Owen ~ All I asked for was a glass of punch you see, I never really ask for much

In the ghetto

On a cold and gray Chicago mornin' a poor little baby child is born in the ghetto

Il sont déjà cinq quand il arrive, bouche à nourrir supplémentaire pour un couple qui parvient à peine à boucler les fins de mois avec ses trois premiers enfants. Et pourtant, il est heureux, le père Burggess. Il est heureux de voir ce nouveau petit rayon de soleil débarquer dans leurs vies. C’est qu’il est du genre à toujours trouver le verre à moitié plein le mécano. Et si elle, elle trouve que ce gosse là est de trop, elle qui a déjà du mal à aimer les trois autres, elle qui a dû abandonner ses rêves de faire carrière dans la mode pour s’occuper de ce troupeau, lui il surnomme déjà ce dernier fils son petit trésor. C’est qu’il les aime ses fils. Matthew, l’ainé qui voudrait suivre ses traces et passe déjà plus de temps avec ses outils qu’avec ses jouets, Jack et Dean, les jumeaux qui se complètent déjà si bien l’un jouant les cador et l’autre recitant le dictionnaire à qui veut prendre le temps de l’écouter, et Owen enfin, ce dernier fils qu’il n’espérait plus.

Ainsi c’est au milieu de tout ce petit monde qu’il grandit, Owen, dans cette baraque trop étroite, entre une mère frustrée, un père trop optimiste et des ainées trop envahissant. Et pourtant, pourtant il n’y a aucune jalousie entre eux. Il sont une équipe, une meute. Quand Jack le casse coup s’attire des ennuis, Matthew vole à sa rescousse et faire fuir les autres gosses du quartier. Quand Owen peine à finir ses devoirs, Dean est là pour plancher avec lui et l’aider à remonter sa moyenne. Quand Matthew tente de séduire ses premières copines, il embauche Owen et sa bouille d’ange pour jouer sur la corde sensible du grand frère attentionné. Mais plus encore, quand la vieille a un mot trop sec, quand elle rappelle maladroitement à l’un de ses fils tout ce qu’elle a abandonné pour eux, ils font front commun, se soutiennent, se consolent ensemble. Elle n’est pas méchante, elle ne lève jamais la main sur eux, elle se contente simplement de les élever sans vraiment les aimer. Alors Owen, il s’invente une autre mère, il imagine des sourires sur ce visage froid, il raconte à ses camarades que le soir elle le serre dans ses bras, et il finit par y croire.

Les Burgges n’ont pas les moyens d’envoyer les quatre garçons dans une école huppée, ni de leur offrir les vacances de rêves dont tous leurs camarades parlent entre deux cours, mais ils ne sont pas malheureux pour autant. Certes les fringues que porte Owen ont été porté par Dean ou Jack, par Matthew même pour certains, mais il en est plutôt fier. Il n’envie pas ses copains fils uniques, leurs vies sont trop tristes, qu’il songe. Ils n’ont pas la chance qu’il a de pouvoir marcher dans les pas de ces ainées, d’avoir trois meilleurs amis à la maison, trois complices dans tous ses délires, trois paires d’épaules solides pour le soutenir dans tous ses déboires. Les vacances ? Leur père les emmène au lac pour pécher avec lui quasiment tous les week-end alors c’est un peu comme s’ils étaient toujours en vacances. Et puis il aime ces instants passés avec le vieux. Les anecdotes qu’il a toujours sous la main, la façon qu’il a de les regarder avec fierté et de les présenter aux touristes sur les berges comme s’ils étaient des stars.

Daddy, please don't cry

Together we'll find a brand new mommy, daddy, daddy, please laugh again

Il vient d’avoir onze ans, Owen. Onze ans durant lesquels il n’a connu que cette vie, ce père optimiste et cette mère distante. Il a cessé d’imaginer son affection, ou de l’espérer. C’est un peu devenu le cadet de ses soucis. Il s’inquiète pour son père, le gosse, parce qu’il a beau se cacher derrière ses grands sourires et sa bonhomie habituelle, le benjamin de la fratrie n’est pas stupide. Pas plus que ses frères. Jack les a vu. Matthexw les a entendus. Et les garçons sont toujours aussi complices, ils parlent, partagent, tentent de comprendre et extrapolent. La vieille, elle s’est trouvé un amant. Et Owen, il est terrorisé à l’idée qu’elle se barre avec ce type qu’il ne connait pas, qu’elle les emporte avec elle. Elle ne les aime pas mais elle haït suffisamment leur père pour lui faire cette peine-là. Et Dean a beau dire, à beau parler de ce qu’il a lu sur la question, le gosse en fait des cauchemars.

Alors pour montrer à leur père qu’ils l’aiment, qu’ils le soutiennent, ce sont les garçons qui lui proposent un week-end aux lacs cette fois-là. Ce sont eux qui préparent le matériel, qui chargent la voiture, qui lui font la surprise. Ils sont une équipe, une meute, soudée quoi qu’il arrive devant chaque épreuve que la vie peut leur réserver. Et l’épreuve qu’elle leur colle sous le nez cet été là est cruelle. Owen ne se souvient plus qui de Jack ou de Dean fait le geste de trop, le mouvement trop brusque qui fait chavirer la barque. Il se souvient seulement des cris, de la peur, de Jack inanimé sur la berge et des réflexes de leur père. Il se souvient de la joie, de l’étreinte qu’ils ont partagée quand il a repris connaissance après avoir recraché l’eau maussade du lac. Il se souvient de la maison vide à leur retour.

Elle a fini par mettre les voiles, la vieille. Sans eux. Et si ni Owen ni ses frères n’ont pris le temps de pleurer vraiment ce départ, ils ont fait front, comme toujours pour soutenir leur paternel. Ses sourires se sont fait plus rares après ça, comme les sorties aux lacs. Pourtant, ils n’ont pas baissé les bras, les frangins, ils ont tout fait pour garder la baraque vivante, pour pas laisser le vieux dépérir dans sa morosité. Matthew a redoublé d’effort pour lui filer un coup de main au garage. Jack s’est lancé dans le football et Dean s’est jeté à cœur perdu dans ses bouquins pour le rendre fier. Et Owen, Owen est resté Owen, son petit trésor, son petit rayon de soleil malgré les nuages sombres laissé par la vieille quand elle a mis les voiles. Ils ont réussi à lui garder la tête hors de l’eau comme il avait sauvé Jack de la noyade, mais l’homme optimiste et enjoué qu’il était est mort avec son mariage.  

I'm all shook up

My friends say I'm actin' wild as a bug

Ils ont vieilli, les fils Burgges. Matthew bosse toujours au garage mais il a quitté le nid pour aller s’installer à quelques rues avec sa dulcinée. Jack a eu sa bourse sportive, il a continué à jouer et a été drafté par les Seahawks, quand Dean enchaînait les concours et les bourses au mérite jusqu’à son entrée à Standford. Le vieux, ça lui brise le cœur de voir les jumeaux séparés de la sorte, plus encore que de les voir partir, et si Owen a autant de mal que lui à l’accepter, il encaisse comme toujours. Parce qu’il ne supporte pas de voir le paternel déprimer.  Et puis il se dit que Matthew n’est jamais bien loin, qu’il n’est pas seul. Mais plus que son aîné, ce sont les grand yeux bleus de Tess qui l’aide à surmonter cette période difficile. Ils ont dix-sept ans, ils sont jeunes, elle est belle et pour la première fois, il est amoureux Owen. Tess, il la connait pourtant depuis toujours. Elle agrandit dans la maison en face de la sienne, ils ont couru dans la même cour de recrée, partagé les mêmes goûters d’anniversaires. Mais cette année-là il y a cette étincelle en plus, la petite voisine devient la petite amie.

Et Tess, elle le force à sortir, à voir d’autres adolescents, lui qui ne connaissait pour ainsi dire que son bout de quartier, que ses frangins, il découvre Chicago, il découvre les virées entre potes, les premières bouteilles dérobées à des parents peu attentionnés, les karaokés à demi éméchés. Les karaokés où Tess lui découvre un don, un merveilleux talent d’après elle. Il parait qu’il a la voix du King, Owen, et il est trop amoureux pour ne pas la croire. Alors quand elle se met en tête de passer des après-midi entières dans Hyde Park à gratter sa guitare pour le faire chanter contre dollars, il se laisse faire. C’est qu’il y prend gout, Owen, aux applaudissements, à cette étrange impression d’être la raison du sourire sur la gueule des passants, à cet argent de poche inespéré surtout.

Mais même le King ne parvient plus à tirer un sourire au vieux et Owen, il a beau chercher conseil auprès de ses aînés, se démener pour les faire revenir de temps à autre, le paternel finit par se trouver un poison pour compenser l’absence de cette femme qui ne l’a pourtant probablement jamais vraiment aimé, pour compenser les départs de ses fils. Et quand Matthew le surprend avec une aiguille dans le bras, il s’effondre le vieux, il promet de s’accrocher, de s’en sortir pour ses fils, il accepte à regrets l’argent que Jack envoie pour lui payer une désintox. Et Owen, du haut de ses dix-huit ans, il ne peut que promettre qu’il sera fier de lui s’il s’en relève, qu’il restera avec lui, quoi qu’il arrive. Alors quand Tess entre à l’université de Chicago, il la suit. Parce qu’il ne peut pas partir, parce qu’il ne veut pas partir. Il ne peut pas abandonner le vieux, ça le tuerait. Et plutôt que de se morfondre comme sa mère avant lui sur ce sacrifice-là, il chante, il chante de plus belle. Il est vivant quand il chante, quand il n’y a plus qu’Elvis, la guitare de Tess et lui.

If I Can Dream

Got to be birds flying higher in a sky more blue

Avec la carrière de jack qui s’achève, il espère le voir rentrer, Owen, il espère que ça motivera Dean à en faire autant. Mais Dean tient trop à son job sur la cote ouest et Jack tient trop à son jumeau pour rentrer à Chicago sans lui. Matthew s’est marié avec sa chère et tendre, il va être papa pour la seconde fois. Et Tess, Tess a décroché un boulot de rêve à Phili. Mais il ne peut pas la suivre Owen. Il ne peut pas abandonner le vieux alors qu’il a replongé. Alors il la regarde partir à regrets, elle ne lui laisse que sa guitare en lui faisant promettre que ce rêve là au moins il ne l’abandonnera pas. Et voilà qu’à l‘aube de ses vingt-cinq ans, pour la première fois de sa vie, il se retrouve seul.

Les années passent et il travaille comme un damné, Owen il a dégotté un boulot de secrétariat dans un cabinet de notaires, il est exploité et sous payé, comme tous ses collègues du bas de l’échelle alimentaire. Il s’enlise dans une routine que seuls viennent briser les soirs où il trouve un bar qui accepte de le laisser prendre le micro. Et ce soir là on lui dit non, on lui dit que le King ne séduit plus personne, que les crooners sont morts il y a longtemps. Ce soir là il rentre de bonne heure. Ce soir là devant la baraque bringuebalante, il y a des hommes en uniforme, dans l’air il y a des cendres, sur le brancard il y a le vieux. Ce soir là il croit toucher le fond, Owen. Il a tout foiré. Son couple, sa carrière, même la promesse qu’il avait faite d’être là pour soutenir le paternel. Il a pris une dose de trop, le vieux, il a tremblé en chauffant sa cuillère, il a fait tomber le zippo par terre, sur le planché vermoulu. Mais ce soir-là, dans ce chaos il entend une petite voix, un ange en uniforme qui le rassure, qui lui dit que rien n’est perdu puisqu’il s’en est tiré, le vieux, qu’après la tempête les beaux jours finissent par revenir. Et Owen, il réussit à la croire.

D’autres longs mois défilent, et il ne se sort pas cette petite voix de la tête. Mathew, Jack et Dean participent, de loin, à leur façon. Il ne leur en veut pas, Owen, pas vraiment. Bien sûr qu’il aimerait les avoir à ses côtés, qu’il aimerait ne pas devoir veiller le vieux seul, mais il est son petit rayon de soleil, son petit trésor, s’il ne peut pas le faire, personne ne le fera. Et puis il y a cette nouvelle idée qui ne le quitte plus. Il ne veut pas finir comme sa mère, à maudire sa vie pour quelques rêves mis de côtés, il ne veut pas se retourner dans quelques années et se dire qu’après tout il n’a servi à rien. Alors il ose, Owen, il se prend par la main et il va postuler auprès de ceux qui ont sauvé ce vieux con qu’il aime trop pour l’abandonner dans une clinique mouroir. Il se dit qu’un jour peut-être, il sera l’ange qui posera sa main sur l’épaule d’un autre gamin pour lui dire que rien n’est perdu et que le soleil revient toujours après la pluie. Il veut être utile, Owen, des fois que le paternel y trouve assez de fierté pour sortir enfin la tête du trou pour de bon.