I'M BAD IN LIFE | phoenix

« My heart's to blame. »

● PART I - octobre 2016 ; cook county jail.
« Ledger, c'est ton tour. Essaies de pas créer d'émeute cette fois. » Il acquiesce, cette espèce de sourire narquois imprimé le long de ses lèvres – Dieu qu'il l'emmerde cet abruti-là. Néanmoins, le silence perdure. Il n'use pas de sa voix même si l'envie n'en manque pas, il doit suivre le conseil de son avocat. Une bonne conduite pour une sortie rapide ; et qui sait, peut-être que les choses pourraient tourner à son avantage. Il en est à l'espérer parfois, avant que la nuit tombe. Ça fait quelques semaines qu'il est ici, à peine, que sa liberté commence à dangereusement lui manquer. Les chiens fous ne sont pas à mettre en cage par risque de ne devenir que plus enragés. « Yo, m'man. J't'avais dit d'pas v'nir là. » Il s'assoit, ose lui faire face. Phoenix sent quelques jugements traverser les traits de sa mère, une once de déception aussi – peut-être. Mais la surprise devient un peu plus imposante, enlevant de cette superbe au tatoué qui d'ordinaire n'a de cesse de faire son fier. Elle se tient un peu en retrait, tête baissée comme apeurée de potentiellement croiser son regard. Si la culpabilité n'a fait qu’accroître en voyant sa mère se risquer jusque-là, il ne peut nier que cette autre visite l'achève un peu plus. Il a passé tellement de temps à vouloir la rendre fière qu'il en avait oublié les conséquences que pourraient avoir ses erreurs. Les voici alors, séparés par un maigre carreau, ses arrières surveillés par les pénitenciers. Il a merdé, et sur toute la ligne – et depuis bien longtemps, flirtant avec le deale depuis ses dix-sept ans. Puis merde, elles s'attendaient à quoi finalement ? Le garçon s'est forgé homme par lui-même bien que, oui, de la pire des manières. Sa grand-mère, toujours derrière, s'en doutait bien qu'elle n'ira pas l'admettre. C'est un fait désormais acté, une réalité qui lui pendait au nez – une douleur qui vient s'ancrer au fur et à mesure que s'installe ce silence qu'elles font perdurer. Un soupire, un énième regard qui ne sert à rien, Phoenix sent que le désarroi qu'il pense percevoir n'est nul autre que le sien. « Ta grand-mère voulait pas v'nir, j'sais pas si tu t'rends compte de comment c'est dur de s'dire qu'on a fait attention à rien pour que t'en arrive là. » Ça lui prend au cœur, les mots sont durs à entendre tandis qu'il essaie à capter son regard. Mais rien, pas un face à face, une simple phrase qui vient se perdre jusqu'à lui. « Mais toi t'as fait attention à rien, c'une certitude en fait. » Une provocation qui n'amène aucune réponse. Dommage. « C'rien putain, j'vais sortir bientôt. Hé, ces connards de phœnix s'relèvent de leurs cendres. » Un mensonge, pour l'instant, et un rire ironique de la part de sa mère. Ça l'énerve sur l'instant, ce foutu jugement qu'elle lui offre alors qu'elle n'a été la plus présente du monde – contrairement à la seule qui devrait être effondrée et qui, finalement, de ses mots, lui dit de la fermer. A lui, ça lui arrache un sourire qui, pourtant, se fane dès lors que le face à face avec sa grand-mère s'installe. « J'attendais mieux de toi. » Bien-sûr, ils attendent tous mieux de lui, pas encore conscients, tous, qu'il est sur le chemin qu'il a choisit et, qui plus est, qu'il apprécie. Le téléphone est fracassé sur la tablette contre laquelle il s'était accoudé, la voix se lève en même temps que cette colère qu'il ne peut pas forcément contrôlé. De nouveau menotté, c'est là-dessus qu'il est évacué, renvoyé en cellule pour se calmer. Ça aura été la première et dernière visite de cette vieille dame qu'il avait adulé.



● PART II - novembre 2017 ; cook county jail | south side, logement.
L'air frais vient emplir ses poumons, ça a quelque-chose d'extatique maintenant qu'il est de ce côté de la porte. Il en profite, s'arrête dans son élan pour respirer, s'en défoncer les bronches à coup de liberté retrouvée. Mais on l'appelle, son nom presque hurlé, on attire son attention sur la pleine réalité. Phoenix revient à la raison, quittant le gouffre que sont devenues ses réflexions. « Hé, ça paye la bonne conduite. Ça va, tu t'es fait plaisir biatch. » Le sac est jeté à l'arrière du taxi, le ventre de sa meilleure amie palpé comme pour rattraper tout ce temps perdu durant lequel il n'a pas pu l'emmerder. « Dommage qu'ils aient pas réussi à t'la faire fermer pendant ton année là-dedans. » Il grimace, imite sa voix, reprenant ses mots mais la taquinerie se termine en quelques embrassades, il avait oublié qu'elle était ce repère de paix, ce havre de gaîté – rendant définitivement son nouveau monde moins maussade. « Aller, on y va, on a l'air cons comme ça. » Engouffrés dans l'habitacle jaunâtre, Phoenix réapprend la ville au-travers de la vitre embrumée. Ses yeux impriment la lueur de chacune des lumières qu'ils croisent, de chaque angle de rue qu'il connaissait autrefois. Un an seulement et l'impression de ne plus rien reconnaître se fraye un chemin jusqu'à son esprit excité, imaginant d'ors et déjà ce nouveau départ sous son nouveau toit. Celui-là même qu'ils rejoignent en une demi-heure, merci au chauffeur pour avoir fait au mieux à ne pas traîner, leur épargner les bouchons en cette fin de journée. « J'te promets, t'auras l'impression que j'suis même pas là. » Un clin d’œil, son sac sur l'épaule, cette nonchalance habituelle qui lui revient presque trop rapidement, présage même qu'il ment. Mais elle a l'habitude de cet homme et inversement, Delilah sait qu'elle vivra un enfer probablement. « Et j'dois voir des potes demain, ils ont p't-être un tuyau pour du taf. Ça devrait l'faire. » Quelques pas, ce qui lui appartient s'éparpille déjà sur le canapé dans lequel il vivra. Phoenix respire à nouveau, une bonne grosse respiration qui trahit le bien-être qui s'immisce en lui maintenant que ses pas ne sont plus surveillés, maintenant que personne ne viendra couper court aux images qui coloraient l'arrière de ses barreaux lorsqu'il osait rêver. Des rêves qu'il a continué à nourrir, à encenser. En quelques semaines, Phoenix a reprit ses bonnes vieilles habitudes – son droit sur des terres qu'il disait être siennes, terrain de business où rien ne le freine. Et depuis, pas de nouvelles de sa grand-mère. Les Crows contactés, de la came confiée, à lui de vendre comme fut un temps pour pouvoir être payé. Ah, oui, il leur est bien affilié, travaillant là où tout leur monde gravite depuis des années ; parce qu'il a rejoint les rangs du Maureen's, Phoenix – grâce à ces fameux potes – y est cuisinier. La vie recommence, son quotidien se redessine heure par heure. Au final, il est de ceux qui n'apprennent jamais de leurs erreurs.


● BONUS - février-mars 2018 ; north side, logement.
L'horizon se cache derrière l'épais brouillard de ce début d'année. Il vient d'avoir vingt-neuf ans, prône encore à sa famille que son année de prison est une erreur, qu'il est innocent. Bon menteur, ils ont finis par y croire. Bon menteur, il s'est joué de leur confiance pour se rapproprier leur amour ; s'ils savaient. Mais au-delà des retrouvailles, des festivités, il est un moment qu'il n'a pas oublié. Derrière l'alcool ingurgité, les présentations que sa mère lui a obligé avec le nouvel homme qu'elle devrait bientôt quitté, il s'est souvenu de ce nom donné. L'héritage d'un fils qui n'a rien connu que des venus, des allers. Il se souvient, dans sa jeunesse, avoir cherché un semblant de stabilité. Il a vingt-neuf ans et n'a jamais connu celui qui aurait dû être là, avec lui, durant tout ce temps. Ce père absent, évanoui dans un monde qu'il ne pensait pas si surprenant. Ça doit faire des heures qu'il attend devant cette porte, espérant un peu de courage pour prendre de l'élan. Un peu de courage pour lui faire face. Un soupire, quelques pas qui viennent s'oser. Phoenix tient à en avoir le cœur net, l'esprit tranquille. Il doit s'y risquer pour pouvoir s'en faire une idée. Et les coups contre la porte ont résonné, d'abord sans réponse puis la frontière s'est estompée. Face à cet homme-là, il a eut l'impression de redevenir un gamin. Ce même fils délaissé qui demandait à tous les hommes rencontrés par le billet de sa mère s'ils allaient rester ou, qui sait, eux aussi l'abandonner. Il a vécu avec mais, ce soir, tout lui semble différent, cette fois bien à portée. C'est semblable à une mauvaise blague, à l'une de ces illusions imaginées quand il était enfermé, autrefois planqué dans un placard de l'appartement de « maman » pour ne pas avoir à déranger ses ébats, les visites qui se faisaient parfois tard le soir. Il est là, se tenant debout devant lui à questionner sa présence et les raisons qui l'ont poussé à toquer. Merde, il ne sait vraiment pas qui il est. Alors quoi, beaucoup d'hommes près de la trentaine ont l'idée de venir toquer au beau milieu de la soirée ? Trop de questions et les réponses manquent à l'appel pour l'aider à tout clarifier. Le fanfaron est d'un silence inhabituel, donnant l'impression d'être muet. Lui, le moulin à paroles, a perdu la capacité à s'exprimer. Et il se passe bien des minutes avant qu'il ne s'anime, le tatoué. Il bafouille, essaie de se souvenir de ce qu'il pourrait avoir à dire – bien qu'ignorant des choses qui pourraient être énoncées. Il n'a qu'une version des faits, en à oublier la moitié. Il n'a que la version de cette mère de plus en plus dépravée et le silence hargneux de cette grand-mère qui n'a jamais voulu en parler. Pourtant, il aurait aimé un peu d'aide pour palier à ce ridicule qui s'abat sur ses épaules de plus en plus lourdes. Dieu qu'il leur en veut d'avoir été aussi gourdes. Alors l'air bloqué dans ses poumons se délie, fait son chemin jusqu'entre ses lèvres à peine fermées – Phoenix vient défaire le mystère d'une grande partie de son enfance, de sa vie toute entière. En face de lui, à sa porte, ce père biologique trop longtemps réclamé avant que l'idée ne s'estompe dans l'air. « Simon ? » Et ainsi de suite.