times change | madmax

Il guette les regards, les gestes. Il guette tout ce qu'il parvient à voir au-delà des émotions trahies par sa tête. Eamonn ne s'est jamais soucié d'aucun jugement si ce n'est de celui de son ami, vieux frère avec qui bien des rues ont été arpenté. Que sont-ils devenus, après tout ce temps à garder des faits qui auraient dû être dit, à dissimiler des fardeaux qu'ils auraient pu partager ? Maximilian, par leur proximité, aurait pu être un allié pour ce secret encore bien gardé. Aussi, il en est à rectifier le tir, à réinstaurer cette confiance autrefois sacrée, dévoilant ses vices avant de dévier sur un tout autre sujet. Si se libérer de ce poids parvient à l'apaiser, il n'est pas en reste des quelques brides qu'on lui a sous-entendu pour l'inciter à parler. Il n'est pas stupide, tombant pourtant en plein dans ces filets. Le besoin vient aisément aider. « Puisque, de toute évidence, ma vie t'intéresse autant vieux frère. Soit. Évidemment, c'est pas aussi extra que tes écarts conjugaux avec ta sœur et ta gosse cachée, mais j'ai toujours été un gars plus simple… et plus beau… que toi. Un sourire, à ces mots, vient colorer ses lèvres jusqu'alors refermées. Maximilian a toujours porté ce genre de discours, pourquoi aurait-il tant changé ? Ceci étant dit tu seras étonné j'imagine et très certainement amusé de savoir que j'ai fini par officialiser une de mes bien trop nombreuses fans ! » Il acquiesce, venant feindre la surprise. Il ne l'est pas, surprit. Ça ne pouvait qu'arriver, un jour. Il est, en cet homme, des brides d'humanité jusqu'alors insoupçonnées, il lui aura fallu bien des années pour s'en laisser submerger. Une énième cigarette pour pouvoir fêter ça, une énième cigarette pour palier à cette nouvelle à laquelle il ne vient rien dire. Que pourrait-il ajouter ? Que l'amour, à ses yeux, est une farce et qu'il n'existe que des résidus de passion plus ou moins denses, qu'une gangrène qui prend avec hargne la moindre des faiblesses pour l’accroître dès que cette idée s'installe dans l'esprit ? Non, il n'en dit rien. Tout ce qu'il connaît ne se résume qu'à la fougue qu'il entretient à l'égard de Euros. Ou peut-être est-ce de l'amour, finalement ? Peut-être que, aujourd'hui, celui qui se trompe : c'est lui. Il y songe l'espace de quelques secondes, allant oser des questions qui – néanmoins – ne franchissent pas les remparts de sa gorge. Son vieux frère lui emboîte le pas, tuant sa curiosité avant qu'elle ne puisse pouvoir s'exprimer. «  Et, pour donc en revenir à toi mon grand : sois prudent avec cette gamine, t’as suffisamment à faire avec ta sœur qui te mène par le bout de la bite, tu veux pas te retrouver à devoir te battre contre les deux. Qui plus est, oublie pas que ton porte monnaie ambulant – aussi docile soit-elle – doit avoir des limites qu’une bâtarde consanguine dépasse largement. Il tique aux derniers mots, il tique et s'en redresse, faisant face aux mains levées de cet ami dévoué. Il le voit, sur ses traits, rien n'est fait pour le provoquer. Et pourtant. Et, pour toi et ta sœur, nan mec pas à ce point ! Vraiment pas à ce point. »

Ce rire, il vient l'imiter. Qui aurait pu y songer, en soit ? Il ne le blâme pas, à chacun sa manière de gérer l’intérêt qu'on pourrait donner. Si lui tient à tout savoir jusqu'au dernier des détails, il sait que le monde ne fonctionne pas forcément de la façon dont il l'imagine ; il ne l'a même que trop comprit par le passé. Eamonn aussi, vient terminer cette énième tige de nicotine, l'azur clair de ses prunelles sur Maximilian continue de le fixer, les habitudes ne sont pas si aisées à faire taire. « Certains perdent leur temps à essayer de trouver quelqu'un qui soit à même de comprendre ce qui se passe dans leur tête alors que, parfois, le chemin n'est pas si long. Une pause, le regard qui ne dévie pas, il a cet air sérieux qui rend toutes les conversations entamées gênantes. Ne l'prend pas mal, je n'mets pas en doute ce que tu vas construire, et si j'en crois tes paroles, avec sincérité mais j'doute, pour ma part, pouvoir trouver mieux que la seule qui soit à même de pouvoir lire ce qui se passe là. » L'index vient désigner sa tempe dans une voix enrouée qui lui est propre. Eamonn ne reviendra pas sur ses mots, il sait que le message est clair : ce n'était pas une erreur de jeunesse, c'était décidé et intentionnel. « Aussi, j'suis désolé de te faire porter cette « aberration » avec moi ; et les guillemets sont mimés de ses doigts, cet air dédaigneux teinté sur ses traits qui trahissent le fait qu'en ce mot réside une définition à laquelle il ne pense pas. Bien-sûr que non, Eamonn est trop fier, trop grand pour pouvoir se dire qu'en ses actes avec Euros ne subsistent que des sentiments interdits. Seulement voilà, en dehors de Euros, tu es le seul à qui je puisse parler. Et si Euros ne tient pas à en parler, si elle renie encore le fait qu'elle pourrait apprendre à la connaître et tout recommencer, toi tu n'as pas de choix à faire quant à cela. Tu n'as que ton jugement à faire entendre, que je veuille en tenir compte ou non. » Il ose laisser ce léger rictus s'installer, ça a toujours été ainsi finalement. Eamonn énonce, Maximilian donne son avis et parfois, seulement parfois, l'Irlandais se fit à celui-là. « Hormis ça, je suis content pour toi, vieux frère. Il me reste qu'une question à te poser, par contre. Une pause et l'azur qui ne flanche pas une seule seconde. Il a ce sourire d'un peu plus voyant, cette teinte bien présente de nouvel amusement. Tu crois vraiment que ta gueule rend mieux que la mienne ? »  

La réaction à ses derniers mots ne se fait pas attendre et ça lui arrache un sourire instinctif, un bref rire même, échappé d'entre ses lèvres entrouvertes. Il assiste au ridicule de ses gestes, en détourne pour  une fois son regard – histoire de ne pas contempler pire qu'il n'en voit déjà. Mais ça l'amuse, en soit, il n'a pas tout à fait tord : il avait été la tête quand Max profitait d'être le physique. « Mais ! Ces fabuleuses oreilles ne sont pas là que pour faire jolie et tu sais très bien que tu peux me parler de tout et n’importe quand tant que tu ne me demandes pas de te brosser dans le sens du poil, tu sais que c’est pas mon genre. Et enfin, l'azur de ses prunelles lui revient. Le sourire se fane un peu, pas totalement. Il prête une oreille attentive aux dires de son ami, se penche un peu pour être sûr de lui offrir toute son attention malgré les mots dont il pourrait ne pas vouloir. Il sait que leur deux avis ne sont pas compatibles ; car les normalités de son monde diffère de celles de celui qu'il est venu visiter. Alors, si t’es prêt à faire avec mon éventuelle réponse… ; il tique maintenant que les mots sont à venir. Il hésite à lui faire signe de ne pas aller plus loin mais il est venu pour ça, en partie. Il est venu pour ses conseils, son œil extérieur, cet avis suivi d'un autre cœur que le sien et celui d'Euros empli de noirceur. Aussi, il s'abstient d'intervenir, il doit entendre – qui sait, peut-être un peu plus en apprendre. Il n'a pas la science infuse et il accepte, pour une fois, de ne pas pouvoir contrôler les phrases qui s'apprêtent à être énoncées. Ça n'ira pas dans son sens et c'est sûrement pas plus mal pour le sujet. Y'a pas à chercher plus loin ! Quant à ta sœur, ma foi, c’est sa décision et plus tu chercheras à la pousser vers la tienne, pires seront les choses, alors fais ce que tu sais faire de mieux… prends ton mal en patience, vois l’image dans son ensemble et en attendant, fais ce que toi tu as à faire avec la gosse. C’est tout ce que ma sagesse légendaire est en mesure de t’apporter ! Ça et du scotch de qualité ! » Il s'est levé en parlant, récupérant son nécessaire sur le bar adjacent. Eamonn, quant à lui, tient sa place comme s'il risquait de la perdre, se tenant fièrement dessus comme souvent ; comme toujours, finalement. « J'imagine que c'est déjà pas trop mal. Un clin d’œil quant à ce vient d'annoncer, quant aux derniers mots prononcés. Il s'approche enfin, quittant le peu d'ombre qui régnait dans le bureau pour rejoindre la lumière qui luisait jusqu'alors que sur le maître des lieux. Après tout, il ne risque rien, sa venue n'est pas un affront. Ils sont censés être alliés, eux tous et ses frères. Et merci, pour tes conseils. Ça m'évitera d'agir comme un connard, en partie en tout cas. J'avais besoin d'une parole familière mais différente de celles que je connais déjà. Tu vois, ça m'arrive d'être con sur certains trucs. » C'est un rire qui suit ses dires. Un rire franc qu'il ne regrette pas, tout comme ce qu'il vient tout juste de confier. Eamonn se sait dépassé par tout ce qui pourrait désormais arriver. « J'te laisse m'offrir un verre et j'me tire ; j'voudrais pas que ta fan officielle soit jalouse de voir que tu préfères être avec moi qu'avec elle. »  

Le rire qui brave la frontière de ses lèvres prouve aussitôt le ridicule de ses dires ; et il l'accompagne là-dedans, délaissant quelques brides de voix se trahir des tréfonds de sa gorge. Mais à la vérité, ça pourrait valoir pour lui ; Eamonn est bien plus heureux de passer du temps avec Maximilian que n'importe qui d'autre. Il est son frère, une partie importante du parcours accomplie. « Ça t’arrive ouais on va dire ça ! Il répond à son sourire, à sa provocation ; les siennes sont les seules qu'il ne prendra jamais mal. Il en a l'habitude, et le besoin en soit. Il est la raison qu'il n'a parfois pas, aussi paradoxale que ça puisse paraître. Nan mais sérieusement c’est quand tu veux frère, je te remets à ta place avec plai-sir ! Ahah, bon okay, je suis pas franchement le mieux placé pour parler gamin, m’enfin la tienne doit plus vraiment en être une j’imagine et toi et moi au final on en connaît un rayon sur les gamins à problèmes hein ! » Il soupire à ces dires-là, en souvenir des années passées ensembles, les moins reluisantes qui soient mais les plus pédagogiques pour eux deux. Ils ont appris à se serrer les coudes, à avancer malgré les obstacles. C'est grâce à ces problèmes qu'ils en sont là désormais, plus forts que jamais. Autant pour lui, finalement, que pour Maximilian et sa bonne place également. Et c'est à ça qu'il songe avant que son vieil ami ne s'approprie à nouveau son attention, levant son verre dans sa direction, l'incitant à faire de même finalement. « Bah à ta nouvelle paternité mon grand ! Il fait de même, s'offre une longue et dernière gorgée de ce qu'il vient d'offrir pour déposer à la suite son verre contre le bois de son bureau ; un sourire accroché à ses lèvres comme trop rarement. Il sous-entend son départ et Max réagit à ça, bien que leur amitié soit plus forte qu'ils ne le pensent sûrement, ils ont à faire chacun de leur côté. Ça marche ! T’facon j’ai un club à faire tourner. Quant à ma meuf, t’inquiète donc pas va c’est pas demain la veille qu’elle va me mettre une laisse autour du cou, le jour où ça arrive t’es gentil tu m’en colles une bonne dans la gueule tu veux ! » Un maigre rire et l'irlandais acquiesce simplement, retrouvant sa hauteur pour inviter son hôte à faire de même. Il passe outre le bureau et vient serrer la main du grand gaillard à qui il assigne une tape dans l'épaule, bien plus coriace que les siennes – avouons-le. « Je me ferai pas prier pour t'en foutre deux dans la gueule si c'est le cas, tu le sais ça ? » Il se sépare de leur maigre étreinte à ce moment-là, venant perdre ses grands yeux bleus sur son acolyte avant d'amorcer son départ. « Et fais-moi plaisir, aussi. Essaies de te tenir à carreau, ce qui se passe en ce moment risque de foutre pas mal de merde dans les rangs ; que ce soit chez vous comme chez nous. Prends soin de toi, vieux frère. » Il incite sur ses dernières paroles avant de franchir la porte et de traverser la déchéance d'en bas, le petit peuple qu'il ne fréquente pas. Et ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il sera le premier à garder un œil sur cet ami, le premier à s'assurer que rien ne puisse venir le déranger. C'est son rôle, dans cette histoire, cette amitié, s'assurer que Maximilian n'est pas d'ennui autre que ceux qu'il ne peut éviter.