulle part je me suis laissée avoir par mon impatience. Ce type à pas forcément l’air menaçant, son seul crime ce serait surement la taille de ses rouflaquettes, non mais vraiment c’est quelque chose à voir et d’ailleurs j’arrête pas d’y arrêter mon regard bien malgré-moi j’espère que ca ne va pas le mettre en colère et réveiller son côté Robert Ben Rhoades.
« Je peux te lâcher à Denver, y en a pour un moment alors si tu veux pioncer j’ai une couchette à l’arrière. Il pointe son pouce vers l’arrière, ouai nan mais je vais pas non plus pousser le destin hein. Je lui adresse un sourire, la joue cool, je vais pas me laisser pourrir l’esprit par des idées complètement sorties de nulle part.
– Ca va merci ! Il descend le pare soleil pour ajuster sa vision et mes yeux s’arrêtent sur la photo qui y est accroché, une famille souriante, deux gamins et une blonde un peu forte.
Jolie famille, ils sont sur Denver du coup ou dans le Nevada ? Conversation sans intérêt, mais on a apparemment dix heures de trajets devant nous, autant s’occuper.
– Merci, non sur Denver, je me tape les aller-retour plusieurs fois par semaine, c’est pas l’idéal pour les gosses, mais bon faut bien payer la baraque et leur foutre quelque chose dans l’assiette, c’est la crise comme les politicos y disent pas vrai ! et toi alors ? Tes parents savent que tu fais du stop au milieu du nulle part ? » Mes parents….ouai je sais pas vraiment si on peut parler de parents honnêtement.
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« Mama… La gamine de douze ans triture la couverture dans laquelle elle était enroulée sur le canapé. Elle n’a pas vraiment envie de fâcher sa mère, elle est de bonne humeur et elle n’a pas trop envie de la rendre de nouveau
« malade » bien que cette appellation commence sérieusement à perdre de son sens même pour ses yeux d’enfant, mais ca la travaille quand même suffisamment pour qu’elle se décide à franchir le pas. Sa mère lui adresse un sourire et un regard empreint de questionnement alors qu’elle applique une couche épaisse de mascara sur ses yeux en fixant son reflet dans le miroir de l’entrée.
A l’école on doit faire un devoir, une rédaction…sur notre père….un silence lourd s’installe soudainement, la pièce semble avoir en un éclair perdu plusieurs degrés, sa mère s’est elle-même arrêté dans son geste, mais ca ne dure pas, elle reprend là où elle s’est arrêtée et se contente d’adresser un
- Et ? à sa gamine.
T'as cas dire la vérité : que t'en as pas, t'as de l'imagination chérie invente une histoire ou sinon t'as cas faire ça sur oncle Ray, c'est un peu la même chose. Une moue un peu déçue vient perler à ses lèvres et elle hésite un instant avant de se dire que de toute façon le sujet était lancé.
- C'est que je me suis dit que si tu me racontais des choses sur lui, ce serait plus facile, tu m'as jamais rien dit à part qu'il est mort quand j'étais bébé. Elle pousse un grognement agacé, de toute évidence ce n'est pas encore ce soir que Sadie en apprendrait plus sur son géniteur
- Y a rien à dire ! Invente et arrête avec tes questions, toute façon j'ai pas le temps-là j'ai un rendez-vous. dit-elle en glissant un doigt sur sa lèvre inférieure pour y étaler un peu plus le rose de son rouge à lèvres. Sadie n'insiste pas, elle sait que c'est inutile alors elle hoche vaguement la tête et change de chaîne, reportant son attention sur l'écran plutôt que sur sa mère qui a visiblement autre chose en tête.
Bon allez je file, te couche pas trop tard ! » Elle dépose un baiser sur le dessus de sa tête et disparaît dans le claquement de la porte d’entrée.
Plus tard ce soir-là et pour la première fois de son existence, la petite blonde allait devoir ramasser sa mère à moitié débrailler et baignant dans sa propre urine sur le tapis du salon et ce ne sera- là que la première d’une très longue série de situations tragiques et perturbantes.
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C'est le son d'une affreuse cornemuse qui me réveille. La tête collée à la vitre, la bouche pâteuse et les cheveux dans tous les sens, le summum du sexy quoi ! Je repousse mes boucles blondes de mon visage et prend une seconde pour resituer l'endroit où je me trouve, ce qui n'est pas difficile...Toujours dans ce semi-remorque. Je tourne mon regard vers Gary mon chauffeur et sauveur, parce que sans lui je serai probablement en train de me liquéfier sur le bord d'une route déserte.
« Bien dormi ? J'hoche la tête encore un peu dans le brouillard.
- T'as vraiment des goûts bizarres en matière de musique. Ma voix est un enroué et je viens me raclé gracieusement la gorge. Il se met à rire.
- Ma radio est bloquée sur cette fréquence et ma foi dans le coin apparemment c'est radio guinguette. Je secoue la tête, les yeux plissé par un soleil un peu trop fort pour mes pauvres yeux fatigués.
–Fantastique ! Je lève mon pouce vers lui.
Et c’est quel coin exactement ? Je voudrais pas abuser, mais je tuerais pour un thé là tout de suite. » Et ça tombe bien parce que le panneau qui apparaît un peu plus loin indique une aire de repos.
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« Aller ma chérie, je t'en prie. Elle s'accroche à moi avec son air pathétique et cette attitude de mère/ copine au choix, mais je sais, je ne la connais que trop bien pour y croire.
Je te promets que c'est la dernière fois. J'te le jure. Je secoue la tête et pousse un soupir. J'ai beau savoir, ca ne rend jamais les choses faciles.
- NON ! Tu veux te défoncer ? Démerde toi pour trouver du fric. Elle vient passer une main dans mes cheveux et je la repousse un peu brusquement alors que je termine de jeter dans mon sac mes
« vêtements » pour ce soir.
- Sadie, ma chérie, juste cinquante dollars, c'est rien pour toi, tu vas vite les faire ce soir c'est facile. Ma bouche vient former un
« O », elle est putain de gonflée.
- Ba si c'est si facile t'as cas le faire, t'as cas allez remuer ton cul sur une scène ! Arrête ton cinéma je te donnerais rien mama ! Et je l'attends, son vrai visage, celui que j'ai tant l'habitude de voir, celui qui ne supporte pas le rejet quel qu'il soit. Elle me pousse avec force et je viens rencontrer la table de ma commode.
- Je suis ta mère, j'ai TOUT SACRIFIÉE POUR TOI ! Et t'es pas FOUTU de me filer cinquante putain de dollars ? Je peux pas m'empêche de rire, c'est même pas crédible cinq minutes.
- T'as...t'as tout sacrifié pour moi ? Je rie de plus belle et ironiquement évidemment.
Ça c'est la meilleure ! et t'as sacrifié quoi exactement hein ? Vas-y je t'écoute ! Elle s'agite guidée par le manque et ça m'attriste autant que ça me met hors de moi. Elle commence à fouiller partout dans mes affaires, retourne mes vêtements, ouvre mes livres en baragouinant et ce n'est que lorsque je la rejoins pour l'attraper brutalement par le bras qu'elle me colle une gifle monumentale.
- TOUT, ma jeunesse, ma liberté, ma vie ! Ton père a eu plus de chance lui au moins, il a même pas eu à se poser la question de savoir quoi faire de toi ! Non non il a juste continuer sa petite vie tranquillement comme si j'existais pas !Une main sur ma joue, je reste interdite pas vraiment de part le geste, mais par ce que j'entends et dont j'ignore si je dois le prendre comme un laïus incohérent de droguée en manque ou comme une vérité finalement dévoilé.
- EXCUSE-MOI ? Comment ca il a continuer sa vie ? Tu m'as dit qu'il était MORT bon sang ! Elle me jette un regard hautain et relève la tête surement consciente de son erreur au milieu de tout ça et à ma plus grande surprise elle tend la main paume vers le plafond.
– Je pourrais t’en dire bien plus tu sais. Je pousse une exclamation scandalisée…c’est la goutte d’eau, cette fois-ci ça l’est vraiment. J’attrape alors mon sac et disparaît derrière la porte d’entrée sans me retourner.
La confirmation je l'avais eue de mon oncle, le seul repère masculin et parental stable dans ma vie, c'est par lui que j'avais obtenu le peu d'information qui ressemblait finalement à une vérité, c'est lui qui m'avait encouragé à partir, à laisser tout ça derrière moi et surtout à aller construire une vie sans traîner lourdement à mes chevilles une mère qui ne s'en sortirait probablement jamais...Ça me culpabilisait de lui laisser cette lourde charge, mais je savais aussi au fond qu'il avait raison...c'était à mon tour de tenter ma chance et ça ne pouvait pas être ici.
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« Attend donc pour résumé...et tu m'arrêtes si je me trompe : ta mère est une junkie, ton oncle est le good guy de l'histoire et ton père qui était censé être mort s'avère être vivant et à Chicago. Wow pas besoin de radio pour passer le temps avec toi ! Je laisse échapper un gloussement amusé, oui bon c'est sûr que vu comme ça, ca sonne très soap opéra, mais c'est pourtant parfaitement résumé.
- C'est ca et je t'avais dit que tu regretterais pas les dix heures de trajets avec moi. Je lui décoche un sourire avant de reprendre place dans la cabine de son camion.
- Et du coup tu comptes lui dire quoi à ce pauv' gars? Bonjour M'sieur je suis votre fille ou tu la joues direct au salut papa? Mes doigts serrés autour du gobelet de carton qui diffuse une chaleur bien trop agréable, j'hausse une épaule.
- À dire vrai je sais même pas si j'ai envie de le rencontré à proprement parlé...j'ai juste envie de savoir d'où je viens, comment il est, à quoi il ressemble...je suis curieuse ! et jt'avoue qu'au fond c'est peut-être juste une excuse pour recommencer à zéro...ailleurs! Je laisse échapper une exclamation avant de porter mon thé à mes lèvres dont j'avale une gorgée hésitante de peur de me brûler.
De toute façon c'est pas comme si j'avais son adresse ou pour ce que ça vaut son nom. Je secoue la tête à la négative avec un sourire alors que la route de nouveau défile devant moi.
- Et tu comptes le trouver comment exactement miss détective? Avec un peu d'huile de coude et d'intelligence -
J'ai quelques indices t'inquiète pas pour moi, je suis pleine de ressources. » Dit évidemment avec un large sourire plein de dents.
Des indices en réalité j'en avais trois :
- Un club, les Kings quelque chose
- Un âge, certes un peu approximatif
- Le nom d'un garage censé être ou avoir été leur QG de l'époque...
et c'est déjà plus que ce que j'aurais pu obtenir de ma mère, même en lui collant toutes mes économies dans les mains. Je ne pouvais que remercier mon oncle de ne pas avoir une trop mauvaise mémoire et de s'être rappelé de ces quelques éléments. Bon je me serais bien passée de savoir que ma mère était comme qui dirait leur pute et qu'elle ne sait pas vraiment lequel de ces types est potentiellement mon père, tout comme le fait qu'il l'ait récupéré complètement camé à cinq mois de grossesse....
Oh on va même dire quatre, parce que j'ai envie mon ADN et dieu sait qu'avec internet c'est devenu un jeu d'enfant de faire des petites recherches de compatibilités.
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« Bonne chance Kiddo! Je viens placer mon index et mon majeur sur ma tempe et lui lance un salut avec un sourire, mon sac sous le bras et le reste de mes affaires sur le dos.
Merci pour la virée Gary ! » Il était cool finalement et il n'avait ni essayer de me tuer, ni essayer de me sauter, ca en dit long...sans vouloir faire de généralité sur les chauffeurs routiers. Le reste de mon trajet se passerait seul avec moi-même et les cinquante autres passagers du bus en direction de la ville du vent. J'avais passé un coup de fil depuis la gare à la cousine de ma mère et accessoirement du coup de mon oncle, qui m'avait filé ses coordonnées et apparemment déjà prévenue de mon arrivée. J'étais pas super à l'aise de me pointer chez elle comme ca alors que d'un, je ne la connaissais pas et de deux qu'elle n'avait probablement pas vu ma mère depuis au moins vingt-cinq ans...mais j'avais pas le choix, c'est pas comme si je roulais sur l'or et tant que j'étais pas sûr non pas de trouver du taf, y avait globalement toujours de la demande dans mon secteur, mais plutôt du type de salaire que je pouvais me faire dans le coin, ma foi je devais essayer d'économiser tout ce que je pouvais.
Les dix-huit heures suivantes avaient littéralement été une torture. Déjà c'est beaucoup trop le cul assis dans un bus, ensuite comment dire que je suis vacciné à vie des gosses de douze ans trop bruyants...bouh bouh j'ai faim, et ma console à plus de batterie, bouh j'ai mal au ventre, j'ai l'appendicite, bouh-BOUH-BOUUUH !
Je l'ai pas tué...je suis fière de ma capacité à méditer n'importe où sinon je serais sûrement en prison là maintenant...bref je suis crevée, j'ai faim et j'ai vraiment vraiment besoin de prendre une douche. Je suis consciente que je vais pas faire grande impression à Joan après pas loin de soixante-douze heures dans les transports, mais tant pis à cette heure-là j'en ai plus rien à faire et puis elle doit de toute façon pas avoir mis la barre très haute si elle m'a imaginé comme ma mère, (à qui je ressemble en tout cas physiquement paraît-il) ce qu'elle aura forcément inconsciemment fait soyons honnêtes.
Un peu paumé sur le parvis de la gare, je reste à côté de l’arrêt et scrute les gens tout autour, je ne sais même pas à quoi elle ressemble, mais apparemment MOI je ressemble suffisamment à ma mère circa 1995 pour qu’elle m’identifie sans mal...
Chicago me voilà !