I like digging holes and
hiding things inside them
«
Pourquoi vous m’avez appelée Mira avec papa ? »
Sa mère fronce les sourcils et se tourne vers elle, surprise par cette question qui semble sortir de nul part. Elle attrape la bouteille de lait dans le réfrigérateur et d’accorde encore quelques secondes pour réfléchir à la marche à suivre. Sa fille sait qu’elle a été adoptée et elle lui a déjà posé une question ou deux à ce propos, mais ne s’est jamais montré trop insistante ou curieuse. Janet lui en a secrètement été reconnaissante, le sujet de sa stérilité lui ayant toujours été pénible. Le temps de commencer à verser le lait dans les céréales de sa fille adoptive, sa décision est pourtant prise de se montrer honnête envers elle.
«
En fait, nous n’avons pas vraiment choisi ton prénom ma chérie. -
Ah bon ? C’est qui qui l’a choisi alors ? la questionne la petite fille, préférant faire porter son regard sur les céréales qui commencent à flotter à la surface de son bol.
-
C’est ton…autre maman. La première.-
Mon autre maman qui pouvait pas s’occuper de moi ?-
Oui, c’est ça. »
Janet lui sourit et revisse le bouchon sur la bouteille de lait qu’elle dépose sur le comptoir de la cuisine avant de s’y appuyer. Mira, alors âgé de huit ans, commence à agiter sa cuillère dans son bol, l’air pensive.
«
Il y a d’autres choses que tu aimerais me demander ? »
La petite se contente de hocher la tête, intimidée.
«
Tu peux y aller. J’essaierai de te répondre si je peux, l’incite l’avocate, qui vient seulement de mettre fin à son congé maternité, qu’elle a tâché de prolonger un maximum.
-
Ça veut dire quelque chose mon prénom ?-
Comment ça ? -
À l’école on doit étudier notre géno…génia…génialogie et…-
Généalogie. C’est ça le mot que tu veux utiliser ma puce. -
Oui la…gé-né-a-lo-gie. On doit savoir qui c’est nos ancêtres et aussi nos origines et des anecdotes comme par exemple pourquoi on a ce prénom. Dans ma classe, Alexandre il a ce prénom parce que c’était comme son grand-père. Alors je me demandais… -
Eh bien en fait, ton prénom a bel et bien une histoire… »
Janet prend une longue inspiration et étend sa main pour atteindre les cheveux de sa fille (châtain alors que les siens sont blonds comme les blés) et replacer une de ses mèches derrière son oreille.
«
Ta maman ne parlait pas bien l’anglais. Elle n’avait pas vraiment appris. »
-
Elle parlait l’irlandais comme papa ?-
Non, une autre langue qui s’appelle l’espagnole. -
Less-pa-niol, chuchote la fillette, essayant vraisemblablement d’enregistrer le mot dans un coin de sa tête.
-
Quand elle a compris qu’elle ne pourrait pas bien s’occuper de toi parce qu’elle n’avait pas d’argent, qu’elle ne pourrait pas obtenir de travail et de logement, elle t’a déposé chez des gens très bien. Des gens que papa et maman connaissaient.-
Des amis ?-
Oui, de bons amis. Et donc quand elle t’a confié à eux, ils lui ont demandés si tu avais déjà un prénom et elle n’arrêtait pas de répéter : Mi hija, mi hija. -
Ça ressemble comme mon prénom ! -
Oui. En espagnol, ça veut dire ma fille… -
Ma fille, chuchote encore Mira, comme si elle découvrait seulement aujourd’hui ce mot et tentait de s’en imprégner tout à fait. Comme s’il s’agissait d’un genre de code secret, d’un mot sacré…
-
Quand ils nous l’ont répété, nous avons décidé, avec ton père, de t’appeler Mira… Pour que tu es en toi un petit peu d’elle. Comme…un héritage. »
Le regard de sa fille se fait plus lointain. Elle se ferme au monde, arbore une moue méditative. Janet sent son cœur se serrer. Quand elle est comme cela, elle lui paraît si inaccessible, si lointaine, si
étrangère…
«
Ton nom de famille est aussi ton héritage. Comme ça tu as un peu de tous tes parents en toi, tu comprends. -
Oui, je crois. Fraser comme toi et papa et Mira comme pour rappeler ma première maman, acquiesce-t-elle avec le plus grand sérieux, avant de tordre sa bouche dans une moue un peu inquiète.
Maman ?-
Oui ma puce ? -
Toi et papa vous avez assez d’argent pour vous occuper de moi pour toujours hein ? »
Janet lui sourit et contourne le comptoir de la cuisine pour venir enlacer sa fille, hissée sur un tabouret, et déposer un tendre baiser sur le sommet de son crâne.
«
Pour l’éternité, et au delà ma précieuse petite fille. »
La réponse a l’air de la satisfaire parce qu’elle avale enfin une cuillère de ses céréales, avant de faire savoir à sa mère que son exposé est en réalité à rendre pour demain…
***
Mira observe sa partenaire à la dérobée. Comme souvent, elles ont trouvé refuge dans un coin de la bibliothèque de l’université pour mener à bien leurs recherches. Elles ont déjà essayés plusieurs QG mais c’est de loin celui où les deux étudiantes parviennent le mieux à se montrer productives et à ne pas se laisser parasiter par les tentations du monde extérieur. Maeve est d’ailleurs concentrée sur ce qu’elle fait, mais ce n’est pas le cas de Mira. Et pour cause, ces derniers temps, sa principale source de distraction, c’est justement son irlandaise d’amie et partenaire de labo. La jeune femme ignore à quel moment le charme a opéré. Par moment, elle se souvient qu’une décharge électrique l’a traversée au moment où leurs regards se sont croisés et à d’autres, elle se dit que ça a été plus progressif et qu’elle fantasme ce souvenir, lui accorde davantage de magie que nécessaire. Au cours de sa vie, elle a eu de nombreux coups de cœur amicaux mais un seul véritable chavirement quand son regard s’est posé sur Neal. Elle se souvient encore parfaitement de cette journée, de la manière dont la lumière jouait dans les cheveux bouclés du jeune homme, accaparé par sa tâche... Sitôt qu’elle l’a vu, et du haut de ses douze ans, Mira s’est promis d’en faire son mari. Il était beau comme un dieu, comme une star de cinéma et elle est immédiatement tombé amoureuse. Un amour de jeunesse, puissant, empreint de magie, fantasmagorique. Et puis elle a appris à le connaître et cette évidence s’est encore renforcée. Maintenant elle le fréquente, se plaît à tracer leur deux prénoms dans les marges de ses notes, à prononcer à haute voix le sien en l’associant au nom de famille de son amant/meilleur ami/confident.
Avec Maeve, les choses sont différentes. Son attirance est d’ordre chimique. Elle aspire à être proche d’elle, comme si quelque chose en elle la nourrissait, comblait un manque. Mira se surprend à chercher à humer son parfum, se rend compte qu'elle cherche le contacte avec elle, que tout est prétexte à l'effleurer. Depuis quelques semaines, ce n'est plus le nom de Neal qu'elle griffonne distraitement sur des post-it pendant qu'elle est au téléphone... Quand elle bouquine, son esprit divague vers des contrées encore inexplorées plutôt que vers ses projets de vie commune avec son petit ami. Mira tente de se raisonner. Ce n'est probablement qu'une attirance physique à mettre sur le compte de sa peur de l'engagement. Elle prend de l'âge, Neal aussi et les choses deviennent sérieuses et peut-être qu'inconsciemment, tout ça lui fait peur. Elle n'a connu que lui, n'a rien vécu de bien excitant avec qui que ce soit d'autre, peut-être qu'elle veut s'émanciper avant de jouer les bonnes petites épouses modèles, comme sa mère ? Quelle meilleure parade que celle de s'amouracher de son opposé, d'une femme ? Ce n'est sans doute que ça. Une phase... Une phase qui se prolonge. Une phase qui devient douloureuse, qui la rend folle.
Maeve finit par sentir son regard peser sur elle et leurs regards se croisent, l'électrise comme à chaque fois. Elle se demande si la brune va deviner le fil de ses pensées et lui faire une proposition indécente qu'elle ne saura refuser.
Dis-le et je te suis... Mais Maeve se contente de plaisanter, de lui demander si elle a quelque chose au milieu de la figure. Mira plaisante, sort la première chose qui lui passe par la tête, et puis lui fait savoir qu'elle ne va pas tarder à devoir y aller. Elle doit retrouver Neal au cinéma ce soir...
***
Elle enroule ses jambes autour des cuisses de son partenaire, l’emprisonnant entre ses bras pendant qu’elle colle son ventre maintenant bien arrondi contre le sien. Mira se cambre, amorce un mouvement de va et vient pour l’inciter à la prendre. Elle sait qu’il en meurt d’envie. En tout cas elle en a très envie et a besoin qu’il la soulage, sans quoi elle a l’impression qu’elle pourrait imploser. La jeune femme sent son membre durcir et un sourire ravi s’étale sur son visage alors qu’elle cherche à débarrasser Neal de son boxer pour libérer ce qu’il a entre les jambes.
«
Non. Non Mira, on…on n’peut pas, on… »
Elle tâche de le retenir, elle y met de l’ardeur, mais il est plus fort qu’elle. L’irlandais la repousse doucement puis saute au bas lit comme s’il était en flammes. Mais la seule personne en chaleur ici, c’est elle… Elle se consume lentement mais sûrement et son imbécile de fiancé ne fait rien pour la soulager !
«
Tu me rends folle ! » s’agace-t-elle, les joues encore rougies par l’excitation et une bonne part de colère.
-
Désolée... C’est juste que… -
Vas-y, dis-le ! Tu n’as plus envie de moi ! Je te dégoute ! Je suis une baleine en plein naufrage ! -
Quoi ? Mais pas du tout » s’étonne Neal en revenant s’asseoir auprès d’elle.
Et à la vue de la forme qui se dessine dans son sous-vêtement, la jeune femme a confirmation qu’elle ne le laisse effectivement pas indifférent. Mais alors qu’est-ce qui cloche ? Ils n’ont jamais eu le moindre souci à ce niveau là mais, depuis l’annonce de sa grossesse, Neal a changé d’attitude envers elle. Il refuse de la toucher (en tout cas d’aller au-delà des préliminaires) et elle est convaincue que c’est à cause des changements qui se sont opéré sur son corps. Elle, d’habitude si menue a gonflé. Des seins certes, mais également des cuisses, du ventre, de partout. Mira ne se sent pas aussi épanouie qu’elle pensait l’être… Elle ne se sent plus désirable et s’imagine déjà être jetée dehors comme une malpropre par son fiancé. Il a des besoins et si elle ne parvient pas à les satisfaire, elle sait qu’il ira voir ailleurs. Elle ne le supportera pas.
Elle ravale ses larmes. De frustration, de vexation, de peur aussi. Neal est tout pour elle. Son meilleur ami, son confident, sa moitié. Elle a sacrifié beaucoup pour laisser une chance à leur couple et maintenant… Maintenant elle craint d’avoir fait tout cela pour rien.
L’irlandais attrape sa main dans la sienne et la couvre de baisers, remontant le long de son bras en reprenant la parole.
«
Je t’aime. Je t’aime plus que jamais Mira, c’est juste que… »
Il se tait, un pli soucieux barrant son front. Son regard se fait fuyant et un soupir finit par lui échapper.
«
Juste que quoi ? cherche-t-elle à le relancer, renfilant doucement, pleine d’appréhensions.
-
J’ai peur de…tu sais…lui faire mal. -
Lui faire mal ? A qui ? De quoi est-ce que…-
Tu sais bien ! Le bébé ! Je ne veux pas lui faire de mal si…si j’entre en toi. -
Mais tu ne vas pas lui faire de mal, comment tu pourrais… Oh… Oh. »
Elle réalise ce qu’il entend par là et l’image qui se forme dans son esprit la fait éclater de rire. Elle rit jusqu’aux larmes en se tortillant entre les draps défait de leur lit pendant qu’il grogne et s’agace. Parvenant à maitriser son hilarité, la jeune femme se redresse, l’observant se rhabiller avec une moue boudeuse près du pas de la porte.
«
Excuse-moi mon cœur, c’est juste que… Tu ne peux pas lui faire de mal. Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que tu vas l’atteindre ? -
Ben oui ! C’est quand même bien par le même endroit que je rentre et qu’il va sortir !-
Bien sûr mais il est genre dans une poche tu sais ! Bien à l’abri. Et puis il est…enfin il est encore minuscule et de toute façon il est placé trop haut pour que tu l’atteignes. »
Neal a l’air embarrassé. Embarrassé et encore sceptique. Il l’observe de haut en bas, grattant nerveusement le sommet de son crâne en méditant sur tout ça.
«
Mais si je vais trop fort, si je te secoue trop… Arrête de rire ! Je ne te dirai plus JAMAIS rien ! -
Pardon, excuse-moi, ricane Mira qui essuie ses yeux humides et lutte de toutes ses forces pour se maitriser.
Je ne me moque pas c’est juste… Je ne pensais pas que tu avais ce genre de doutes. Si tu me l’avais dis plus tôt, je t’aurai expliqué. -
Ouais, comme à un gosse stupide » marmonne-t-il dans la barbe qu’il se laisse pousser depuis quelques semaines maintenant et change son visage, pour le mieux. Il semble plus vieux, plus mâture. Ca le rend plus sexy… Ce qui est d’autant plus frustrant puisque depuis deux mois maintenant, il refuse de la satisfaire sexuellement.
«
Je ne pense pas que tu sois stupide, mo chroí... Jamais je ne penserai ça de toi. »
Neal bougonne encore un peu, marmonne et Mira se redresse pour venir le rejoindre. Elle l’enlace tendrement et se hisse sur la pointe de ses pieds nus pour atteindre ses lèvres. Il ne fait pas mine de résister bien longtemps et finit par la soulever brusquement du sol, la faisant crier de surprise et d’amusement mêlés. Il se laisse tomber sur leur lit en prenant garde de ne pas l’écraser sous son poids. Appuyé sur son coude, il caresse ses cheveux d’une main et son ventre rebondi de l’autre en se dégageant un peu.
«
Tu es sûre ?-
Sûre » lui sourit Mira, en se mordillant la lèvre, une lueur espiègle dans le regard.
Rassuré, Neal lui sert son sourire le plus charmeur et capture ses lèvres dans un long baiser langoureux, avant de la prendre toute entière. Plusieurs fois…
***
Le sourire qu’elle adressait à son collègue meurt peu à peu sur ses lèvres. Il ne le remarque pas et continue d’alimenter la conversation qui se tient autour de la tablée. Mira n’a pas la tête à l’écouter conter ses exploits aujourd’hui, elle se contente des sourires de rigueur, de quelques hochements de tête et suit plutôt le mouvement. Dans quelques jours, elle quittera le continent africain où elle travaille pour une œuvre humanitaire, afin de retourner aux États-Unis. Son vol est déjà booké, ses parents savent à quelle heure ils passeront la récupérer et elle sait déjà qu’elle va devoir supporter des festivités. Ça la contrarie un peu et elle devine qu’elle ne sera pas de très bonne composition, mais elle veut leur faire plaisir. Elle ne les a pas revu depuis plus d’un an. Depuis que son avenir supposément tout tracé a subi un brusque changement de ligne directrice. Pour la conduire droit dans un mur.
Brianna est morte.
Sa fille.
Son couple a rapidement suivi.
Neal est parti.
Tout a été balayé comme un vulgaire château de cartes.
Tout ce qui lui tenait à cœur lui a été arraché, toutes les raisons qu’elle avait de se battre ont brusquement disparues. Plus d’enfant à élever et voir grandir, plus de fiancé à aimer, plus de domicile à transformer en chaleureux foyer, plus de grands projets de carrière à tracer, plus d’objectif à se fixer. Plus rien. Le néant.
Il lui a fallut du temps pour rallumer la lumière, pour s’arracher à la torpeur, aux ombres qui à présent la guette simplement de loin. Il lui a fallut changer de décor, d’environnement. Il lui a fallut se confronter à une horreur plus lourde et absurde que la sienne pour rebondir.
Aujourd’hui, la lumière est belle et bien là. Elle ne tremblote plus, ne risque pas d’être balayée au premier coup de vent. Ce qui est une bonne chose lorsque le l’ont sait que le plan de Mira consiste à retourner vivre à Chicago, surnommée la Cité des Vents…
Elle s’est reconstruite, pièce par pièce. Elle a léché ses plaies, lentement mais sûrement, jusqu’à ce qu’elles cicatrisent. La jeune femme les gardera, elle est marquée à jamais dans son corps, dans son cœur et dans son esprit, mais les plaies ne suintent plus, ne la démangent plus. Elle espère que ce sera encore le cas quand elle retrouvera sa ville, ses proches, quand elle se confrontera à son passé. Elle fait un pari et elle a beaucoup à perdre, malgré ça, elle reste confiante.