FOR THE LOVE OF MINE
— I —
I SHARED MY BODY AND MY MIND WITH YOU
THAT'S ALL OVER NOW
Mars 2010
« On va commencer par de simples affirmations. Répondez par oui ou par non. »Alma observe autour d’elle chacun de ces bâtards décérébrés debout, certains derrière le miroir. Elle connaît ce passage obligatoire chez les flics. Mentir n’est pas un problème pour elle : une combinaison comme une autre à enfiler, tous les jours, pour faire son travail. C’est ce qu’elle se dit pour rester droite malgré la douleur dans sa poitrine qui joue avec ses nerfs, les larmes qui avancent et remontent le long de sa gorge. Elle sent le liquide perler à ses yeux mais elle se contente de serrer le poing qui est posé sur ses jambes croisées, étriquées dans un jean trop petit. Cette espèce de pétasse qui traine au club n’a pas su lui apporter ce qu’elle voulait pour sa sortie de l’hôpital. Elle ne fera pas long feu au paradis des poules.
Alma ne bouge pas d’un millimètre, se contente de regarder une faille dans les briques de la salle d’interrogatoire pour tâcher de garder contenance. Il le faut. Quoi qu’il ait pu se passer. Peu importe la douleur qu’elle ressent à l’idée d’évoquer les derniers évènements, cette gangrène qui surpasse de loin la douleur physique qu’elle ressent là ou la balle l’a traversée, là, dans l’épaule et qui lui laissera une cicatrice circulaire le reste de sa vie ; comme la marque d’un traumatisme et d’un manque plus profond qui ne la quittera jamais non plus.
« Vous prénommez-vous Alma Love Lennox, née Burton, le 23 avril 1975 à Chicago ?— Oui.— Votre mari était Felix Lennox ? »Elle déglutit, imperceptiblement. Il en parle au passé, d’ores et déjà alors qu’elle, non, n’est toujours pas capable ne serait-ce que d’imaginer que son mari ne soit plus. A cet instant précis elle pense à son fils qui doit lui aussi faire face à la mort de l’être aimé, alors qu’ils n’ont pas pu l’enterrer encore, qu’ils le gardent, pour des raisons qu’elle a envie de ne pas connaître, mais son boulot d’avocate l’empêche d’être ignorante à ce sujet. Leur bataille, leur procès, les flics, ces saletés de flics qui croient une nouvelle tenir entre leur main le sort des Kings Of Speed.
« Oui. »Alma ne peut s’empêcher de le foudroyer du regard avant de le reposer sur le mur froid. Elle tâche de rester concentrée sur le moment, sur les types qui lui font face. Elle sait qu’elle va en avoir pour un petit moment avec eux, ils vont profiter d’elle, de son état psychologique plus que déplorable à cet instant. Quoi de mieux que de profiter de la faiblesse de la nouvelle veuve pour avoir ce qu’ils veulent ? C’est l’occasion rêvée. Elle ne peut pas les blâmer : elle aurait surement fait la même chose pour un de ses dossiers. Ils s’imaginent que sa peine et sa colère lui feront changer d’avis, qu’elle mélangera les vrais coupables derrière la mort de son mari. Ils pensent que ses idées vont s’embrouiller et qu’elle livrera les secrets du club pour venger sa mort. Rien au monde ne pourrait s’avérer plus éloigner de la vérité.
« Madame Lennox, vous étiez présente lors de la fusillade qui a eu lieu la semaine dernière, derrière la Chicago Church of christ…— C’est une question ou une affirmation ?— Une question.— J’étais là. — Pourriez-vous nous décrire ce qu’il s’est passé ? »Je marchais avec mon mari dans la rue. Vous étiez seuls ? Oui, nous étions seuls. Je n’ai pas vu le visage des assaillants. Êtes-vous sûre ? Je suis sûre. Vous marchiez seule avec votre mari ? Oui.
Les mêmes questions, les mêmes réponses, sans arrêt. L’interrogatoire, bien plus long que prévu, a duré une éternité pour la jeune femme de l’époque, qui n’aspirait qu’à pleurer son mari tout juste disparu. Bien sur la vérité, les faits, étaient tout autre. Mais sa version resta inchangée malgré les appels des flics, malgré leur multiple technique pour essayer tantôt de la rassurer, tantôt de l’amadouer, jouant la carte cliché du bon ou du méchant flic qui n’est là que pour la vérité, juste pour la vérité. Alma a rassemblé tout son courage et toute sa force cet après-midi là pour les affronter du regard, garder la tête haute et les lèvres closes sur les véritables évènements de la soirée. Il lui a fallu faire abstraction des flashs que lui imposait son cerveau depuis son arrivée à l’hôpital, celles de son homme étendu sur le sol, contre elle, son sang répandu sur le bitume.
Le temps avait été clément, pourtant, ce jour-là. Alma n’avait pas vu venir le malheur, elle s’était contentée ce jour-là comme un autre de monter à l’arrière de la moto, se serrer contre lui et son cuir, respirer son parfum comme si elle avait encore vingt ans et se dire que rien ne changerait jamais. Peu importe les embûches, peu importe les galères dans lesquelles elles s’étaient embarquées à ses côtés, et ceux du club. Ce qui la frustre aujourd’hui encore ce de ne pas avoir levé la tête au bon moment, juste trop tard, alors qu’un cri s’est élevé à l’avant du cortège. Tout s’est passé si vite, mais pas assez pour qu’elle oublie la douleur dans son épaule, celle du cri de son mari qui resterait ancré à l’intérieur d’elle comme un écho funeste. Un van noir, des visages cagoulés et puis plus rien. Juste le visage de Felix collé contre le sol, les yeux grands ouverts, s’étouffant avec son propre sang.
Excepté cette blessure, la jeune Alma de l’époque s’en était sortie quasiment indemne. Quelques éraflures et une légère perte de mobilité dans la main droite. Et pendant longtemps elle se demandera pourquoi elle, pourquoi pas lui ? Est-ce qu’il y avait une sorte de message venu de plus haut, pour elle ? Un jugement ? Des doutes qui devront s’effacer pour garder la force d’élever et protéger son fils. Alma ressortira de cet épisode traumatique plus féroce et obstinée que jamais.
— 2 —
GOT YOUR BIBLE, GOT YOUR GUN
Mars 2004
« Maman ! Maman ! Mamaaaaaaan ! — Wow hey, tout doux Cal ! »Alma attrape son fils de six ans qui gigote et sautille au pied de son lit et le ramène avec elle dans le lit de ses parents, entre elle et Felix. Le petit Calum serre sa mère dans ses bras à l’en étouffer.
« Tu sais c’que tu devrais faire ? Tu devrais réveiller ton père aussi… un sourire mutin s’élève sur les lèvres de la mère puis du fils, conscient du danger du plan dans lequel il s’embarque. Mais la bêtise est trop tentante pour ne pas y céder.
— Comment on fait m’man ?— C’est toi le p’tit génie dans l’histoire hey ! »Alma lui ébouriffe les cheveux tandis que le jeune Cal se contente de se redresser sur ses pieds avec difficulté sur le matelas. La jeune mère de 29 ans retient un rire alors qu’elle voit son fils s’élancer sur son père.
« PAPAAAAAA ! » Felix s’éveille en sursaut, lâchant un soupir douloureux alors que le petit atterrit sur lui et que Love, elle, se marre derrière le drap de leur lit, consciente que c’est à elle que son mari enverra son premier regard noir. Ce qui ne loupe pas : elle le connaît par cœur.
« Hey fiston… C’est quoi toute cette énergie !— T’as pas oublié hin ? Le KOS fait mine d’avoir oublié la sortie du jour.
— Qu’est-ce que j’ai pas oublié ? Hm. De faire la vaisselle ? De partir au travail ? J’ai loupé mon réveil ? Maman qu’est-ce que j’ai oublié ? »Alma hausse les épaules, entre dans le jeu de son mari.
« Maiiissss ! On va à la fête foraine aujourd’hui ! — Ah ouiiii c’est vraiii ! Suis-je bête ! — Tu fais exprès ! »Le petit fond dans les bras de son père et Alma à son tour se rapproche. Ils passeront un moment ensemble dans le lit avant de se mettre en marche pour leur journée en famille.
Love a 29 ans, a fini ses études et s’élève tranquillement dans son boulot d’avocate. Tout lui semble parfait, elle arrive à concilier sa vie de famille, son travail et son implication chez les Kings dont fait partie son mari. Entre eux, ça avait été tout à fait naturel. Ils se sont rencontrés 8 ans plus tôt alors que Felix entrait dans sa période de prospectorat, neveu d’un autre membre. Ils avaient attendu un an et demi qu’il soit patché pour déclarer leur relation. Calum n’avait pas tardé à arriver, et ils s’étaient mariés peu après sa naissance.
Felix contrastait beaucoup avec Alma et son caractère de feu, avec elle, il était toujours patient alors que son tempérament était plutôt du genre sanguin en compagnie de ses frères. Il ne se laissait bien sur pas marcher sur les pieds et leurs disputes avaient généralement la même finalité, plus agréable que l’entrée en matière. A travers cette relation, Alma avait découvert sa possessivité, sa jalousie et son besoin d’appuyer son ascendance sur les nanas qui tournaient autour de son mari. Les seules qui avaient osé mettre un pied sur son terrain s’étaient pris une table ou une porte en glissant, de manière tout à fait classe, aidée par Alma bien sur. Personne n’avait à poser un doigt sur Felix. Il était sien et s’il avait été voir ailleurs, elle l’aurait su. Car Alma sait tout.
— 3 —
ALL GOOD THINGS COME TO AN END
Mars 2017
« Reviens par-là… »Il essaie d’attraper sa hanche nue pour la rapprocher de lui, à nouveau, mais comme d’habitude, Alma s’échappe, fait un geste en arrière en souriant et s’extrait du lit, un drap autour de la poitrine. Il grogne, elle sourit davantage alors qu’elle attrape une clope dans le paquet négligemment jeté sur la table de chevet en bois. La quadra pourrait tout à fait repartir pour un round en compagnie du KOS mais elle s’y refuse. Elle préfère prendre les devants la première en stoppant leurs échanges pour ce soir. Après tout, elle le sait bien : toutes les bonnes choses ont une fin, et elle préfère mettre un terme à cette nuit avec Gabriel avant que les choses se compliquent. Alma veut profiter des ces moments là avec parcimonie plutôt que de les bruler vifs et se retrouver à nouveau seule, ne pas savoir à qui s’adresser pour partager un peu d’intimité en toute confiance.
L’avocate observe le hors-la-loi alors qu’elle est debout près de la fenêtre. Le jour commence à se lever et les couleurs de la nuit s’évaporent au profit d’un joli dégradé à l’horizon. Encore une nuit ou elle n’a pas su résister à l’envie de venir le voir, luttant contre l’insomnie, luttant contre l’envie de prendre des médicaments. Alma déteste ses médocs qu’elle se traîne depuis l’adolescence. Plus de vingt ans qu’elle prend les mêmes, les effets sont moindres aujourd’hui mais elle refuse d’augmenter les doses, alors elle préfère espacer ses prises pour mieux s’endormir les quelques soirs où elle décide de s’assommer. Ses problèmes de sommeil sont héréditaires, paraît-il que son père avait les mêmes.
« Love ?— Hm ? »Alma tourne la tête vers Gabriel alors qu’il la gratifie d’un sourire particulier. Elle secoue la tête à la négative. Il lui donne presque envie de rester, peut-être même avec de la chance qu’elle finirait par s’endormir. Mais elle n’a pas envie de paraître faible et paralysée par la langueur de sentiments, qu’il n’y a d’ailleurs pas entre eux. C’est comme une sorte d’échange mutuel, agréable mais c’est elle qui décide quand il démarre et quand il s’arrête. Elle profite de lui, il en a surement conscience. La quadra finit sa cigarette qu’elle écrase et achève de prendre sa décision, un peu plus différente que celle prise quelques minutes plus tôt.
Alma se redresse et attrape ses affaires, se dirige vers la salle de bain.
« Je vais prendre une douche. »Son regard est sans équivoque. S’il veut la rejoindre avant qu’elle s’en aille, c’est maintenant, elle veut profiter de lui avant de retourner chez elle. Elle a un petit-déjeuner à préparer.