LAZY BONES
«
Mais putain, Kurt ! Bouge toi ! » L’intéressé tourne un regard morne en direction de sa jumelle qui fulmine, comme à son habitude. Il est le calme, elle est la tempête ; il est le Yin, elle est son Yang ; ils s’aiment et se déchirent. Il la regarde, elle le regarde, il plisse les yeux, elle l’imite, il prend une longue inspiration, elle soupire avec agacement entre ses mâchoires crispées. Elle craque la première, l’impatiente. «
Kurt ! » Il expire tout l’air emmagasiné, gonflant ses joues pour lui montrer qu’elle le gonfle, lui. L’adolescent daigne finalement se lever du canapé sur lequel il est vautré depuis un bon moment maintenant, occupé à ne rien faire. Kurtis emboite le pas à Meghan vers l’entrée, l’écoutant d’une oreille distraite lui répéter leur planning chargé tout en enfilant ses tongs. «
…Kurt, tu ne peux pas faire de vélo avec ces trucs puants » s'interrompt-elle subitement, pointant ses pieds dans une grimace écoeurée. Bah si, il peut. Elle le fixe, il soutient son regard, il plisse les yeux avec défi, elle en fait autant. Cette fois c’est lui qui craque. Il retire ses Tongs pourtant confortables et va farfouiller dans le bas du placard pour dénicher une paire de baskets qu’il enfile, pieds nus. Meghan lui fait une remarque au sujet d’ampoules mais ça lui passe au-dessus de la tête. Loin, loin au-dessus.
Ils sortent enfin de la demeure familiale de Staten Island. Elle dépose une casquette sur sa tête et il la laisse faire, gardant ses mains enfoncées dans les poches de son bermuda délavé. Ils s’approchent des vélos, grimpent dessus et se mettent en route, sa jumelle en tête comme toujours. Elle salue leurs voisins, jette des sourires faussement timides aux garçons, relève le menton devant les nanas, assure à la mère des gosses qu’elle babysitte qu’elle sera bien là demain à 19h tapantes. Kurt, lui, suit sans un mot, pas vraiment dans ses pensées, juste là. Il regarde sa sœur, il regarde le paysage, il regarde ses chaussures qui le gênent un peu, il regarde les gens et toutes les informations qu’il capte glissent sur lui. Il manque de se tuer au moins trois fois sur le trajet mais ils finissent par arriver à bon port. «
C’est moi qui dit au coiffeur ce qu’il doit faire. » "
Ouais, si ça te fait plaisir" pourrait-il répondre, mais il se contente de la regarder quelques secondes et d’hausser une épaule. Meghan rentre et tout le monde se tourne vers elle et lui adresse des sourires. Sa sœur, c’est le genre de fille que tout le monde aime, pétillante et intelligente, jolie mais juste ce qu’il faut de timidité dans l’attitude pour qu’on ne la jalouse pas. Elle donne ses instructions au coiffeur, sans se soucier de lui tirer les cheveux au passage ou d’épargner son égo. Kurt s’en fiche de toute façon, il sait qui il est et à quoi il ressemble. Le coiffeur l’invite à s’installer et sa sœur disparaît après lui avoir collé un bécot sur la joue et l’avoir menacé de le scalper s’il ne se laisse pas faire. Evidemment : il se laisse faire. Ses cheveux coupés, il fouille dans ses poches pour trouver quelques dollars. Y a pas le compte mais il promet que Meghan règlera le reste et le type accepte parce qu’il connaît bien Meghan et qu’à elle, il fait confiance.
Bien entendu, Kurt n’attend pas le retour de sa sœur qui doit être au pressing ou en train de faire quelques courses pour leurs parents. Il remonte sur son vélo et se met à pédaler sans vraiment savoir où il va. Quand il retrouve enfin le chemin de la baraque qu’il partage avec ses parents, ses trois débiles de frères et sa jumelle, il fait déjà presque nuit. Il voit jamais le temps passer. Sa sœur lui passe un savon, sa mère, elle, lui adresse un clin d’œil complice après l'avoir étreint, l’air de dire qu’elle comprend. Elle aime bien, sa mère, s’imaginer qu’ils a simplement son petit jardin secret, qu'il s'isole pour faire ses trucs à lui, loin de sa soeur un peu tyrannique. C’est pas vrai mais il fait semblant pour lui faire plaisir. «
Bon à table maintenant ! J’te préviens, y a des légumes Kurt et t’as pas intérêt de râler ! » Il ne râle jamais, mais il se garde bien de le lui dire. Meghan ce qu’elle aime bien, c’est avoir toujours l’air débordée et aux commandes. Ca lui donne l’impression d’être utile, quelqu’un d’important qui n’a pas une seconde à elle. Il traine des pieds jusqu'à l'imposante table de la salle à manger et se fait bousculer au passage par Clyde qui, comme d'habitude, tient un bouquin entre ses grandes paluches et ne regarde pas où il va. Il estime bien entendu que c'est la faute de son cadet et se sert de son stupide livre d'intello (dans lequel il s'est probablement branlé) pour le frapper. Kurt se contente de pousser un lourd soupir, qui lui vaut cette fois une tape à l'arrière du crâne de la part de Logan, le plus âgé de la fratrie. Kurt réagit un peu plus vivement, faisant claquer sa langue contre son palais avec désapprobation. Il déteste que son junkie de frère le touche. Toute façon, le seul qui ait les mains à peu près clean dans cette baraque (à part sa mère), c'est Samwell. Malheureusement, son frère préféré n'est plus là puisqu'il a décidé de s'inscrire dans une école militaire cette année. Une décision stupide selon l'adolescent mais qui pourrait bien être intéressé par son avis sur la question ? «
Tu as coupé tes cheveux mon grand ? » lui demande son père en venant s’installer à sa place, au bout de la table. Kurt hausse une épaule. Sa mère passe alors sa main douce dans ses cheveux coupés courts. «
T’es beau comme ça mon ange. Ne brise pas trop de cœur, d’accord ? » Il acquiesce. Meghan arrive alors avec le plat qu’elle a trouvé el temps de cuisiner pendant qu’il se baladait. Evidemment, elle se plaint que personne ne l’aide et tout le monde se met en branle. En s’asseyant, elle aussi passe une main dans sa tignasse fraichement coupée, sans un mot. Elle lui adresse un sourire. Un de ces sourires qu’il aime bien et qui le fait se sentir important lui aussi. C’est ça son utilité. La seule.
Être le frère de Meghan.
*
«
T’es qu’un con Kurtis. » Il hausse les épaules et se laisse enlacer par sa jumelle. «
Mais merci encore… » Pas besoin de le remercier, il adore cogner sur les gens. Surtout les sales types à tête de fouine qui osent briser le cœur de sa frangine. Il aime bien les voir pleurer, se trainer, compter leurs dents, pleurer encore. Y a même un type une fois qui s’est évanoui… Enfin sur le coup, il s’est sentit un peu stupide avec son poing levé et plus d’adversaire, mais avec du recule, c’était plutôt flatteur. «
Tu vas sûrement de te faire virer du bahut pour ça… » «
Ouep. Pas grave. » «
Papa va te tuer… » Pour la dérider, Kurt lui pince le nez et regrette aussitôt son geste. Quand les gens pleurent, leur nez coule… Il grimace et essuie sa main sur l’arrière de son jean, faisant pouffer Meg qui consent à se moucher. «
Ca va être quoi ta vie si tu arrêtes tes études avant d’avoir ton diplôme ? Enfin je pourrai parler de toi à mon agence, peut-être qu’ils te trouveraient quelque chose. » Il soupire bruyamment et la repousse un peu. Il n’a pas envie de l’écouter parler encore de son truc de mannequin à la con. Ca lui plait pas du tout qu’elle se soit lancée dans cette carrière. Mais encore une fois, son avis n’a pas été entendu. C’est sûrement sa faute. Il l’ouvre jamais alors les gens finissent par penser qu’il n’a d’avis sur rien. C’est faux. «
Kurt, je sais que tu crois que ton rôle, c’est de tout rater pour que j’ai l’air brillante, mais j’ai vraiment pas besoin de toi pour ça. Je SUIS brillante ! » elle tente de lui sourire mais la plaisanterie n’amuse aucun d’eux «
Kurtis, il faut que tu te prennes en main, c’est du sérieux. T’as trop déconné ces temps-ci. Papa va te foutre dehors, comme il l’a fait avec Logan. » «
Et si j’ai pas envie qu’ma vie soit sérieuse ? » Mais ils sont interrompus dans leurs échanges par l’appel de leur père. Quand on cause du loup. Au ton qu’il emploie, Kurt devine qu’il va passer un sale quart d’heure et que son père ne compte pas le remercier d’avoir vengé l’honneur bafoué de sa jumelle… Echangeant un regard avec cette dernière, il soupire une nouvelle fois et se traine jusqu’au rez-de-chaussée pour recevoir bravement son savon. Sa mère a mis les petits plats dans les grands ce soir pour tenter d’apaiser la fureur de son époux et a même invité ses frères pour qu’ils tempèrent les choses. Mais Kurt n’est pas certain que ça soit suffisant. Surtout que le seul frère susceptible de le défendre n’est pas là ce soir. Samwell bosse trop. Et quand Sam ne bosse pas, il va faire la fête avec ses collègues les porcs de la 55e. Il va falloir qu’il compte sur Logan qui l’a toujours détesté et Clyde, ce grand pédé à lunettes qui a mis enceinte sa conne de femme pour la seconde fois au lieu de lui demander le divorce. Sa salope est là aussi ce soir, dans l’unique but d’assister à une scène.
Aucun d’entre eux ne le sait encore, mais Lynda (avec un Y et pas un I comme elle adore le préciser) va avoir son comptant de drame ce soir…
«
Tu as quelque chose à me dire, fils ? » l’alpague son père dès qu’il a franchi la porte. Kurt hausse une épaule, s’immobilisant dans l’embrasure de la porte alors que tous sont déjà attablés. Meghan se glisse discrètement sur son siège, lui adressant un hochement de tête pour lui confirmer qu’elle assure ses arrières si jamais les choses dérapent trop. «
Tu as perdu ta langue ? » Kurt fait gonfler ses joues et expire l’air dans ses poumons. Son père frappe du poing sur la table, le visage déjà rougi par la colère. «
Une bagarre ? Encore ? Avec le fils du proviseur ? Tu le fais exprès ? » « Il l’a cherché… » «
Je m’en fiche ! On vous a mieux élevé que ça tes frères et toi ! » «
Tu parles » marmonne-t-il, enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon dans lequel il nage. «
Pardon ? Tu as quelque chose à dire pour ta défense ? » «
J'trouve que tu dis d'la merde. » «
Kurtis ! » se scandalise sa mère, sursautant sur sa chaise. «
Tu vas changer de ton immédiatement mon garçon, parce que sinon… » « Sinon quoi ? Tu vas m’en mettre une ? C’est pas très catholique de frapper ses mômes. Et t’es un bon p’tit catholique, pas vrai p’pa ? » «
Je t’interdis… » «
Tu m’interdis quoi ? De parler ? Bah j’m’en fous, j’vais quand même le faire ! J’en ai ras le bol de vous écouter ! J’dois toujours écouter tout le monde et personne m’écoutent jamais moi ! J’veux plus y aller à c’te lycée d’merde ! J'vous l'ai déjà dit mille fois ! C’est rien qu’des pédés et des drogués là-bas ! » «
Kurtis Alexander Hawkins ! Je te défends d’employer un tel langage sous mon toit ! » «
Tu crois que j’l’apprends où c’langage maman ? T’façon j’m’en fous, j’y retournerai pas et vous pouvez pas m’forcer ! » «
Tu vas voir si j’vais pas te forcer ! » rage son père qui s’est levé après avoir tapé une nouvelle fois sur la table, faisant vibrer les couverts. «
Chéri, calme-toi… Pense à ton cœur… » «
Mon cœur va très bien Molly ! Je ne me laisserai pas parler de cette manière par un…par un p’tit con qui n’est pas fichu de se torcher tout seul ! Il est hors de question que tu abandonnes tes études ! » «
C’est ma vie, j’en fais c’que j’veux. » «
Non ! Tu feras ce que tes parents te disent de faire ! Pourquoi est-ce que tu ne peux pas être comme tes frères et obéir, hein ? » «
Tu plaisantes ? Tu veux que j’sois comme mes frères ? Et quels traits de leurs si parfaites personnalités tu veux que j’copie hein ? Tu veux que j’devienne un bon business man, comme Logan qui vend du shit devant mon propre bahut et me fait payer chaque fois que vous lui demander de me conduire quelque part ? » «
Hey ! Ferme ta gueule p’tit connard ! » proteste Logan, qui a déjà commencé à manger, sans attendre le bénédicité ou la fin de cette dispute, et s’exprime la bouche pleine. «
Ou alors je dois suivre l’exemple de Clyde ? Tu veux que j’attende le bal de promo pour engrosser une poufiasse et l’épouser avant la fin du mois pour que Notre Seigneur ne nous foudroie pas d’avoir conçu un chiard hors mariage ? » «
Tu vas trop loin ! Présente tout de suite tes excuses à ma femme » bafouille Clyde alors que son fameux chiard se met à brailler dans la pièce à côté. «
Ou alors je dois imiter Samwell ? Samwell qui brille encore par son absence et est certainement en train de se bourrer la gueule au moment où on parle… » «
Kurt, ça suffit maintenant. » Habituellement, il aurait écouté sa sœur. La voix de la raison. Mais pas ce soir. Au lieu de ça, soutenant le regard de son père qui se tient la poitrine, le visage écarlate de rage certainement : Kurt donne un grand coup dans sa chaise et l’envoie valser contre le mur. «
La vérité c’est qu’on est tous des ratés, et toi l’premier, p’pa ! »
Le silence retombe alors dans la salle à manger de la famille Hawkins. Pas longtemps. Kurt voit son père se laisser retomber sur sa chaise, se serrant toujours la poitrine d’une main, ses yeux exorbités de surprise braqués sur lui. Il manque de lui lancer un bon : tu l’avais pas vu venir celle-là, hein ? Mais il n’ose pas aller aussi loin. En fait, il commence même à éprouver une pointe de gêne et un peu de remord. «
Douglas ? Douglas, ça va ? » s’inquiète tout à coup sa mère, faisant porter sa main sur celle de son mari qui, au lieu de froisser le tissu de sa chemise est en train de froisser la nappe. «
Douglas ! » Kurt voit tout à coup son père basculer de sa chaise, s’écrasant sur le sol du côté où est assis Logan. Logan qui, dans un réflexe, s’en éloigne et vient se coller à sa belle-sœur (avec qui il a déjà baisé, soit dit en passant). «
Papa ! » Tout le monde quitte son siège. Tout le monde s’affaire. Pas Kurt. Il reste planté là où il se trouve, ses poings se desserrant peu à peu alors que sa colère disparaît pour faire place à un cuisant sentiment de culpabilité qui le poursuivra certainement toute sa vie.
*
Il les observe, les mâchoires serrées. Clyde lui a prêté des chaussures "de circonstances", mais elles sont trop petites pour lui et elles lui font mal. Alors pendant que tout le monde pleure et écoute l’éloge du prêtre, lui piétine sur place avec plus ou moins de discrétion. Meghan est à sa droite, Clyde a sa gauche. Lynda (avec un Y et pas un I) n’est pas là. Elle s’est lassée de leurs drames familiaux et a proposé de garder les mômes à la maison. Elle va sûrement en profiter pour fouiller le moindre recoin et peut-être voler un ou deux bijoux de sa mère. Paraît qu’elle devient un peu clepto… Kurtis s’impatiente. Les mauvaises langues diront qu’il n’a décidément aucun respect, mais c’est justement le contraire. Et il ne supporte pas ce qu’il voit. Il ne supporte pas cette mascarade à laquelle toute sa famille s’adonne et à laquelle on lui demande de prendre part. Il ne supporte pas de les voir plantés là comme des animaux dociles, bien parqués, la tête basse, les yeux inondés de larmes à pleurer la mort de son frère. Ils devraient être en train de demander des réponses. Ils devraient se révolter, taper du poing, des pieds, faire du bruit. Où est le salaud qui a fait ça à son frère ? Où est le salaud qui a privé sa famille déjà meurtrie d’un nouveau membre ? Kurt se penche un peu et repère Petey, le fils de Sam, coincé entre sa mère et Casey. Il pleure en silence, accroché à la robe de sa génitrice qui se cache derrière un chapeau à voilage. Sale conne. Elle a brisé le cœur de son frère en demandant le divorce et maintenant elle vient chialer ? C’est trop facile ! Et tous ces salauds de flics dans leurs uniformes qui paradent au lieu de chercher le meurtrier de son frangin… Ca le rend malade. Il boue. Ses poings s’ouvrent. Se ferment. Il ne sait pas combien de temps il parviendra à prendre sur lui. A une époque, Meghan l’aurait senti et aurait cherché à prendre sa main pour l’apaiser, mais plus maintenant. Ils ne se comprennent plus. Elle est à fond dans son mannequinat à la con et lui... Lui il est toujours là, à l'attendre bêtement, à enchainer les petits boulots merdiques parce qu'il n'est pas fichu de se stabiliser. Qui couvrira ses bourdes et lui vomira des sermons insupportablement chiants maintenant que Sammy est mort ?
Ca y est, ils ont terminés de plier le drapeau américain et de réciter ce con de "In God We Trust". Un militaire endimanché dans son costume de cérémonie s’approche d’une démarche grotesque vers sa mère pour le lui remettre, attendant qu’elle le prenne pour lui adresser un salut militaire. C’est à ce moment que Kurtis craque. Il pousse un de ses soupirs. Un de ceux qui rendent ses proches complètement dingues. Il sort des rangs, s’approche de sa mère et attrape lui-même le drapeau, prenant le type au dépourvu. «
Alors c’est à ça qu’on a droit ? C’est not' lot d'consolation, hm ? » «
Kurtis, non. S’il te plait. » «
Non mais j’veux savoir ! C’est pour c'truc que mon frangin est mort ? » «
Monsieur, je comprends votre peine mais... » «
Tu comprends que dalle. Si tu comprenais, tu serais pas là en train de perdre ton temps ! Si tu comprenais, tu serais en train de retourner chaque baraque, chaque putain de pierre pour retrouver le fils de pute qui a assassiné mon frère ! Vous devriez tous être en train d’le chercher ! » leur crache-t-il avec colère. Il sent une main se poser sur son épaule mais la repousse fermement. «
Non ! Qu’on m’demande pas d’fermer ma gueule ! J’me tairai pas ! J’vais continuer à gueuler et vous faire chier jusqu’à ce que vous vous bougiez le cul ! » Sa mère éclate en sanglots déchirants à côté de lui, et même si ça lui brise le cœur, il n’est plus capable de s’arrêter. «
C’est pas comme ça que vous lui ferez honneur ! C’est pas en pliant votre joli drapeau à la con qu’il sera vengé ! » Cette fois, c’est une paire de bras qui se referment autour de sa poitrine pour le ceinturer. Il se débat mais c’est peine perdue. Karl, le meilleur ami de son défunt frère, est une montagne de muscle et, il a beau être furieux, il ne fait toujours pas le poids. Il continue de pester alors que le membre des Kings of Speed l’éloigne de sa famille éplorée et du cercueil qui contient le cadavre de son frère. Le seul qui ce soit jamais intéressé à lui… «
Lâche-moi ! Lâche-moi putain ! Enfoiré ! Enfoiré d'merde ! » Karl finit par lui obéir, une fois qu’ils sont suffisamment en retrait. Il le laisse fulminer, donner un coup de pied dans un arbre, puis quelques coups de poings qui lui égratignent la peau. Kurtis sent quelques larmes rouler sur ses joues et il les essuie rageusement. Il n’aime pas pleurer. Surtout pas devant des gens qu’il ne connaît pas. Même devant ceux qu’il connaît en fait. Karl reste silencieux, jusqu’à ce qu’il se soit calmé. Et c’est quand il l’estime enfin réceptif qu’il lui fait sa proposition. Celle qu’il attendait depuis quelques jours, qu’il espérait viscéralement entendre lui être faite depuis l’annonce du décès de Sammy.
Karl lui propose de mettre sa rage au service d’une cause plus grande, de donner à sa vie merdique un nouveau sens. Il lui propose de rejoindre les Kings of Speed.
*
«
Dis moi que tu plaisantes Kurtis » s'étrangle Meghan, le visage rouge de colère. Il ne répond pas. Elle comprendra parfaitement ce que ça signifie. Il ne plaisante pas. Il est très sérieux. Et la veste de cuir sans manche qu'il a sur le dos est d'ailleurs là pour le prouver. Il n'a qu'un seul patch dessus, en plus du logo des Kings of Speed. Un petit morceau de tissu sur lequel est inscrit le titre de
Prospect. Et le coursier en tire plus de fierté qu'il ne l'avait imaginé. «
Mais bon Dieu à quoi tu penses Kurt ? Qu'est-ce qu'elle tu t'imagines pouvoir faire avec ces...ces redneck stupides et plein d'violence ? » «
I' sont pas stupides. Ils vont m'aider à mettre la main sur les salauds qui ont tué notre frère ! » s'agace Kurtis, ses poings serrés à l'évocation de son aîné.
Samwell est mort depuis plusieurs mois maintenant et il n'arrive toujours pas à l'accepter. Il n'arrive pas à penser à autre chose qu'à la manière dont il aimerait se venger des responsables. Les flics tentent d'étouffer l'affaire et de protéger les coupables, Kurtis en est convaincu. Le souci, c'est qu'il a l'air d'être le seul à y croire... Sa propre famille refuse de le soutenir dans ses démarches et refuse de chercher plus loin. Ils ont fait leur deuil. Pas lui. Pas tant que l'assassin de son frère pourra encore respirer. «
Non ! Je t'interdis de mêler Sammy à tes conneries ! Je t'interdis de justifier ça en te servant de ce qui lui est arrivé ! » le prévient sa jumelle, agitant un index menaçant devant son visage boudeur. «
Il doit se retourner dans sa tombe à l'heure qu'il est ! Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu fais ? Tu ne l'honores pas en rejoignant un foutu gang Kurtis : tu lui craches au visage ! Tu craches sur tout ce en quoi il croyait ! Il a donné sa vie pour mettre les gens comme ceux que tu as rejoint en taule ! » «
Non ! Tais-toi ! Il a pas donné sa vie on la lui a volée ! On lui a tiré une putain de balle en pleine face et il est mort ! Et si je dois rejoindre un foutu gang comme tu dis pour faire payer le tireur alors je le ferais ! » «
Répondre au mal par le mal ne résous jamais rien ! » «
Je m'en branle Meghan ! J'peux pas rester à ne rien faire en sachant que ces fumiers courent toujours et s'vantent sûrement d'avoir allumé un flic ! J'peux pas ! » «
Tu vas te faire tuer » s'emporte une dernière fois sa sœur, avant d'éclater en sanglots.
Il a envie de la prendre dans ses bras. Il ne le fait pas. S'il se laisse amadouer, il serait capable de renoncer à ses projets... Kurt préfère supporter les larmes de sa jumelle que de supporter de rester passif une minute de plus face à l'injustice dont a été victime Sammy. Plutôt mourir, effectivement. De toute façon, le jeune homme n'est pas dupe, il sait qu'il n'a aucun avenir... Il n'a aucune aspiration, aucun projet. Il n'a que Meghan mais sa sœur commence à prendre ses distances, à réaliser qu'elle ne peut rien pour lui. Elle s'est lassée et ils le savent tous les deux. Alors Kurt a saisi cette chance de donner un sens à sa vie morne et inutile. Kurtis a intégré les Kings of Speed, pour le meilleur et le pire.