demons hide in the darkness | alexeï

La proposition est lancée, donnée. La main tendue, en soit – libre à lui de l'accepter malgré tout. Et s'il s'attend à un sourire si ce n'est pas un peu d'audace en plus, sa voix qui s'élève d'un coup le fait sursauter. Les sourcils se froncent et il tient sa position, guettant l'homme qui vient d'un coup d'un seul se réveiller. Il ne comprend pas vraiment, essaie de voir ce qui amènerait une telle réaction dans ses précédents mots. Mais rien ne vient, rien ne s'impose. Il se contente de tenir sa langue, de toiser un peu l'homme qui lui fait face en quête d'un indice quant aux pensées qui le tiennent. « Il se trouve que l’alcool qui me rend attractif, m’empêche quelque peu de prendre ma moto… » Un geste de la tête sur le côté, il se fait plutôt d'accord avec cette idée. Quant aux premières notes, il en regagne son sourire – bien-sûr que ce n'est pas passé inaperçu et bien-sûr qu'il aurait dû s'abstenir. Maintenant qu'il y pense, sa proposition a peut-être été mal comprise. « Il se pourrait aussi que… je me vois dans l’obligation d’aller travailler demain. Je suis censé me lever dans… cinq heures seulement. » En effet, le timing devient un peu plus serré pour celui qui, finalement, n'a peut être que trop traîné. Quant à Dorian, ça l'amuse un peu et ne le cache pas forcément – au contraire. Il suit les mouvements du regard, essaie à voir jusqu'à quel point cet homme peut aller dans un tel état d'ébriété. Et la surprise n'en est pas forcément une, un verre de servi, un dernier à la manière dont il s'anime et il le dit, lui fait savoir ; Alexei est sur le départ. Un soupire, il le laisse faire. Dorian fait de même, profitant des derniers centilitres de la bouteille pour imbiber un peu plus ses veines de ce poison qu'il apprécie particulièrement. C'est que parler de ses tourments n'a pas tellement arrangé les choses, ni même l'immense ouverture d'esprit de celui à qui il a tenu compagnie. « Vous venez ? » Rappeler à l'ordre, il relève son regard sur l'inspecteur pour acquiescer, se lever à son tour en réajustant son costume comme lors de son entrée. Veste remise, quelques pas enchaînés. Alexei paie les verres qu'il lui avait promit avec que Dorian ne termine. Il laisse l'autre rejoindre la sortie, l'air certainement plus agréable de la rue, plus frais, plus supportable. Ça traîne en longueur, la jeune femme est appelée ici et là, s'agace même parfois de se faire appeler pour des commandes à peine prononcées. Lui, il tient sa place, se décide finalement à laisser la monnaie pour rejoindre le lieutenant dehors. La porte passée, les quelques filets d'air froids parviennent à raviver pas mal de ses sens. Une profonde inspiration, le cœur qui s'en apaise à cette caresse mais les sens se perdent sur autre chose. L'attention se défait de la nuit, s'en remet à celui qui en partageait jusqu'alors une partie. L’œil se perd, voit. Le regard essaie à comprendre ce qu'il perçoit. « Detective ! »

Ce sont les réflexes qui priment, qui animent. Le corps du pianiste s'élance, brave la distance. Les coups pleuvent et, malgré ses efforts pour tirer vers l'arrière la silhouette de tout à l'heure, elle se soustrait à ses assauts, continuant de faire s'abattre ses poings sur le lieutenant désormais au sol. Il n'a pas la force adéquate pour y faire quoi que ce soit et force est d'avouer qu'il est le seul à tenter de s'interposer. Ça l'agace, ça l'irrite. Dorian s'en redresse, les yeux qui traînent partout jusqu'au verre que l'un des spectateurs tient tranquillement sans réellement voir la réalité des faits. C'est vers lui qu'il s'avance, empoignant le contenant sans demander son reste, revenant vers l'ombre qu'ils auraient dû craindre un peu plus finalement. Le coup est net, précis pour une fois. Les débris de verre s'éparpillent, certains désormais plantés dans sa main mais avant tout contre la tempe de l'homme qui, aussitôt, rejoint le sol humide aux côtés de celui qu'il venait d'assaillir. Si beaucoup se recule, aucun ne tente de l'arrêter quand il se relève, rejoint les ténèbres d'une ruelle voisine pour s'y perdre, complètement disparaître. Et lui reste là, à pester, s'assurant bien qu'il ne revienne rien tenter. Une seconde, peut-être deux – plus en vérité – avant que le pianiste ne puisse y revenir, s'agenouiller. « Detective ? » Il tapote un peu la joue, n'insiste pas, craignant finalement de faire plus de dégâts.

Il essaie, rappelle à lui les esprits de cet homme à qui il vient d'épargner une triste finalité. Il insiste puis s'arrête, voit les prunelles accrocher les siennes du mieux qu'elles peuvent. Un sourire, la satisfaction de voir qu'il est arrivé à temps – assez pour que celui qu'il a accompagné pour un peu de temps n'ait presque rien. Presque. Et s'il s'apprête à se relever pour l'aider à faire de même, la main qui s'accroche à son col l'en empêche. Les sourcils se froncent mais l'interrogation n'a pas tellement le temps de se poser, l'inspecteur vient l'embrasser. Dorian s'en paralyse, instinctivement. Bloqué dans l'instant. Les songes ne fonctionnent plus vraiment, les pensées essaient à lui trouver un élan pour au moins se reculer mais tout ce qu'elles imposent diffère de cette simple initiative. En une fraction de seconde, les seules images qui s'imposent à lui ne sont nulles autres que les traits de Mason. Ses traits et son sourire, ce souffle contre sa peau malgré l'alcool, malgré la douleur et l'évidence même d'une possible trahison. L'impression même qu'il ne pourra jamais, ô grand jamais, se défaire de cette sensation. Aussi, le cœur semble s'arrêter. Pas un battement, pas un souffle, pas un geste. Pas encore. Pas avant que le brun contre lui ne le fasse en premier. « Je… euh… désolé… j’aurais pas dû... » Non, en effet. Et lui il reste là, perturbé par sa propre âme plus que par la sienne. Les sourcils froncés, les lèvres qui n'ont pas bougé quand celles d'Alexei s'animent pour signaler ce qui vient de se passer. Il s'est relevé, s'est éloigné mais Dorian ne l'imite pas encore, essayant de braver la tempête qui déferle en lui et l’écœure. Wrynn bataille désormais contre les hauts-de-cœur. Car même si ça n'a rien de comparable avec ce qu'il a vécu avec le chirurgien, il ne pourra pas nier ne pas apprécier. Ça n'a pas la même saveur, la même passion retrouvée mais ça ne l'a pas dérangé. Quand d'autres hommes se seraient offensés, lui n'a même pas tiqué. Ses travers sont réels, bien ancrés en lui depuis des années. « Je suis vraiment, vraiment désolé. Pour votre main et… enfin… bah… ce que j’ai fait quoi... » Il ne relève la tête qu'à cet instant, qu'aux mots que prononce l'inspecteur à son attention, lui arrachant un soupire un peu défait. C'est comme s'il avait été celui qu'on venait de frapper – bien que sa douleur soit différente de celle qu'il n'a pas à envier. Il secoue la tête, déglutit avant de pleinement revenir bien qu'un peu troublé. « Non, non, ce n'est rien... » pour la main, le reste cependant. Mais il ne termine pas cette phrase, entendant déjà les sirènes se hâter jusqu'à cette ruelle plus éprouvante qu'elle ne lui paraissait en début de soirée. « Ça va être marrant au bureau demain... » Il écoute mais n'en dit rien, cet air toujours très perplexe de teinté le long de son visage. Il lui faut encore quelques secondes pour se remettre de ses émotions – rien que quelques secondes pour que s'évanouisse la présence de Mason, poussée hors de son monde.

« Ne me faites pas croire que vous n'avez pas connu pire. » Il essaie, tente à retrouver cette normalité mais peine encore un peu à le regarder. Il vient de remuer un sacré sac de souvenirs refoulés, un sacré merdier qu'il aurait voulu s'épargner – peut-être l'a-t-il cherché. Et c'est ce qu'il imagine alors qu'il imite Alexei en rejoignant lui aussi le pan de mur pour y perdre son dos, l'ambre brun de ses prunelles contemplant la plaie sur la paume de sa main. Les filets de sang s'y perdent, envahissant jusqu'à l'entièreté de cette dernière, recouvrant même la bague qu'il n'a jamais quitté. Dorian ne s'est pas blessé que physiquement – mais aussi psychologiquement. L'admettre silencieusement lui arrache un maigre rire, quelque-chose qui sonne triste malgré tout et qui, d'un œil extérieur, donnerait l'impression qu'il est l'un de ses nombreux névrosés – ou pire, rien qu'un homme en état d'ébriété. Ce qui est le cas, en soit, quand on ignore que la réflexion qui se cache derrière ce faciès est bien plus compliquée. « Dîtes moi que vous remerciez tout le monde de cette manière detective et que ce n'est pas que moi. » Et, là-dessus, il ose enfin relever le regard. Il tient à cette réponse, la craignant tout de même assez. Parce qu'au-delà du dégoût qu'il éprouve à l'égard de sa propre personne pour ne pas avoir été plus outré par ce baiser, il ne tient pas à devoir endosser la possibilité de l'avoir provoqué.

C'est comme si les murs voisins commençaient à se refermer, comme si le monde lui-même venait à se plier. Il y a ce quelque-chose qui se contracte dans les tréfonds de son être, une vérité toujours su mais qui ne s'admet pas, qui ne se dévoile pas – il ne le peut pas. Pas lui. Jamais lui. Il tique un peu, appréhende la réponse, celle qui se prépare derrière le sourire de son face à face. Dans d'autres circonstances, Dorian aurait insisté mais les faits sont différents – notamment l'absence de courbes féminines. Alors il s'abstient, prend son mal en patience mais pas longtemps, à peine quelques secondes en vérité. Outre les sirènes qui s'accentuent, outre les voitures qui parviennent enfin jusqu'à eux et les regards curieux, la voix s'élève quand même. Elle brave son air gêné, le malaise clair et net qui s'est installé. « Si vous saviez ce que vous m’inspirez... » Un faible filet d'air s'extirpe d'entre ses lèvres et le frisson qui parcoure son dos est tout sauf agréable. Il est douloureux pour la conscience, douloureux pour l'âme qui essaie à se convaincre que ces choses-là ne sont pas saines. C'est dur mais réel pour lui, semblable à une ignominie. Et, là-dessus, il lui échappe. Alexeï se lève pour rejoindre les forces de l'ordre tout juste arrivées, celles sur qui il n'apporte pas encore trop de regard. Non, il reste planté là, cet air un peu ahuri sur le visage, la main négligemment posée sur ses jambes, un peu plus rouge qu'elle ne l'avait été. Il essaie, cherche à réfléchir avec raison mais en vain, pratiquement – comme souvent lorsque interviennent ses tourments. Cependant, il abandonne. Dorian soupire un peu, se relève à son tour pour s'approcher des officiers, n'osant pas vraiment à faire traîner ses yeux sur l'homme à qui il a tenu compagnie jusqu'alors – cet même homme à qui il a peut-être sauvé la vie, en soit ; plus altruiste qu'il ne s'imaginait. « Disons qu'une bouteille de plus et il m'aurait ramené chez lui sur son épaule. » Un trait d'humour, le pianiste se raccroche à ça une fois à leur hauteur, venant les saluer – du moins, verbalement puisque la main se lève, bien amochée. « Je ne vous salue pas, ça vous épargne la même chose. » Un léger coup de tête pour désigner sa paume abîmée, quelques morceaux de verre encore bien présents, peut-être même trop enfoncés. De quoi ajouter un peu de défis pour les représentations à venir, c'est un fait – une vérité dont il prend entièrement conscience en abandonnant son regard un peu plus lucide sur les dégâts que son « courage » ont engendré. Ceux-là même qu'on décide à prendre en charge. Il laisse faire les maigres secours envoyés sur place, suit le mouvement tout autant que le lieutenant jusqu'à la voiture mobilisée. L'espace d'un court instant, Dorian parvient à oublier ses tracas, plutôt concentré sur le bandage qu'on vient appliquer à sa main.

« Voilà qui devrait faire jaser pour mes derniers concerts. » Et, au-delà de ses songes tumultueux, ça l'amuse d'imaginer le reste – pas encore conscient que ce qui s'est passé un peu plus tôt pourrait également faire parler. Il mise sur l'ignorance du bas monde, sur le fait que – il l'espère – personne ici ne semblait le connaître. Car les bagarres de bar ne font pas forcément une bonne réputation, et un baiser échangé avec un homme qu'il connaît à peine également. Perdu dans ses pensées, c'est la légère pression qu'on exerce sur son bras qui le ramène à l'instant présent. « On vous raccompagne ? » Il relève la tête, va et vient entre le secouriste et son nouvel ami du soir. « Uh non, ça ira. Mon manager devrait pouvoir venir me récupérer ainsi que la voiture. J'en profiterais pour ramener notre ami. » Large sourire, l'autre qui s'éloigne sans réellement insister – force est d'avouer que ces situations-là ne sont pas des plus attrayantes, il le conçoit. « C'est votre soir de chance, detective. Dieu seul sait pourquoi mais, habituellement, je serai parti en courant quant à vos... dires passés. » Il fronce un peu les sourcils, peu sûr de lui quant à la manière dont il pourrait qualifier les avances on ne peut plus claires qu'il avait pu lui faire. « Néanmoins, j'ai dit que je vous raccompagnerais et je m'y tiens. » L'une de ses mains retrouve le confort de ses poches tandis que l'autre s'empare déjà de son téléphone pour quérir un peu d'aide – hors de question que la corvette ne reste dans le coin. Cinq minutes. Il est là dans cinq minutes, top chrono. « Si vous retrouvez cet homme, assurez-vous que j'ai quelques dommages et intérêts pour ça – demain soir ne sera pas aussi simple avec un bandage aussi épais. »