SAISON 2 # INTRIGUE 3

« Ils sont déjà en chemin, ils seront là d'ici quelques minutes. Vous occupez pas de ce qui se passe derrière...restez tranquille lieutenant. » Il tique, ne sait pas vraiment comme prendre les mots qu'elle énonce, ceux qui viennent se perdre jusqu'à lui, jusqu'à eux. Parce qu'il sent le regard de Maxime sur sa misérable personne, sur cette détresse que ses traits trahissent en quelques secondes à peine. Et si cette soirée se terminait mal ? Et si quelque-chose qu'il ne sent pas encore venait à ne rien arranger, à l'empêcher d'au moins la mettre en sécurité ? Il soupire, prend sur lui, lutte contre sa propre personne, menant une bataille inutile dans les tréfonds de son âme. Davantage quand l'autre homme réajuste sa voix à sa hauteur, essayant de lui faire entendre raison. Mais personne ne le peut, personne. Pas en cet instant, pas en sachant tout ce qui semble le prendre sans qu'il n'en est pleinement conscience. Ce sont ses émotions qui s'entrechoquent, qui s'entremêlent, qui rappelle au quadragénaire que durant des années, tout ce qui faisait de lui un homme comme les autres se tenait là, simplement endolori, endormi sous une cage thoracique ramenée à la vie. C'est bizarre, nouveau. C'est bizarre et prenant, peut-être autant que sa lucidité s'embrumant. « Asseyez-vous, Lieutenant. C’est le meilleur moyen d’aider votre amie à ce stade. Laissez-moi m’assurer que vous allez bien et je vous libérerai. Inutile de protester, tout ce que vous allez faire, c’est ralentir mon travail et il y a un tas d’autres blessés là-bas. » Il se retient de faire entendre qu'il s'en fout, que le reste en effet n'a aucune importance. Il s'y retient assez pour y parvenir, laissant ses songes se perdre sur la jeune femme, sur celle qu'il tenait encore jusqu'à obtempérer, la voix de Maxime ayant aidé, continuant de l'y persuader. « Tu es sur que tu n’as rien ? S’il te plaît, laisse-la regarder correctement. »

Il tique encore, grimace presque. Il n'apprécie pas à avoir l'attention de poser sur lui, il n'apprécie pas à être le centre d’intérêt ne serait-ce que d'un petit moment. Ça n'est pas dans ses habitudes, ça vient différer avec tout ce qu'il a déjà connu, déjà essuyé. Et pourtant. Un soupire, il se retire. Matthew prend sur lui pour prendre un peu de recul, s'assurant de lentement déposer sa Belle, l'installer au mieux, prenant tout de même quelques secondes pour retirer sa veste, aller pour la caler sous sa tête comme dans l'espoir que ce maigre réconfort puisse alléger ses maux. Quant au sien, aucun miracle. Rien ne vient le faire grogner, ni même gémir ; rien malgré la manière dont la gêne se ressent dans certains de ses mouvements. Ils sont lents, un peu plus durs, assez pour qu'il ne force dessus, en ressentant – lui semble-t-il – quelques déchirures. La chute, peut-être. Ou pire, qui sait. Il a entendu les coups de feu, comme tout le monde avant de rejoindre le sol, avant de devoir s'abandonner sur l'humidité du bitume toujours côtoyer. Il cède, à y penser, le regard de Maxime qui insiste sur sa présence. Matthew en abaisse les remparts, rompt les rangs de sa garde, les prunelles claires qui s'en tournent enfin vers la petite blonde déjà connue. « Allez-y. » Les mots s'arrachent à sa gorge, trahissant l'inconfort de cet instant. Et il commence à craindre pour cette soirée, parce qu'il pourrait ne même pas savoir qu'il soit blessé. Non, il pourrait ne pas le savoir. Peut-être vaudrait-il mieux pour lui qu'il ne sache pas ; pas tant qu'aucune sécurité ne serait agenouillée à leurs côtés, prenant en charge celle qu'il se rend compte... aimer.   

Il entend les questions, anime sa tête de quelques gestes sans pour autant s'exprimer. Non, il n'en a pas l'envie, il ne veut pas voir les attentions se porter sur lui quand elles devraient s'être installées sur Maxime. Maxime qui grimace, Maxime qui pâlie, Maxime qu'il a possiblement détruit en l'espace d'une soirée, d'une seule et même soirée. Un soupire, le cœur qui s'en fige tandis qu'il n'a plus l'envie de jouer, de prétendre, de faire l'homme lambda dont les ressentis sont présents. Non, tant pis si c'est grave. Tant pis si les choses deviennent sérieuses, tant pis si tout se met à tourner sans qu'il ne puisse y parer ; tant qu'on s'occupe de celle dont l'importance ne fait que croître depuis peu. Il soupire encore, il soupire le lieutenant parce qu'il n'a plus que cela pour se manifester. Plus que cela pour tenter de se calmer derrière la contemplation de sa bien-aimée enfin observée. L'inquiétude qui s'installe, qui prend ses aises et qui anime ce malaise. Il n'a pas l'habitude de ces sentiments, n'a pas forcément l'habitude de se soucier des gens. Non, ce soir, Matthew découvre bien des sens qui lui étaient inconnus, des sens qu'il pensait ne pas pouvoir être vécus. Et le verdict tombe, brutalement, au cœur même de cette ruelle dont il n'a que faire des alentours. Son regard ne la quitte pas, son regard persiste à se tenir sur cette femme qu'il aurait dû protéger, faire sourire comme il l'avait espéré, ça aussi surprenant que ça puisse paraître au vu de ce qu'il est. « Trouvez une position confortable et essayez de ne plus bouger. De ne plus bouger du tout, d’accord ? » L'attention qui se pose sur lui, l'attention qui vient se perdre jusqu'à sa personne qui acquiesce, qui répond parce qu'il saisit le message qu'elle lui laisse avant de se lever, de s'éloigner. Avant de les laisser.

Il s'approche alors, le lieutenant. Il ose s'avancer, braver les directives qui auraient pu également lui être données, celles que Maxime aimerait probablement lui rappeler. Parce qu'il ignore tout de son état, parce qu'il refuse qu'elle puisse s'inquiéter de son cas ; loin d'imaginer qu'elle le fasse déjà. « L’ambulance arrive sous combien de temps ? Je commence à avoir froid. » Il trésaille, le bouclé, serrant un peu sa main toujours gantée. « Tu vas passer des examens, n’est-ce pas ? Comment tu te sens ? » L'azur de ses prunelles se risquent jusqu'aux siennes quand il l'entend poser cette question, la seule à laquelle il ne puisse pas répondre positivement. Si elle savait, si elle savait qu'il ne pourrait s'y rendre, qu'il ne pourrait s'y risquer rien que pour son métier, toute son intégrité. Et en vérité elle le sait, néanmoins ronger par l'inquiétude de ce qu'il pourrait abriter. C'est nouveau pour lui, ravivant les battements de son cœur fragilisé.

Il délaisse sa main sans oser répondre, se redressant légèrement pour venir se défaire de sa veste, oser braver les interdictions pour entreprendre de larges gestes jusqu'à couvrir la Belle de son haut, de cet habit qui avait su faire parler de lui. Ça, avant de venir retrouver sa place à ses côtés, rattrapant sa main gantée, délaissant son autre main à lui dans la chevelure brune de la jeune femme ; gestes naturelles bien que troublants pour celui qui se laisse prendre de court par ce réflexe. Mais tout est différent ce soir, tout est différent car tout est loin de son temps. Il a cette réalité qui vient se briser contre son petit monde, cette bulle entretenue depuis bien des années, jamais percée jusqu'à cet instant, jusqu'à cette soirée, cette nuit par le désastre volée. « Essaie de ne pas t'inquiéter pour moi, tu veux. Quand ils se seront occupés de toi, nous verrons le reste, Maxime. » Sa voix trahie l'inquiétude en se faisant un peu plus dure qu'elle n'avait pu l'être au cours de cette parfaite fin de journée. Oui, tout devient différent quand une partie de ce qu'il ne connaît pas le prend. « Ça va aller, s'ils n'arrivent pas bientôt, je m'en occuperai personnellement. » Une menace à l'encontre de ceux qui traînent, de ceux qui n'ont pas encore le pouvoir de pouvoir faire davantage. Et pourtant, il aimerait. Il aimerait que ce soit le cas, se foutant de tout le reste qui ne les concerne pas. Il en oublie ses obligations, son devoir, les possibles attentes que ses collègues présents pourraient avoir ; il en oublie tout le reste qui n'ait aucun rapport avec celle qui possédait toute sa soirée. Toute sa foutue soirée.   

Josef se focalise sur son job, sa mission en quelque sorte et essaie de ne pas trop jeter de coup d’œil vers sa petite amie qui a foncée face au danger, sans réfléchir. Josef ne peut s’empêcher de se remémorer brièvement cette dispute qu’ils ont eu à ce même sujet : La prise de risque. Elle qui lui reprochait d’agir impulsivement au détriment de sa sécurité, voyait Daya faire de même ce soir. Il évite les coups d’œil vers elle, vers eux et se concentre sur les victimes qu’il constate et qui surtout, s’accumule.
Josef s’occupe en premier lieu du conducteur qui s’est malheureusement encastré dans le cheval mort pour finir en tonneau quelques mètres plus loin. Il s’approche, commence par prendre le pouls et constate qu’il n’y a rien, aucun signe de vie. Josef colle son oreille près des lèvres, comme pour s’assurer qu’il n’hallucine pas en posant une main sur le ventre mais rien. Le conducteur est certainement mort sur le coup et vu la violence du choc, il n’en est presque pas surpris. Mais parfois les miracles existence. Josef a déjà vu et sorti des victimes de la route, vivants, alors que la bagnole ne ressemblait qu’à une boule d’aluminium.
Le pompier se concentre désormais sur le conducteur de la calèche qui s’est salement encastré dans le pare-brise. Des morceaux de verre lui ont lacéré le visage et sans lumière, il n’arrive pas à percevoir clairement si le reste du corps est en un seul morceau.

- Laisse, il est mort sur le coup.

Il s’adresse à la jeune blonde qui vient le rejoindre en même temps que les sirènes des secours se font entendre. Josef est soulagé de constater que l’aide arrive, l’équipement avec.

- Vous êtes médecin ?
- Non, pompier. Il se tourne vers elle et enchaine. Je vois que dalle dans la bagnole et tu sauras mieux que moi ce qu’il en est.

Il allie ses gestes à la parole en dégainant son téléphone portable et en activant le flash.

- J’vais t’éclairer de l’autre côté.

Le pompier fait le tour et éclaire le corps du conducteur de la calèche. Il y a du sang partout, des morceaux de verre éparsent.

- Alors ?

Les secours débarquent, il entend les camions, les portes s’ouvrirent à la volée mais aussi les flics qui viennent en back-up. Josef tente de faire focus sur le corps du type encastré et de ne pas déporter son attention sur Daya qu’il n’arrive même pas à voir avec la foule d’urgence qui débarque. Il a la boule au ventre mais se focalise sur la jeune femme qui l’accompagne dans ce merdier et écoute ses besoins si elle en a.