« Qu’est-ce qui va changer, dis-moi ? Si j’en pouvais déjà plus hier, pourquoi tout changera demain ? »Le silence pour seule réponse. Aucun mot ne passe la barrière de ma gorge, dont la boule coincée à l'intérieur ne cesse de croître. Il n'existe pas de bonne réponse à cette question. Il n'existe aucune réponse. Dans ce flot d'idées noires, dans cette masse informe dans laquelle elle est plongée, dans cette nébuleuse qu'est la dépression, elle ne peut pas voir. Cette minuscule source de bonheur à portée de mains. Je suis tombée tellement de fois au cours de la dernière décennie. Tellement de fois. Et pourtant j'ai toujours trouvé une raison de me relever. Même infime. Juste une. Toujours. Ça m'a parfois pris du temps mais l'être humain est ainsi fait non ? L'instinct de survie mis en abîme depuis des millénaires mais resté présent, là, quelque part au plus profond de nous. Mais Taylor le possède-t-elle ? Après avoir avalé volontairement autant de pilules, après avoir planifié si scrupuleusement son dernier jour sur terre ? Est-ce qu'elle parviendra réellement à se relever ou est-ce que je me berce de douces illusions par peur de la perdre ? Incapable de répondre aux interrogations de ma petite amie et non désireuse de trouver réponse aux miennes, je me contente d'un silence pesant.
« J’suis désolée. J’y arrive pas, pas maintenant. »« Je comprends »J'essaie. J'essaie vraiment. De ne pas laisser mon syndrome des deux pieds dans le plat de prendre le dessus. De ne pas me laisser emporter par le flot de sentiments contradictoires qui m'habitent présentement. Être là. Physiquement. Moralement. Soutenir. Écouter. Acquiescer. Ne pas mettre la pression. Attendre. Espérer. Aimer. Inconditionnellement.
« J’veux juste aller me recoucher. S’il te plait. » J'acquiesce à nouveau, non mécontente de quitter l'air glacial des lieux qui me pénètre douloureusement. À moins que ce soit l'angoisse perpétuelle qui ne me quitte jamais ou la peur de ne plus l'avoir à mes côtés qui me transit. La colère qui fait trembler mon corps sans que je ne le contrôle vraiment, la culpabilité de n'avoir rien vu venir et d'avoir laissé les choses s'envenimer à ce point.
« Tu veux bien rester ? »Mon regard rencontre à nouveau le sien.
« Évidemment que je reste. » Un sourire avant de saisir doucement son coude pour l'inciter à prendre les devants afin de rejoindre à nouveau sa chambre. L'idée de me retrouver à nouveau coincée entre quatre murs d'une chambre d'hôpital n'a rien de réjouissant pour moi et pourtant je ne rechigne pas. Je me fiche pas mal du lieu tant que je peux m'assurer qu'elle va bien. Qu'elle respire. Qu'elle est en vie. Là, avec moi. Le chemin se fait en silence, parce que les mots n'ont plus vraiment leur place ici. Ils sont de nouveau de trop. Inconfortables. Pour moi en tout cas. Je n'ai pas envie de les sentir me gifler froidement. Mentalement. De le sentir écorcher ma peau pour mieux s'insinuer par ses pores et me marquer plus sûrement et durement qu'ils ont l'habitude de le faire.
Je la laisse se mettre à l'aise et se réinstaller dans son lit, tirant la chaise qui trône dans un coin de la chambre pour l'avancer jusqu'à son lit. Tournée sur le côté, elle me fait face et pendant de longues secondes, il n'y a que ça. Ses yeux dans les miens et le silence des lieux. J'attrape sa main, caressant le dos de celle-ci de mes doigts, me forçant à étirer mes lèvres dans un sourire réconfortant.
« Je ne bouge pas d'ici. Promis. Repose toi. » Les minutes défilent. Combien, je ne saurais le dire. Assez pour que ses paupières deviennent lourdes et se ferment sous le poids de la fatigue. Assez pour que sa respiration ralentisse et qu'elle ait presque l'air apaisée. Assez pour que sa main se détende dans la mienne et ne finisse par retomber sur le matelas, comme pour m'échapper. Je croise les bras sur le lit et y appose ma tête, ne la quittant pas des yeux.
« Ne me laisse pas. » Un murmure. Une supplique.
Être là. Physiquement. Moralement. Soutenir. Écouter. Acquiescer. Ne pas mettre la pression. Attendre. Espérer. Aimer. Inconditionnellement.
